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L’exploitation politique de la justice, une dérive largement dénoncée

Le patriarche Sfeir ouvre le feu. En affirmant solennellement, devant l’assemblée des prélats catholiques, que « la justice (chez nous) se fait parfois discrétionnaire et politique ». Le ministre de la Justice lui-même relève en substance, après la réactivation du dossier Siniora-Barsoumian, que « la pire des tentations qu’un juge peut éprouver dans l’accomplissement de sa mission est de se conformer aux orientations de l’autorité politique, d’en exécuter les ordres ». Dans des déclarations antérieures, Bahige Tabbarah soulignait qu’il « est indispensable de voir se rétablir la confiance dans la justice, malgré les tiraillements politiques ». Précisant que pour sa propre part il compte œuvrer afin de clore tous les dossiers, car il ne veut pas du tout que « l’on exploite la justice dans le cadre de règlements de compte politiques ». Ou plutôt, politiciens.
De son côté, Boutros Harb, député et juriste, souligne que les dérapages surviennent quand le pouvoir politique interfère dans les affaires de la justice, comme cela s’est produit et continue à se produire. Il se demande pourquoi l’on a pensé, juste maintenant, à réactiver le dossier Siniora. Ajoutant que les fuites en direction des médias donnent lieu certes à des interrogations (entendre sur les objectifs politiques de l’opération). Mais restent moins étranges, finalement, que le fait que la Chambre ait laissé tant de problèmes sans traitement. Ce qui provoque un vide institutionnel considérable. Pour Harb, il est assez évident que l’affaire Siniora est politique et qu’une lourde erreur a été commise. Car, assure-t-il, après avoir pris connaissance du dossier, il n’y a rien trouvé, l’homme étant complètement innocent des charges qui lui sont reprochées.
Autre spécialiste renommé, Edmond Naïm estime pour sa part qu’après réception de tels dossiers, le président de la Chambre doit convoquer l’Assemblée, pour voter d’abord sur la question de compétence. C’est-à-dire pour dire si les affaires soulevées sont justiciables de la Haute Cour ou de la justice ordinaire. Quel que soit le choix, il est ipso facto exécutoire. À cette nuance près que si c’est l’option théorique de Haute Cour qui est retenue, il faut encore que la Chambre décide si elle veut, ou non, engager une procédure. Le professeur Naïm précise enfin qu’à son propre avis, la compétence dans le cas traité relève de la justice ordinaire et non de la Haute Cour, car l’accusation se fonde sur des infractions ordinaires.

Imbroglio
Sur le plan pratique, qu’en est-il ?
Le parquet a transmis au Parlement les dossiers des procès intentés au ministre des Finances Fouad Siniora et à l’ancien ministre Chahé Barsoumian. Pourquoi ? Parce que la justice ordinaire se déclare incompétente en la matière, les responsables étant justiciables d’un autre circuit institutionnel, la Haute Cour. Instance prévue pour connaître des charges impliquant des officiels (présidents, ministres ou députés) dans le cadre de leurs fonctions. Les sources judiciaires jurent leurs grands dieux qu’il n’y a pas d’arrière-pensée politique dans la procédure suivie. Toute machinale, et qui s’imposait du moment que le dossier Siniora, remontant à trois ans, allait être incessamment couvert par les prescriptions. Mais l’initiative a entraîné un bras de fer entre le bureau de la Chambre et le parquet. Le chef du Législatif, Nabih Berry, a ainsi soutenu que la transmission des deux dossiers en question, qu’elle vînt du parquet, des tribunaux ou du ministre de la Justice, n’a aucune valeur d’activation des charges, ajoutant que le Parlement n’était tenu à rien . Il a cependant précisé que deux motions de saisine (par la législature) au sujet de Siniora et de Barsoumian allaient être signées. Puis le bureau de la Chambre a renvoyé les documents au parquet, en une sorte de consigne, en attendant une éventuelle récupération par une commission parlementaire d’Instruction, au cas où elle serait formée. Mais le parquet ne se l’est pas tenu pour dit. Il a en effet fait savoir qu’il a accompli son devoir en fonction de l’élément de prescription. En précisant que, du moment que les dossiers lui sont renvoyés, celui de Siniora allait être derechef adressé à la Cour de cassation, toutes chambres réunies, et celui de Barsoumian aux Assises (cour criminelle). Le procureur général, Adnane Adoum, a ajouté que l’envoi des dossiers au Parlement, auquel on voulait prêter un caractère politique, n’était que purement procédural . Il a cependant indiqué que le renvoi des dossiers à la justice devient à ses yeux un acte cohérent et juste, à partir du moment où il s’accompagne d’une commission parlementaire d’Instruction.
Pour le moment, la controverse ne va pas plus loin. Mais les professionnels se demandent avec curiosité quelles seraient éventuellement les charges invoquées pour justifier une motion parlementaire de procédure à l’encontre de Fouad Siniora. C’est-à-dire comment les députés vont-ils s’y prendre pour expliquer pourquoi ils veulent inculper un ministre auquel ils ont accordé leur confiance, en même temps qu’à l’ensemble du cabinet. Un vote positif accordé à une large majorité bien après le procès intenté contre l’intéressé. Ce qui signifie, en bonne logique, qu’on le considérait comme blanchi des accusations portées contre lui. Restées du reste sans preuves décisives judiciairement. Il serait donc pour le moins contradictoire, toujours en bonne logique, que le Parlement mette à son tour Siniora sur la sellette. Certains puristes estiment d’ailleurs que les députés actuels ne devraient poursuivre un ministre, en l’absence de présomptions judiciaires étayées, que pour des actes commis dans le cadre de sa participation au cabinet présent, non antérieurement. Ce qui revient à dire que c’est au moment des premières poursuites, il y a trois ans, que l’on aurait dû s’aviser que Siniora était justiciable de la Haute Cour et non des tribunaux dits ordinaires, Cour de cassation comprise.
Les motions envisagées vont-elles recueillir le nombre de signatures (26) requis ? Berry laisse entendre qu’il devrait en être ainsi facilement. Car, selon ses termes, le bureau de la Chambre (neuf membres) est en quelque sorte le gouvernement de l’institution, ses éléments représentant les différents blocs parlementaires. En tout cas, au bout de la ligne et de la procédure, il faudra que les deux tiers du Parlement votent la saisine de la Haute Cour, et cela semble (hautement) douteux.
Sans compter que comme le relèvent des professionnels, l’intéressé jouit aussi de la confiance du chef de l’État. Qui s’est exclamé, après le refus de Siniora d’octroyer des indemnités supplémentaires aux travailleurs du port, que « sans le ministre des Finances, il ne resterait rien dans l’État ».

Émile KHOURY
Le patriarche Sfeir ouvre le feu. En affirmant solennellement, devant l’assemblée des prélats catholiques, que « la justice (chez nous) se fait parfois discrétionnaire et politique ». Le ministre de la Justice lui-même relève en substance, après la réactivation du dossier Siniora-Barsoumian, que « la pire des tentations qu’un juge peut éprouver dans l’accomplissement...