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PARLEMENT - Les tiraillements entre les pôles du pouvoir, thème récurrent des interventions d’hier Un hémicycle défouloir pour députés en quête de légitimité

«Les interventions des députés ne sont qu’une façon de se défouler. » Pour une fois heureuse, l’intervention de Ghassan Moukheiber a résumé l’état d’esprit de la majorité des députés – ils étaient 23 à se succéder au micro – qui se sont exprimés hier place de l’Étoile. Sans compter celles et ceux qui ont décidé de ne pas le faire. Se défouler donc, surtout que Nabih Berry, en apprenti Hitchcock, fait traîner la date d’une éventuel débat de politique générale qu’il est le seul à pouvoir programmer, et que l’ensemble des parlementaires, en quête effrénée de légitimité, réclament depuis des mois, en vain, à cor et à cri. Et la séance d’hier ressemblait à s’y méprendre à un débat de politique générale.
Les tiraillements interprésidentiels, la corruption, le budget 2004 « absolument pas à la hauteur », le « désistement » de la Chambre (l’autocritique a été parfois assez ferme : une belle surprise de la part de certains députés habitués beaucoup plus à ronfler et râbacher les mêmes antiennes qu’à mettre le doigt sur la plaie), l’attaque israélienne contre la Syrie ; voilà, en gros, les sujets qui ont été au centre des interventions des députés. Dont certains n’ont pas hésité à s’en prendre nommément et directement à Émile Lahoud et à Rafic Hariri.
Implacable, comme à son habitude, Boutros Harb est le premier à prendre la parole. Pour rappeler haut et fort que ce sont les tiraillements entre les différents pôles du pouvoir qui ont fait que la situation du pays est aujourd’hui « la pire qui soit ». Que ce soit sur le plan politique, économique, social, ou que cela ait rapport avec la Constitution, la légalité, le droit et la justice, ou l’Administration. « Aucun secteur n’a été épargné », assure-t-il, soulignant que plus personne « n’est au courant de ce qui se passe dans le pays ou comment celui-ci est géré ». Il dénonce ainsi l’Exécutif, « qui évite de se réunir », alors que la Constitution le lui impose, afin qu’il exerce – ou tente de le faire – ses prérogatives. Et s’il ne se réunit pas pour gérer et diriger le pays, c’est à cause, dit Boutros Harb, « des divergences d’opinions entre le chef de l’État et le Premier ministre ». Sauf que lorsqu’il le fait, c’est « pour éviter les reproches, sauver les apparences, expédier les affaires courantes ou régler quelques points futiles, le tout dans une ambiance, tendue, de cris et de tiraillements ».
Le député du Batroun s’attaque ensuite à Émile Lahoud puis à Rafic Hariri (voir encadré). Le premier, dit-il, « brandit des slogans de réforme et essaye de faire croire que c’est sérieux, alors il multiplie ses visites d’inspection sur le terrain. Sauf qu’aucun membre de l’Exécutif n’abonde dans son sens ; certains d’entre eux vont même jusqu’à qualifier ces visites de purement formelles et d’anticonstitutionnelles ». Il n’épargne pas non plus les ministres – loin de là –, accusant chacun d’entre eux, ou presque, de travailler « pour son propre compte », sans qu’aucun d’entre eux ne sache ce que l’autre est en train de faire. « À chaque ministre son émirat, sa boutique, son bureau électoral, et un département des adjudications rien qu’à lui, et grâce auquel il privilégie ses magouilles au détriment de l’intérêt général », assène-t-il, provoquant quelques gros murmures de réprobation dans les travées de l’hémicycle. Il s’en prend d’ailleurs nommément au ministre des Finances, Fouad Siniora, désormais véritable tête de Turc de la place de l’Étoile – « il a décidé de punir tout le peuple libanais parce qu’il a échoué, et le gouvernement auquel il appartient également, à faire ce pour quoi il s’était engagé devant la communauté internationale » –, ainsi qu’à son collègue aux Travaux publics et aux Transports, Négib Mikati. Accusé de distribuer l’asphalte à des voies privées ou à certaines ruelles, « alors que les routes principales manquent de tout entretien ».
« Sommes-nous arrivés au point de voir chaque citoyen devenir un véritable mendiant ? Le gouvernement n’est plus au service de la patrie, de l’État ou du citoyen, il se cache derrière de grands et dangereux slogans du genre “Nous sommes face à une crise du pouvoir et non une crise de gouvernement” », accuse celui qui est désormais l’un des piliers de l’opposition, dans une allusion claire et nette aux récents propos du n° 2 de l’État, Nabih Berry. « Il n’est pas question d’une crise de pouvoir, monsieur le président Berry, mais d’une crise d’hommes, de morale, de patriotisme. Les parents mangent le raisin vert et les enfants en souffrent », dit-il à l’adresse du chef du Législatif, citant un passage de la Bible. « Il est temps que l’on reconnaisse également que si le pays a atteint un tel niveau, c’est en partie à cause du silence du Parlement. Ce silence est anticonstitutionnel, et parfois, complice », déplore Boutros Harb, regrettant que Nabih Berry n’ait pas tenu sa parole : organiser un débat de politique générale et de questions et d’interpellations du gouvernement.
Robert Ghanem prend ensuite la parole, en commençant par marteler que l’agression israélienne contre la Syrie est « un acte terroriste en violation avec toutes les législations du monde, l’équivalent d’une agression contre n’importe quel État arabe ». Puis il se livre à un véritable et nécessaire plaidoyer en faveur des jeunes, qu’il a exhortés à ne plus quitter le Liban, à construire un État « capable d’en finir avec une corruption générale et pandémique ». Tout en rappelant l’urgence d’une justice « propre », et celle de voir le Parlement questionner et contrôler le gouvernement. Son collègue du Akkar, Mikhaïl Daher, estime pour sa part que l’attaque contre la Syrie est « une attaque contre le Liban » – suivi en cela par son collègue Mohammed Yéhia –, pour évoquer ensuite l’élection des membres du Conseil constitutionnel « le plus tôt possible ». Réponse particulièrement laconique de Nabih Berry : « Nous allons en parler. »
Les députés du Kesrouan et de Jbeil, Farid el-Khazen et Nazem el-Khoury, ont successivement déploré les tiraillements entre les pôles de l’Exécutif. « Nous voulons savoir sur quoi portent ces conflits. Sur une vision, un programme pour le pays ? Nous nous devons de contrôler, de questionner, nous ne pouvons plus rester spectateurs, nous avons des comptes à rendre, et nous ne comprenons plus rien. Les gens ne font pas la différence entre un ministre et un député », affirme Nazem el-Khoury. Même son de cloche pour le député du Liban-Nord, Kayssar Moawad : « Il est inadmissible que la Chambre continue de payer le prix de la politique suivie par le pouvoir – une politique qui fait des députés aujourd’hui les otages des tiraillements » entre les présidents. « Nous devons tout faire pour que cesse ce jeu, ces tiraillements », ajoute-t-il à l’adresse de Nabih Berry. Pareil pour le député du Chouf, Élie Aoun, pour qui « un éveil parlementaire » est désormais plus qu’urgent, et qui met en garde contre un désistement de leur rôle par les parlementaires. « Notre ambition est de donner au Parlement un rôle pionnier, capable de répondre aux politiques suivies actuellement, ainsi qu’aux tiraillements lunatiques dont pâtissent tous les Libanais. »
L’attaque israélienne contre la Syrie est ensuite, de nouveau, au centre de l’intervention de Nader Succar, pour qui « la solidarité et la coordination avec la Syrie sont un choix stratégique » – idem pour Jamal Ismaïl et Abdel-Rahmane Abdel-Rahmane. Le très berryiste Ali el-Khalil demande aux pays arabes et amis de « ne plus se contenter de condamner, mais d’agir, efficacement et d’une façon responsable », puis s’arrête sur le budget 2004, « bien loin du niveau des exigences requises, que ce soit sur le plan économique, social ou en ce qui concerne les réformes – ne serait-ce que celles de Paris II ». Son collègue hezbollahi, Abdallah Cassir, juge cette loi de finances de « démissionnaire », demandant également pourquoi toute une série de lois adoptées en Chambre n’ont toujours pas été exécutées. Il estime, en outre, que l’attaque israélienne contre la Syrie est « une violation de toutes les lignes rouges », et qu’elle impose une unité interne, un resserrement des rangs. Il insiste sur la concomitance des volets avec la Syrie. Également membre du bloc Hezbollah, Hussein Hajj Hassan affirme qu’il n’y a plus d’institutions, et qu’à leur place, se sont installés les conflits et les tiraillements entre les présidents. « Tout est en crise, et cela empire », dit-il, évoquant pêle-mêle l’agriculture – « même le ministre va finir par manifester avec les agriculteurs » –, l’industrie, le tourisme, l’électricité, les carrières, les vans circulant au mazout, les biens-fonds maritimes, le cellulaire ou l’affaire al-Madina. En excellent tribun qu’il est – certes un tantinet démagogue –, il aura également cette phrase incontournable : « À chaque fois que je parle à des électeurs, des Libanais, j’ai cette peur terrible qu’ils ne croient pas un mot de ce que je dis, alors que je ne suis responsable de rien. » À méditer. Par tous les dirigeants du pays.
Le député de Tripoli, Mohammed Safadi, estime, à son tour, que la réforme ne peut commencer sans une loi électorale équitable pour tous, ni le développement équilibré sans une loi moderne pour les municipalités. L’ancien ministre de l’Intérieur, Béchara Merhej, commence par évoquer le problème des coopératives au Liban, s’arrêtant ensuite sur la solidarité et l’alliance « totales » avec la Syrie, ainsi que la nécessité d’une position libanaise unie. Le député de Saïda, Oussama Saad, dénonce l’absence de toute vision au sein de l’Exécutif, lequel « a échoué dans son programme de réformes, laissant à la corruption toute la place qu’elle continue d’occuper ». Il annonce en outre qu’il ne participera pas au vote sur les projets de loi, aujourd’hui et demain place de l’Étoile.
La réaction la plus virulente à l’attaque par l’État hébreu en territoire syrien vient du porte-parole quasi officiel des hommes politiques libanais tout entiers dévoués à Damas. Nasser Kandil estime ainsi qu’« il ne suffit pas de se contenter de condamner » cette attaque. Pour lui, ce sont les États-Unis qui ont donné le feu vert à Israël « pour mener à leur place » la guerre qu’ils voudraient mener contre la Syrie. Il émet enfin un bien étrange souhait : que « le niveau politique libanais soit en accord avec l’échéance des six prochains mois », qu’il y ait « un consensus » autour du concept de résistance, allant même jusqu’à demander à ce que l’on reconsidère les accords d’avril entre le Liban et l’État hébreu.
Ghassan Moukheiber, pour sa part, condamne l’attaque israélienne, en rappelant la nécessité de rééquilibrer les relations libano-syriennes. Il insiste ensuite sur une autre nécessité : celle de redynamiser l’action du Parlement, « grâce à la tenue de séances plénières régulières et à intervalles rapprochés : les interventions des députés ne suffisent pas, et on ne peut demander des comptes au gouvernement qu’au cours de débats de politique générale. L’absence de ces débats équivaudrait ainsi à une complicité du Parlement ». Un mot qui, même s’il sonne fort juste, a été rayé du procès-verbal de la séance d’hier, sur injonction de Nabih Berry.

Ziyad MAKHOUL
«Les interventions des députés ne sont qu’une façon de se défouler. » Pour une fois heureuse, l’intervention de Ghassan Moukheiber a résumé l’état d’esprit de la majorité des députés – ils étaient 23 à se succéder au micro – qui se sont exprimés hier place de l’Étoile. Sans compter celles et ceux qui ont décidé de ne pas le faire. Se défouler donc,...