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éclairage - La première grève générale depuis sept ans a montré les limites de la centrale syndicale Le Hezbollah, un interlocuteur social à la place de la CGTL ?

Le président de la CGTL, Ghassan Ghosn, était sans doute sincère dans son désir de mobiliser les foules et de sensibiliser les Libanais sur leurs droits sociaux, indépendamment de leur appartenance partisane ou confessionnelle. Mais le résultat, si l’on tient compte du peu d’enthousiasme des citoyens à faire la grève et à descendre dans la rue, hier, a été bien peu probant.
Même les problèmes qui affectent directement leur quotidien ne semblent plus intéresser les Libanais. Soit ils ne croient plus à l’utilité de procéder à des revendications sociales, soit ils ne sont plus convaincus que la CGTL est le cadre idéal pour obtenir gain de cause. Et, dans les deux cas, la situation est grave.
Lorsqu’un peuple ne croit plus à l’utilité de présenter des revendications sociales, c’est qu’il ne se sent plus lié à l’État auquel il est censé appartenir. Les individus qui le composent n’ont plus aucun sentiment d’appartenance à une collectivité et croient que c’est tout seuls qu’ils peuvent préserver leurs intérêts.
Dans le second cas, c’est une institution laïque, en principe destinée à rassembler le peuple, qui est en train de disparaître. Une de plus, diront certains. Peut-être, mais sans doute la plus importante, parce que la seule qui aurait pu permettre la reconstruction d’un État moderne, proche du peuple et non confessionnel.
Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si le pouvoir n’a cessé depuis 1992 de mener une guerre sans merci contre la centrale syndicale. Avec la politique systématique d’endettement et le peu d’enthousiasme des gouvernements successifs à présenter des prestations sociales, il était normal, dans la logique des gens du pouvoir, de chercher à museler la seule institution qui pouvait rassembler chrétiens et musulmans, classe moyenne et couches sociales pauvres, bref, tout ce qui peut ébranler le pouvoir en place.

Une guerre systématique
contre la centrale
Scission, actions en justice, discrédit systématique, aucun moyen n’a été négligé pour aboutir à la neutralisation totale de la centrale syndicale. Et, lorsque le pouvoir a réussi à briser les fortes têtes, il s’est empressé d’introduire au sein de la CGTL des syndicats qui lui sont acquis, contrôlant par leur biais toute action future des travailleurs.
C’est dans ce paysage sinistré que M. Ghassan Ghosn a été élu à la tête de la CGTL et au point où on en était, lui ou un autre, cela ne faisait plus la moindre différence. Ghosn n’est plus là que pour le symbole, le vrai pouvoir, au sien de la CGTL, est détenu par les syndicats relevant du mouvement Amal (dont l’ancien chef de la centrale, M. Élias Abou Rizk, avait refusé l’adhésion, ce qui lui avait valu son poste) et ceux relevant du courant du président du Conseil. Les forces traditionnelles, notamment le PCL et les mouvements de gauche, sont devenus minoritaires et la CGTL n’est plus aujourd’hui que le reflet du gouvernement, ou de l’État en général, tiraillée entre les différents courants politiques et confessionnels. D’ailleurs, chaque initiative prend désormais un temps fou avant d’être décidée, chaque syndicat ou fédération devant consulter « ses patrons » et tenir compte de leurs intérêts avant de voter dans un sens ou dans un autre.
Par contre, les intérêts du peuple passent désormais en dernier. Ce n’est d’ailleurs plus un secret qu’avant toute démarche de la CGTL, les membres du son conseil central font la tournée des pôles politiques et des leaders religieux pour obtenir leur aval, car à elle seule, la CGTL n’a plus de force mobilisatrice et elle en est réduite à faire appel aux partis et aux hommes de religion.
Dans ce contexte, M. Ghosn a beau menacer le gouvernement de toutes les foudres du peuple, il ne fait plus peur à personne, ce dernier ayant l’illusion que ce sont les leaders ou les hommes de religion qui lui assureront ses intérêts, au moins sur le plan individuel. La grève d’hier a donc montré les limites de l’action de la CGTL. Et, derrière les fenêtres opaques du siège du Conseil des ministres, les membres du gouvernement ont dû regarder avec satisfaction cette foule peu motivée, hurlant pour la forme et en tout cas inoffensive.
Par contre, ce qu’ils n’ont peut-être pas vu, c’est l’émergence d’un pouvoir syndical au sein du Hezbollah. « Travailleurs unissez-vous, Travailleurs, réveillez-vous»”, scandaient hier des hommes et des femmes vêtus de noir et portant des drapeaux jaunes. On aurait cru entendre les « forces ouvrières » d’un PC à l’apogée de son pouvoir. Ce n’était que la voix de la nouvelle fédération créée par le Hezbollah. Organisés, disciplinés, strictement encadrés et munis d’un lot de slogans qui auraient fait pâlir d’envie les gauchistes du monde entier, les manifestants du Hezbollah ont montré qu’ils pouvaient prendre le relais de la CGTL et se faire le véritable porte-parole des couches défavorisées et oubliées par ceux qui se partagent le pouvoir et ses trésors.
Après avoir damé le pion aux partis politiques laïcs, voilà le parti religieux par excellence qui s’approprie les slogans sociaux et révolutionnaires, tentant de remplir le vide laissé par une CGTL totalement neutralisée et sous la coupe du ou des pouvoirs politiques.
Le dernier bastion de la laïcité est en train de tomber, dans l’indifférence totale d’une population trop affaiblie par ses soucis pour mesurer l’ampleur de la catastrophe. Le pouvoir, lui, peut dormir en paix. Il a cueilli hier les fruits de plus de dix années d’une guerre sans merci contre la CGTL. Mais le Hezbollah comme interlocuteur social sera-t-il plus facile à neutraliser ?

Scarlett HADDAD
Le président de la CGTL, Ghassan Ghosn, était sans doute sincère dans son désir de mobiliser les foules et de sensibiliser les Libanais sur leurs droits sociaux, indépendamment de leur appartenance partisane ou confessionnelle. Mais le résultat, si l’on tient compte du peu d’enthousiasme des citoyens à faire la grève et à descendre dans la rue, hier, a été bien peu...