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VIENT DE PARAÎTRE - « Le Liban contemporain, histoire et société » aux Éditions La Découverte Georges Corm : L’argent tue les consciences, il faut en finir avec le prêt-à-penser

Georges Corm ne peut pas rester tranquille. L’an dernier, il bousculait les idées reçues, sur un Orient spirituel et un Occident matérialiste, dans un ouvrage qui a eu un grand succès, en France notamment. Cette année, il récidive, en s’attaquant cette fois au « prêt-à-penser libanais », qui veut que la démocratie communautaire, rebaptisée consensuelle par M. Antoine Messarra, soit la seule solution pour le Liban. Dans un ouvrage foisonnant, Le Liban contemporain, histoire et société, qui est aussi le premier essai traitant de la Seconde République (après Taëf), il propose un regard nouveau, sans être tout à fait celui d’un historien et a surtout le mérite de pousser à une réflexion profonde, qui change des platitudes devenues habituelles.
Comme d’habitude, Georges Corm fait salle comble, et comme d’habitude, à la fin de la conférence, l’assistance sort toute remuée, comme si elle avait soudain honte de son inertie. Officiellement, il est là pour parler de son dernier ouvrage, mais il ne peut s’empêcher de sortir de ce cadre, pour pousser les Libanais à changer leurs mentalités. « Tant que nous continuerons à être un aussi bon public pour la classe politique actuelle, celle-ci restera en place et nous continuerons à envoyer nos enfants à l’étranger », dira-t-il en guise de conclusion, avant d’être longuement applaudi par les personnes présentes.
Présenté par M. Henri Laurens, Corm commence par expliquer la ligne directrice de son ouvrage qui tout en évoquant l’histoire contemporaine du Liban, dénonce le système communautaire qui n’en finit pas, selon lui, de faire des ravages et de détruire les fondements de l’État libanais.
Pour l’ancien ministre des Finances, l’identité communautaire n’est pas une fatalité génétique, mais un concept fabriqué à partir de 1 840, lorsque Français et Britanniques, en route vers les Indes, ont coincé les Libanais dans cette identité communautaire et ont politisé les communautés.
Il dénonce ainsi l’idée reçue selon laquelle la Moutassarifia serait le début de la démocratie au Liban. Pour lui, elle ne serait que le début de la représentativité des communautés, car la démocratie, c’est essentiellement le respect des libertés individuelles et pas seulement celles des communautés. Se référant au phénomène de démocratie consensuelle en vigueur en Suisse ou en Belgique, il a affirmé qu’un tel système peut fonctionner dans des milieux apaisés, non dans un pays comme le Liban, où les communautés sont prises dans des réseaux de puissances étrangères. « De plus, en Suisse et en Belgique, il y a une démocratie au sein des communautés et non pas des chefs qui terrorisent les autres », dit-il. Enfin, au Liban, le pire c’est que des civils prétendent désormais parler au nom des communautés religieuses.
Corm prône donc un retour aux valeurs républicaines, si on veut un État dans lequel les communautés ne sont pas la base de l’ordre public. Pour lui, les droits individuels sont plus importants que ceux des communautés, et il faut donc défaire ce que le haut-commissaire français a tissé en 1932, en nous emprisonnant dans des communautés dites historiques.

La fameuse théorie
de l’État tampon
L’ancien ministre s’insurge aussi contre la théorie qui veut faire du Liban un État tampon. « Pourquoi une telle vocation, se demande-t-il, alors qu’elle consiste à faire du Liban un État non souverain, voué à servir de tampon aux guerres que les autres pays ne veulent pas mener ? » C’est d’ailleurs ce qui s’est passé en 1975. L’ancien ministre précise aussi qu’aujourd’hui, les communautés n’ont plus de fonction spirituelle, mais sociologique et politique.
Évoquant ensuite la partie traitant de la Seconde République, Corm, qui n’est pas tendre avec la politique suivie, tout en abordant avec franchise et courage la période où il était lui-même ministre des Finances, se défend de régler des comptes personnels. « Je présente des faits, dit-il. Mis bout à bout, ils donnent une image négative, mais ce n’est pas là mon objectif. »
Corm tient toutefois à terminer son rapide exposé sur une note positive, en affirmant que malgré tous ses défauts, le Liban tient le coup, surtout comparé à ce qui s’est passé en ex-Yougoslavie. Il rend aussi hommage à ces milliers de personnes anonymes qui sont mortes sous les balles des francs-tireurs, pendant les années de guerre, parce qu’elles refusaient de se terrer et de ne plus faire leur travail. « C’est l’histoire de ceux-là qu’il faut écrire, ceux qui par leur sang ont voulu qu’un Liban nouveau émerge, au lieu de ne s’étendre que sur les cruautés qui ont été commises. »
L’assistance ne peut s’empêcher de poser des questions, tant les idées développées par l’ancien ministre l’ont secoué. Et un homme se lève pour déclarer : « Je suis né en 1920. Dans le recensement de 1932, j’ai été placé dans la case chiite. Et je crois malheureusement que je quitterai cette terre sans avoir su si j’étais aussi Libanais. » Il est longuement applaudi, mais une vague de tristesse plane sur les présents. Corm, lui, décide de réagir, s’élevant contre le prêt-à-penser que l’on sert actuellement aux Libanais, fatigués par 15 ans de guerre. « Mais cela fait treize ans que la guerre est finie, même si quelque part, nous sommes encore en guerre. Nous devons nous réveiller et cesser d’accepter de ne plus avoir de repère moral. L’argent tue les consciences. »
Corm termine en refusant les accusations de révolutionnaire portées contre lui. « Je suis un conservateur socio-démocrate », lance-t-il sérieusement. Des conservateurs avec un tel profil, on en redemanderait.

Scarlett HADDAD
Georges Corm ne peut pas rester tranquille. L’an dernier, il bousculait les idées reçues, sur un Orient spirituel et un Occident matérialiste, dans un ouvrage qui a eu un grand succès, en France notamment. Cette année, il récidive, en s’attaquant cette fois au « prêt-à-penser libanais », qui veut que la démocratie communautaire, rebaptisée consensuelle par M. Antoine...