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Opinion Montesquieu, place de l’Étoile !

Nous recevons de M. Ziyad Baroud, avocat, consultant du Pnud pour les questions de gouvernance locale et de décentralisation, et chargé de cours à l’USJ, l’article suivant concernant l’amendement de la loi sur les municipalités :
Notre commission parlementaire de l’Administration et de la Justice ne se laisse pas impressionner par l’Esprit des lois de Montesquieu. Elle vient de le prouver en modifiant le projet de loi sur les municipalités, notamment quant à l’élection du président. Et si d’après Montesquieu, « il ne faut point faire de changement dans une loi sans une raison suffisante », une « raison d’État » (que le commun des mortels ne saurait mesurer) a bouleversé, semble-t-il, l’espoir de voir notre démocratie locale aller vers un suffrage direct qui permettrait aux citoyens de choisir, par un vote direct et sans autre interposition, « Monsieur le maire » président de leur municipalité.
Cette « culture de l’interposition » n’est pourtant pas nouvelle pour s’en étonner. Et la « résistance » de la commission (ou de la majorité ponctuelle circonstancielle des députés qui la composent) ne fait que retracer l’itinéraire raté de l’élection directe.
En effet, en 1963, les premières élections municipales générales ont eu lieu. La loi municipale du 29 mai 1963, alors en vigueur, stipulait en son article 39 que « le conseil municipal élit parmi ses membres (...) un président et un vice-président par un vote secret et à la majorité relative ». Les municipales de 1963 se sont ainsi déroulées sous l’empire de ce système de démocratie indirecte.
En 1977, la nouvelle loi municipale (D-L n° 118/1977) survenant dans la marée des lois exceptionnelles prorogeant le mandat des conseils municipaux (élus en 1963) est venue innover en prévoyant l’élection du président et du vice-président au suffrage direct, tout comme les autres membres des conseils municipaux (article 68). Mais la prorogation systématique des mandats de ces conseils n’a pas permis de « tester » l’efficacité de cette innovation.
En 1997, quelques mois avant les élections municipales de 1998 (survenues après annulation par le Conseil constitutionnel de la loi de prorogation), le législateur est intervenu en votant une loi spéciale modifiant quelques dispositions de la loi de 1977 en vigueur. Et, comme par hasard, ces quelques modifications – dont l’essentiel était technique – ont atteint l’innovation, restée lettre morte. Ainsi la loi 665 du 29/12/1997 devait inviter les électeurs à choisir les membres du conseil municipal en les chargeant, par la force de la loi, de choisir eux-mêmes, et parmi eux, un président ! Les municipales de 1998 se sont déroulées de la sorte.
Le 6 août 1999, un projet de loi sur les municipalités conserve la même tendance.
Le 1er novembre 2001, le quotidien libanais An-Nahar publiait in extenso le nouveau projet de loi sur les municipalités proposé par le ministre de l’Intérieur Élias Murr. Le projet reprend en substance les dispositions de l’ancien article 68 de la loi instituant le suffrage direct. Les réactions favorables (à cette tendance en particulier, réserves mises de côté quant au texte dans son intégralité) n’étaient pas des moindres.
Le 6 courant, la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice, réunie pour poursuivre l’examen du projet de loi, renverse les choses et opte pour le système de 1963 revisité. Sur treize députés présents, quatre seulement (Nehmétallah Abi Nasr, Ahmed Fatfat, Fouad es-Saad et Bassem es-Sabeh) ont maintenu une position favorable à la démocratie directe.
Bientôt, l’hémicycle aura à trancher. La Chambre réunie devra se prononcer sur un aspect de notre démocratie locale qui pourrait paraître, aux yeux de certains, négligeable, insignifiante, mais dont l’incidence est en réalité directe et gouverne la forme et l’efficacité de nos municipalités pour les mandats à venir.
Voici quelques arguments :
1- L’élection du président de la municipalité au suffrage direct constitue un exercice réel de la démocratie, alors que le scrutin à deux degrés risque souvent de fausser la représentation, à cause justement du phénomène d’interposition.
2- Les prérogatives (très larges) dont jouit le président de la municipalité en vertu de la loi sont distinctes et indépendantes de celles reconnues au conseil réuni. Ainsi le « maire » ne peut être conçu comme étant simplement un président du conseil municipal, mais plutôt comme président de municipalité. Et à ce titre, il serait plus logique d’élire telle personne délibérément pour exercer telles prérogatives, plutôt que de laisser les choses au hasard et aux alliances quelquefois bizarres et incohérentes.
3- Le système de 1963 pourrait aboutir à des catastrophes, compte tenu de la « psychologie de la chose publique locale » : dans un conseil formé de 12 membres, il n’est pas inconcevable de trouver 5 candidats à la présidence. Et comme le système de troïka n’est toujours pas en vogue au sein des municipalités, il va falloir que l’un d’eux seulement accède au pouvoir exécutif municipal. Et du coup, les quatre autres vont soit bouder le conseil et s’absenter dès la première réunion, soit rester pour rendre la vie difficile au rival. L’option pour la présidence dès le départ est plus saine. (En 1997, à la veille de l’amendement de la loi, sur 2 750 candidats, on décomptait 2 350 pour la présidence !)
Que quelqu’un nous dise donc pourquoi la démocratie locale succombe souvent sous les coups de lois à refaire... « Justinien ordonna, poursuit Montesquieu, qu’un mari pourrait être répudié sans que la femme perdît sa dot si, pendant deux ans, il n’avait pu consommer le mariage. Il changea la loi, et donna trois ans au pauvre malheureux. Mais, dans un cas pareil, deux ans en valent trois, et trois n’en valent pas plus que deux... »
Ziyad BAROUD
Avocat à la cour
Nous recevons de M. Ziyad Baroud, avocat, consultant du Pnud pour les questions de gouvernance locale et de décentralisation, et chargé de cours à l’USJ, l’article suivant concernant l’amendement de la loi sur les municipalités :Notre commission parlementaire de l’Administration et de la Justice ne se laisse pas impressionner par l’Esprit des lois de Montesquieu. Elle...