Rechercher
Rechercher

Actualités

ÉCLAIRAGE -Le principal pôle de l’opposition devrait se prononcer aujourd’hui contre la reconduction de Lahoud Plus de démons et de bourreaux : Kornet Chehwane respire, confirme et s’installe

La totalité ou presque des membres de Kornet Chehwane (KC) se réuniront aujourd’hui à 16 heures, à l’évêché maronite d’Antélias et en présence de leur trait d’union, de leur ciment, Mgr Youssef Béchara. Ils publieront à l’issue de leurs discussions un communiqué particulièrement attendu. Applaudi par les uns, moqué par les autres, notamment par une certaine partie – une partie certaine – de l’opposition même, combattu hargneusement par des troisièmes, manipulés et officialisés en cellule Hamad, le principal pôle de l’Est politique va sans doute confirmer dès cet après-midi ce à quoi il travaille vaillamment, difficilement, depuis près de trois ans. Qu’il est incontournable. Qu’il a réussi à instaurer dans le pays une ambiance, un climat, une certaine façon d’envisager la politique. Laquelle, avant KC, ne faisait que balbutier. Et que, s’il est ostensiblement écarté de toute décision prise au plus haut niveau, ses prises de position pèsent lourd sur l’opinion publique, toutes communautés confondues. Et à un an de l’élection du successeur d’Émile Lahoud à Baabda.
Le communiqué qui sera publié aujourd’hui intervient à un moment plus apaisé, certes, que les jours qui l’ont précédé, mais absolument déterminant pour la suite immédiate des événements. À tous les niveaux.
La situation interne d’abord : les performances et la praxis de l’Exécutif, qualifiées d’« insulte » crachées à la face des Libanais. KC – et c’est la règle du jeu – ne pourra que se jeter, avec boulimie, sur ce constat, d’autant plus que le pouvoir en place vient de lui faire, après l’incident de Bteghrine, un nouveau cadeau, bien doré celui-là : l’aveu publiquement confessé par l’Exécutif de sa propre incapacité à gérer le pays, sans tutelle syrienne et à moins d’un an de cette échéance présidentielle, qui se retrouve à chaque fois au cœur de tous les problèmes, de toutes les batailles. Quant au Parlement, il va se retrouver comme d’habitude otage des lubies, desiderata et autres calculs d’un chef d’orchestre revenu il y a quelques jours à peine de Damas : Nabih Berry.

Dans l’œil du cyclone US
Le communiqué de KC interviendra également au moment où la situation régionale est des plus délicates, compliquées. La Syrie, dont la tutelle sur le Liban a constamment été dénoncée par les 25 opposants, est dans l’œil du cyclone américain ; l’Irak est à feu et à sang ; la stagnation dans les territoires palestiniens est effrayante et les incidents entre le Hezbollah et Israël deviennent de plus en plus alarmants – Washington leur accorde d’ailleurs une singulière attention –, sans compter la toute récente attaque perpétrée par l’État hébreu contre un camp d’entraînement du Jihad islamique à 16 kilomètres de la capitale syrienne. Et à moins d’une hypnose collective, tous les membres de KC devraient, dans leur communiqué aujourd’hui, insister sur un double refus : prendre appui et parier sur Washington, prendre appui et profiter de Damas.
Quoi qu’il en soit, KC répète, depuis son premier communiqué, les mêmes antiennes, fait les mêmes mises en garde, remue sans cesse les couteaux dans la même plaie. Qu’un dialogue national doit se faire, qu’il est indispensable qu’il se fasse, à tous les niveaux, entre tous les acteurs de la scène politique locale. Que la page du passé doit être tournée et que cesse la politique des deux poids, deux mesures dont pâtissent notamment Michel Aoun et Samir Geagea. Qu’il faut sans plus tarder rééquilibrer les relations avec la Syrie. Qu’il faut impérativement rétablir l’entière souveraineté et la libre décision du Liban, lui redonner sa place, singulière, au sein de son environnement arabe, qu’il faut réinstaurer l’État de droit, de la démocratie, des libertés, redonner à la justice son indépendance. Cela fait près de trois ans que KC martèle, aussi, son attachement à une loi électorale saine, représentative, juste.
Qu’est-ce que KC peut dire de plus, à ce propos, dans le communiqué qu’il publiera aujourd’hui ? Sinon rappeler, encore une fois, en les dénonçant fermement les avortements pratiqués par le pouvoir à l’encontre des mains que le rassemblement a tendues. Sauf que KC ne s’est jamais résigné, même après chaque coup fourré du régime (la fermeture de la MTV, l’invalidation grotesque de la députation de l’un de ses membres, etc.), n’a jamais abandonné ses credos ou modifié ses chevaux de bataille. Rappeler cette réalité, cette constance, au bon souvenir des Libanais et de leurs dirigeants ne serait d’ailleurs pas une mauvaise chose.
KC ne se privera donc pas d’insister sur la ruine économique et politique du pays, et d’en désigner du doigt les principaux responsables : les pôles de l’Exécutif, à qui l’on doit le dysfonctionnement et la paralysie des institutions de l’État, le musellement de la presse, le clientélisme aigu, ou les scandales financiers énormes, de la taille de la banque al-Madina par exemple. Un pouvoir auquel on doit également l’absence de toute réforme, qu’elle soit politique d’abord, économique, sociale, administrative, environnementale, mais aussi, et surtout, morale. Voilà l’un des aspects sur lequel KC devra s’arrêter, forte, en ce qui concerne la quasi-totalité de ses membres, d’une intégrité indiscutable. Les Libanais, revenus de tout et surtout des promesses creuses, de l’égoïsme ou de la démagogie de leurs dirigeants, ne pourraient qu’être ne serait-ce qu’un poil plus sensibles à ce mot-là – morale – même si ce n’est pas cela qui va les aider à payer leurs factures.

Pouvoir de substitution
Dans le dernier – et retentissant – communiqué de KC, publié quelques jours après l’incident de Bteghrine, une place de choix avait enfin été faite, un nom avait enfin été donné, au but que (se) doit de réaliser un jour ou l’autre n’importe quelle groupe de l’opposition, dans n’importe quelle République parlementaire du monde : parvenir à un « pouvoir de substitution ». Constamment à la merci des banderilles de l’État et taraudé par ses propres démons, KC n’arrivait pas à cracher le morceau. Sauf qu’aujourd’hui, de l’ordre a été mis « dans la maison », et plus rien n’empêche les 25 d’évoquer d’une même voix l’urgence de ce « pouvoir de substitution », qui devrait obligatoirement naître de la décision et de la volonté des Libanais ; un pouvoir de substitution qui pourrait, au nom des citoyens et pour eux, questionner, demander des comptes, faire tout ce qui devrait être fait et qui ne l’a pas été depuis plus de dix ans. Pour cela, un respect total de la Constitution est indispensable, le refus de son amendement – notamment pour faciliter des intérêts personnels – indiscutable, et il est temps pour KC de se prononcer contre le renouvellement du mandat du chef de l’État.
Le fera-t-il ? Y aura-t-il un « non » clair et franc à toute tentative visant à reconduire Émile Lahoud à son poste ? Y aura-t-il unanimité, surtout après le « non » – nuancé officiellement mais catégorique off the record du patriarche Sfeir, le père spirituel de KC ? Surtout, aussi, que plusieurs pôles politiques, et pas des moindres, se sont déjà prononcés contre ? Surtout, enfin, que la majorité des Libanais, à en croire le sondage publié il y a une dizaine de jours par an-Nahar et qui confirme que 83 % des Libanais s’opposent à tout renouvellement ? Tout concourt à laisser croire que cette unanimité existe aujourd’hui au sein du rassemblement de l’opposition. Le plaidoyer pour le principe de l’alternance devrait ainsi nécessairement figurer dans le communiqué que KC publiera aujourd’hui.
Mais pour cela, il faut faire comprendre aux Syriens que ce n’est que par un rééquilibrage des relations bilatérales, que par un respect total de la souveraineté, de l’indépendance et de la libre décision de l’autre, que les deux pays seraient aptes à atteindre un niveau phénoménal de coopération et de solidarité. KC arrivera-t-il à faire comprendre à Damas qu’il est ainsi de son devoir, du devoir de tous les responsables syriens, de contribuer à assurer au Liban les circonstances nécessaires à cette alternance, à ce changement, que les 25 opposants défendent ? Et que cela devrait obligatoirement passer par un nouveau locataire de Baabda, accepté et voulu par « l’ensemble » des Libanais, chrétiens compris ?

Et les jeunes ?
Sincèrement et profondément préoccupé par la jeunesse libanaise, KC ne pourra pas se permettre – ni ne voudra – l’occulter dans son communiqué d’aujourd’hui. Cette jeunesse dont une partie importante lui échappe, parce que encore fascinée, modelée, influencée par le jusqu’au-boutisme souvent aveugle de Michel Aoun, KC doit certainement refuser qu’elle reste l’otage de la déformation et de la falsification permanente de l’accord de Taëf. KC doit certainement refuser que cette jeunesse continue d’émigrer, épuisée d’être quotidiennement accusée de tous les maux, rouée de coups. KC ne pourra que dénoncer, une nouvelle fois, le sacrifice conscient et volontaire par le pouvoir de cette jeunesse sur l’autel du clientélisme, des magouilles et de la dilapidation. Une jeunesse à laquelle l’ensemble des dirigeants impose de payer le prix de leur propre suivisme, de leur facilité à hypothéquer le pays et les citoyens qu’ils dirigent.
Il n’empêche. Après avoir sérieusement souffert de ses luttes intestines, de sa faible cohésion, de la vulnérabilité née des priorités de tel ou tel de ses membres – ils sont presque tous maronites, donc présidentiables – ; après avoir été la cible des accusations de mollesse, de gâtisme et d’incapacité, proférées souvent par des opposants farouches ; après avoir été au cœur de toutes les tentatives d’assassinat politique fomentées avec roublardise par le pouvoir en place (aujourd’hui, c’est l’inverse : le régime-bourreau, phagocyté et vampirisé par ses luttes internes, multiplie, pas très intelligemment même si cela serait trop lui demander, d’indispensables cadeaux à l’opposition), Kornet Chehwane assure aujourd’hui. En continuant, comme une tique, à placer au cœur du débat les véritables priorités pour le Liban.
À KC donc de tout faire pour préserver sa cohésion, sa raison d’être. À KC de gérer au mieux sa relation avec Michel Aoun, avec les aounistes, avec les aouniens. À KC de prendre en compte les diverses pressions auxquelles continue de faire face son allié « naturel », Walid Joumblatt. À KC de convaincre des ténors musulmans de la trempe d’un Hussein Husseini ou d’un Omar Karamé que le pouvoir qu’ils fustigent n’est pas « uniquement » composé de Rafic Hariri, mais qu’Émile Lahoud y occupe une place de choix. À KC de tout faire pour hâter l’avènement de ce pouvoir de substitution dont ses membres feront nécessairement partie. À KC enfin, et surtout, de prouver à ce moment-là, qu’il est suffisamment fort et conséquent avec lui-mêmes pour ne pas devenir, une fois au pouvoir, l’affligeant clone de tous ceux qu’il dénonce depuis trois ans.

Ziyad MAKHOUL
La totalité ou presque des membres de Kornet Chehwane (KC) se réuniront aujourd’hui à 16 heures, à l’évêché maronite d’Antélias et en présence de leur trait d’union, de leur ciment, Mgr Youssef Béchara. Ils publieront à l’issue de leurs discussions un communiqué particulièrement attendu. Applaudi par les uns, moqué par les autres, notamment par une certaine...