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Société civile - La Commission européenne appuie un projet de dialogue national lancé par l’ONG « Mémoire pour l’avenir » Pour que le passé cesse d’envahir le présent

«On ne peut pas étouffer la guerre. » Fancisco Acosta, conseiller politique de la délégation de la Commission européenne au Liban, parle en connaissance de cause. Comme le Liban, l’Espagne a vécu une période de guerre civile qui a déchiré son tissu social. En présentant hier, au siège de la délégation européenne, avenue Charles Hélou, les deux projets immédiats du comité « Mémoire pour l’avenir » (un concert et une journée de dialogue), Acosta a n’a pas semblé chercher ses mots : « Sous la cendre, les braises ne sont pas éteintes. La méfiance entre les groupes sociaux persiste. Les jeunes doivent comprendre pourquoi leurs parents se sont entretués. »
Le responsable européen souligne que le projet du comité « Mémoire pour l’avenir », que la Commission européenne a accepté de financer à hauteur de 25 000 euros, ne s’insère pas strictement dans le cadre du dialogue euro-méditerranéen, mais il ajoute : « Nous pouvons tous apprendre de cet exercice de dialogue (...) Il faut montrer qu’au Liban, il y a des outils pour sortir de la haine. »
À son tour, Amal Makarem, présidente du comité « Mémoire pour l’avenir », prend la parole pour expliquer le sens de la démarche et fournir à la presse des détails des deux actions lancées pour le 13 et le 19 novembre : un concert et une journée du dialogue. Les deux activités se tiendront au palais de l’Unesco.
Six groupes libanais animeront le concert du 13 novembre : Soapkills, Mounir Khawli, Tania Saleh, Charbel Rouhana, Akss es-Seir (« à sens interdit ») et Prince K. Les groupes déploieront des styles très différents, mais seront unis dans l’art commun de la coexistence.

Une première
Quant à la journée de dialogue du 29 novembre, elle sera une première au Liban et revêt de ce fait une importance particulière. Il s’agira de faire venir face à face des étudiants de diverses universités (Université libanaise, USJ, Université arabe, AUB, LAU et certains de leur aînés qui ont vécu la période de la guerre. Entre les deux groupes, une équipe de modérateurs composée de professeurs universitaires et de journalistes. Des figures politiques et médiatiques feront partie du groupe des aînés interpellés, mais il n’y aura pas de combattants.
Au cours de la journée du dialogue, l’initiative de la parole appartiendra surtout aux jeunes. Il s’agira, pour leurs aînés, de répondre à leurs questions les plus brûlantes. Toutefois, les choses ne seront pas laissées à l’inspiration du moment, et des thèmes ont été sélectionnés parmi plusieurs centaines de questions que les jeunes ont pu poser soit directement, soit par l’intermédiaire d’un site mis à leur disposition :
questions@memoryforthefuture.com
Amal Makarem souligne que l’une des questions les plus fréquemment posées par les jeunes du Liban est : « Qui a gagné la guerre ? » C’est dire combien le sujet est sensible, explosif.
Cependant, dit-elle, les jeunes qui ont été sondés par le comité se divisent en deux groupes : ceux que ces questions obsèdent, et ceux qu’elles laissent parfaitement indifférents, qui ne se sentent pas concernés par une guerre faite par leurs parents et qui ne songent qu’à une chose : partir au plus vite, s’éloigner à jamais du Liban, à la recherche « d’un travail et d’une vie décente ».
Le comité « Mémoire pour l’avenir » va s’efforcer d’éviter les questions pièges. Il n’en estime pas moins fondamental pour l’avenir du Liban, le souvenir d’une guerre qu’on ne sait toujours pas comment nommer. La journée du 29 novembre va donc servir de laboratoire pour la suite de cette « catharsis sociale ».

L’isolement des jeunes
Amal Makarem se dit entre-temps « choquée par l’isolement total dans lequel vivent les jeunes du Liban, cloisonnés les uns des autres par des barrières physiques, comme les régions et les universités, et psychologiques, repliés sur leurs communautés et acceptant de mauvais gré de rencontrer des jeunes d’autres communautés ». Elle cite ce jeune étudiant en droit de l’Université arabe apparemment bon genre qui se dit « prêt à prendre les armes si la situation l’exige ».
La description de l’état d’abandon de la jeunesse libanaise que brosse Makarem est effrayante. Qui a tué Kamal Joumblatt ? Qui a tué Dany Chamoun ? Pourquoi n’a-t-on pas pu éviter la guerre ? La situation aujourd’hui n’est-elle pas comparable à ce qu’elle était en 1974 ? Telles sont les questions que se posent, effrayés, les jeunes d’aujourd’hui, qui redoutent d’instinct, on dirait, l’apparition d’un nouveau conflit.
« Pourquoi cette peur ? » s’interroge à haute voix la présidente de « Mémoire pour l’avenir », avant de répondre : « Parce que le Liban est un pays sans mémoire. Parce que les effets de la guerre continuent de nous accompagner, parce qu’il y a des parents qui attendent toujours leurs enfants, des handicapés, des combattants marqués dans leur chair et leur esprit par la guerre, parce que la haine est toujours là. »
La démarche de « Mémoire pour l’avenir » répond ainsi à deux préoccupations : la prévention des conflits (Amal Makarem dit : « Le passé a envahi le présent, c’est la plus dangereuse des invasions »), et l’émergence, aux côtés des communautés libanaises, d’une communauté nationale suffisamment solide. « Notre initiative est une initiative citoyenne, insiste la présidente du comité. Il est de mon devoir national de faire en sorte que la guerre ne se répète plus. »

Une initiative risquée
Pour certains, et notamment pour la majeure partie des membres de la classe politique, l’initiative est risquée et, en tout cas, prématurée. Dans certains milieux étudiants, on estime qu’il est nécessaire de parler du rôle de la Syrie durant la guerre. Or, pensent ces milieux, il est impossible de le faire tant que l’armée syrienne se trouve au Liban. Dans d’autres groupes, on estime en revanche que rendre compte de la guerre, c’est mettre en vedette le rôle pernicieux joué par Israël pour l’entetenir dans son propre intérêt.
Ainsi, il existe une dimension proprement politique du souvenir qu’il ne faudra manier qu’avec une extrême prudence, pour éviter que le projet de concorde que l’on lance ne fasse naufrage.
Francisco Acosta, quant à lui, affirme qu’il existe deux moyens seulement pour être quitte de la guerre : les tribunaux, comme on l’a fait par exemple au Rwanda et la catharsis sociale, comme ce fut le cas en Afrique du Sud. Les tribunaux étant exclus, il ne reste au Liban que la catharsis sociale. Mais pour qu’une telle démarche réussisse, ne faudra-t-il pas qu’à un moment ou l’autre, l’initiative de la société civile revête un caractère national ?
Fady NOUN
«On ne peut pas étouffer la guerre. » Fancisco Acosta, conseiller politique de la délégation de la Commission européenne au Liban, parle en connaissance de cause. Comme le Liban, l’Espagne a vécu une période de guerre civile qui a déchiré son tissu social. En présentant hier, au siège de la délégation européenne, avenue Charles Hélou, les deux projets immédiats du...