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Commémoration Lettre posthume au père Youakim Moubarak

Par Riad Fouad Saadé

M. Riad Fouad Saadé, économiste libanais de renom, rend hommage dans les lignes qui suivent à la mémoire de Youakim Moubarak, décédé le 24 mai 1995. Dans cette « lettre posthume », il s’adresse à Youakim Moubarak pour évoquer, notamment, les efforts déployés par le disparu et par un groupe de laïcs en vue de mettre sur pied le projet de Coopérative libanaise pour le développement (CDL), visant à développer et faire fructifier les biens de l’Église maronite.
Très révérend père et regretté ami, (1)
Des camarades de classe préparatoire aux Grandes Écoles m’avaient entraîné à vos prêches à Saint-Séverin à la fin des années cinquante. Vous impressionniez cette jeunesse en quête de foi.
Trente ans plus tard, c’est en 1989, dans l’avion de Larnaca à Paris que nous nous retrouvions, vous, secrétaire général de trois institutions de l’Église : du Concile libanais, de l’Assemblée générale des patriarches et evêques catholiques, du patriarcat maronite d’Antioche et de tout l’Orient, moi, économiste du développement ayant réussi à la tête de ses entreprises de nombreux et parfois prestigieux projets dans le secteur privé, toujours avide de servir la communauté mais ne sachant comment.
Vous m’offriez de vous assister avec d’autres maronites de bonne volonté dans un projet qui visait à « transformer l’Église maronite, d’une Église assistée depuis 4 siècles » en une Église indépendante sur le plan matériel.
Bien que vous reconnaissiez à l’assistance du Vatican des bienfaits appréciables, vous souligniez la perte d’identité de notre Église maronite fortement affaiblie de ne plus pouvoir s’autosuffire.
Fils de cette terre, né dans un village reculé de la vallée Sainte, vous connaissiez les ressources importantes dont dispose notre Église au Liban et dans le monde. Sans la citer, il m’a semblé que vous étiez hanté par la Parabole des Talents.
Pour vous, fructifier les biens de l’Église n’était pas seulement une mission, c’était un devoir sacré.
En janvier 1991, NN.SS. les évêques réunis en synode à Bkerké décidaient la création d’un établissement financier destiné au développement des biens de l’Église.
Pendant neuf mois, vous avez hebdomadairement réuni à Bkerké tous les experts maronites capables de concevoir ce projet. Vous avez créé une synergie rare dans les cercles de notre communauté.
La participation de tous aboutit à un modèle de Coopérative de dépôt et de crédit répondant aux aspirations du Synode.
Le 11 septembre 1991, alors que le projet était fin prêt, NN.SS. les évêques – bien que tous présents à Bkerké pour leur réunion mensuelle – n’assistèrent pas à ce qui aurait dû être l’assemblée constituante de la Coopérative libanaise pour le développement (CDL). Les laïcs présents, tous bénévoles et heureux de participer à un projet vital pour l’avenir de notre communauté, en furent bouleversés. Jusqu’à ce jour, certains se demandent pourquoi une décision importante, suivie par un travail profond et promis au succès, pourquoi neuf mois plus tard des prélats constamment tenus au courant de l’avancement de nos travaux et qui ne cessaient de nous prodiguer leurs encouragements, pourquoi ont-ils laissé tomber ce projet vital ?
Vital ?
Car l’état de l’Église maronite (clergé et laïcs) après 16 ans de guerres et 1 an de « paix » exigeait des décisions fondamentales visant à garantir l’avenir.
Car dans le programme de « reconstruction du Liban », notre communauté se devait d’avoir un projet solide, à l’échelle nationale, confirmant l’importance motrice des maronites dans l’avenir économique, social et politique du Liban.
Car la « paix » tant souhaitée par tous les Libanais s’est faite aux dépens des Maronites et qu’elle ne présageait rien de bon pour leur avenir et qu’il fallait – pour le bien du Liban – qu’ils réagissent.
C’était ça la Coopérative libanaise pour le développement !
Était-il interdit au clergé de décider la préparation d’un tel projet et aux sommités laïques qui ont participé à le concevoir, de remplir leur rôle bénévole et désintéressé au service de leur communauté ?
Toujours est-il que ce 11 septembre 1991 les laïcs décidèrent de poursuivre seuls le projet avec l’espoir que les principaux intéressés (évêques et supérieurs généraux) se rallient par la suite et lui redonnent son vrai sens.
Si à l’assemblée générale du 17 avril 2003, le C.A et la direction de la CLD ont mérité les éloges de l’unanimité des membres présentes, c’est pour avoir fait preuve d’une gestion exemplaire d’une entreprise de mini crédits, qui n’a hélas rien à voir avec l’objet initial de cette institution.
Très révérend père et regretté ami,
Le développement n’est pas la somme d’une multitude de projets (et il y en a tout plein depuis 1991 au sein de l’Église maronite dont certains sont très réussis).
Le développement est la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître, cumulativement et durablement, son produit réel global.
C’est pour ce changement de mentalité que vous avez œuvré avec patience et obstination. C’est pour lui que nous avions travaillé à Bkerké pendant neuf mois consécutifs pour élaborer notre projet.
Il était appelé à participer au sauvetage des maronites, à les placer sur la trajectoire du développement et à leur permettre d’acquérir progressivement une force propre, requise pour faire face avantageusement aux flux et reflux, venus d’Orient comme d’Occident, et qui assaillent notre Liban.
Très révérend père et regretté ami,
Depuis 1991, le Liban a bénéficié d’un événement aussi rare que gigantesque pour notre pays : le synode pour le Liban, convoqué par S.S. Jean-Paul II le 12/6/91.
Le bâtonnier Michel Khattar affirme qu’il n’a jusqu’à présent connu aucun maronite décidé à émigrer et qui aurait changé d’avis pour rester au Liban, après la lecture de l’Exhortation apostolique adressée par le pape aux fidèles du Liban.
Il est triste de voir qu’après 12 ans, nous, maronites du Liban, n’ayions pas su ni pu bénéficier de cet évènement.
Très révérend père et regretté ami,
En 1998, l’Assemblée des évêques maronites a décidé de relancer le Concile maronite dont vous étiez le secrétaire général il y a près de 13 ans et qui n’avait pas eu de suite en son temps.
La présence d’un éminent prélat à la tête de ce concile et d’une équipe dynamique autour de lui encourage les vétérans (encore vivants) à reprendre le flambeau.
Si le Liban de 2003 n’est plus celui de 1991, si les maronites désemparés et sans projet n’ont fait que gérer la crise et subir les conséquences dramatiques de leur marginalisation, notre foi alliée à notre « nature » font que nous restons attachés à la vertu de l’éspérance, mot-clé de l’Exhortation apostolique de S.S. Jean-Paul II.

(1) Je ne peux m’adresser à Youakim Moubarak comme à un être décédé. Ce genre d’hommes ne meurt pas, il reste vivant dans l’esprit de ceux qui l’ont côtoyé. Je regrette seulement de ne plus pouvoir dialoguer avec lui.
Par Riad Fouad SaadéM. Riad Fouad Saadé, économiste libanais de renom, rend hommage dans les lignes qui suivent à la mémoire de Youakim Moubarak, décédé le 24 mai 1995. Dans cette « lettre posthume », il s’adresse à Youakim Moubarak pour évoquer, notamment, les efforts déployés par le disparu et par un groupe de laïcs en vue de mettre sur pied le projet de Coopérative...