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INTERVIEW - « Je suis aussi l’ami d’Israël », dit l’ex-président indonésien à « L’Orient-Le Jour » Wahid : La « feuille de route » est bloquée parce qu’elle n’est pas assez « culturelle »

Il a été le premier président indonésien élu. C’était en 1999, après la chute de l’interminable régime autoritaire de Suharto, puis l’intermède Jusuf Habibie. Sauf qu’Abdurrahmane Wahid n’a occupé la première magistrature indonésienne que pendant près de dix-huit mois : il a été destitué en juillet 2001, remplacé par sa vice-présidente, la très laïque et pro-occidentale Megawati Sukarnoputri, la fille du fondateur du Parti nationaliste indonésien. Les raisons de cette destitution : sa répression extrêmement controversée des mouvements indépendantistes des provinces d’Acèh et de l’Irian Jaya, son incapacité à régler plusieurs conflits internes et son manque de volonté politique pour enrayer la corruption.
Aujourd’hui, Abdurrahmane Wahid a quitté son fauteuil roulant, mais a toujours besoin d’une épaule ou d’une main pour marcher. Quant à sa cécité, elle ne l’empêche pas, visiblement, de scruter les sphères politiques et ce qui s’y passe avec beaucoup d’acuité, de lucidité, de courage (ou de téméraire provocation) et d’assurance. Il se prépare avec une détermination féroce à la présidentielle de juin 2004, où il compte bien reprendre sa place à Megawati – son parti, la Nahdat el-Oulama’, compte près de soixante millions d’adhérents, des musulmans modérés disent les uns, conservateurs prétendent d’autres –, sans que cela ne l’empêche, entre-temps, de participer à des colloques aux quatre coins de la planète (il y a quelques jours à Paris, aujourd’hui à Beyrouth, à l’initiative conjointe du centre Louis-Joseph Lebret et de l’Institut libanais de développement économique et social). Ou de répondre, en exclusivité et d’une façon souvent très surprenante pour l’ex-dirigeant du plus grand pays musulman du monde (près de 187 millions de mahométans sont Indonésiens), aux questions de L’Orient-Le Jour.
Le 11 septembre a changé le monde. Vous êtes d’accord ? « Oh oui ! » Pourquoi ? « Toute l’attitude des gens a changé après ce qui s’est passé à New York. » Le conflit désormais est islamo-chrétien ? Culturel ? « C’est un conflit politique. » Et qui oppose-t-il ? « Les auteurs des attentats du 11 septembre et le reste du monde. » Nous avons donc d’un côté Oussama ben Laden, et de l’autre la planète entière ? « Rien ne prouve pour l’instant que Ben Laden est le commanditaire de ces attentats. George W. Bush doit apporter les preuves judiciaires de la responsabilité de Ben Laden. Je ne suis pas pour les condamnations sans procès. »
Après le 11 septembre, il y a eu une recrudescence quasi générale du fondamentalisme (notamment en Indonésie avec les attentats de Bali et de Djakarta) et de la xénophobie. « La xénophobie, oui. Ce que l’on appelle le fondamentalisme a toujours existé, et existera toujours. Le fondamentalisme peut être limité, contenu, pas augmenté ou exacerbé. Cela arrive, vous savez. Voyez les dix-neuf morts, hier, à Haïfa. Je désapprouve cela, je suis contre la violence, contre le fait que des personnes qui ne sont pas coupables paient le prix – et ma définition du jihad n’est pas celle-ci –, mais cela arrive. Pourquoi ? Parce que les Palestiniens estiment que les Israéliens ne sont pas justes. » Vous comprenez le fondamentalisme, mais vous ne l’approuvez pas. « Absolument. »
Vous n’estimez donc pas que les actes fondamentalistes terroristes ont augmenté en nombre après le 11 septembre ? « Cela s’est produit uniquement en quelques endroits très précis. Le reste du monde est en paix. » Pourquoi l’Indonésie n’a pas été en paix, comme vous dites, après la tragédie du World Trade Center ? « Parce qu’en Indonésie, nous avons peur des terroristes. La présidente Megawati ne fait pas ce qu’il faut contre eux. Il y a des terroristes partout en Indonésie, même au sein du gouvernement actuel. Elle doit y faire face. Je suis sûr que certains responsables politiques de mon pays sont derrière les attentats de Bali et de l’hôtel Marriott à Djakarta. » Pourquoi ? Pour instaurer un nouveau régime militaire et assouvir le fantasme de bon nombre de dirigeants indonésiens ? « Pas du tout. Parce que ces personnes-là, civiles comme militaires, veulent gouverner. C’est tout. »
Comment peut-on réguler le fondamentalisme, le cantonner au politique ? Éviter qu’il ne se concrétise par des actes barbares et terroristes ? « Vous savez, il y a des gens partout, Américains inclus, qui sont persuadés que leur façon de voir et de concevoir les choses est la seule à être valable. Cela est une erreur. À mon avis, il faut rééduquer à long terme, et c’est cela qui pourra mettre un terme aux crimes fondamentalistes. Il faut convaincre ces terroristes que ce qu’ils font est mal. » Vous pouvez à la limite convaincre un jeune kamikaze, lui montrer que c’est mal, mais pouvez-vous convaincre ceux qui, pour gouverner, usent et abusent du terrorisme ? « Oui. » Comment ? « Par des élections. Des élections propres. » Comment voyez-vous, à ce propos, l’issue de la présidentielle de juin 2004 dans votre pays ? La présidente Megawati rempilera-t-elle pour un second mandat ? « Je les gagnerai, ces élections, je les gagnerai. » Abdurrahmane Wahid martèlera même plus de quatre fois ce mot.
Vous avez évoqué tout à l’heure l’attentat de Haïfa. Pensez-vous que l’on doit dialoguer avec ses ennemis ? « Oh oui ! Parce que tant que vous ne dialoguez pas, vous empêchez les modérés de gagner. » Il faut dialoguer même avec ceux qui ne veulent pas la paix ? « Non. Là il faut la méthode dure. » Peut-on faire la paix avec Ariel Sharon ? « Pour faire la paix, il faut qu’il y ait de la confiance entre les deux protagonistes. Et je ne vois pas de confiance entre Ariel Sharon et Yasser Arafat. Tant que ces deux hommes continueront à se méjuger, rien ne pourra être fait pour la paix. » Peut-on faire la paix au P-O sans Yasser Arafat ? « Non, je ne crois pas. Yasser Arafat et Abou Alaa (Ahmed Qoreï) doivent dialoguer ensemble. Sans oublier que le plus gros effort doit venir des Israéliens et des Palestiniens eux-mêmes, qu’ils œuvrent ensemble pour leur réconciliation. » Les peuples sont prêts, mûrs, pour cela ? « Oui. Sauf que leur voix ne porte pas pour l’instant assez fort. Ils restent toujours la majorité silencieuse. Les élections sont le seul moyen pour eux d’y arriver. » On dit que vous êtes proche d’Israël. « Oui. Je suis aussi un ami d’Israël et des Israéliens. Je leur ai promis qu’en 2005, nous établirons des relations diplomatiques avec eux. Mais pour cela, il faut de la réciprocité de la part des gouvernements israéliens. » Votre position ne risque-t-elle pas de vous nuire à la présidentielle de 2004 ? « Les Indonésiens aiment la modération, la paix. »
Est-ce que la « feuille de route » tracée pour les Israéliens et les Palestiniens est morte ? Peut-elle ressusciter ? « Cette “feuille de route” a aujourd’hui beaucoup de failles. Parce qu’elle est uniquement politique. Il faut qu’elle soit plus complète. » Vous pensez au volet sécurité ? « Pas seulement. Le culturel est très important dans cette “feuille de route”. » Beyrouth et Damas insistent sur le côté sécuritaire de la « feuille de route »... « Les présidents libanais et syrien, en tant qu’hommes politiques, font leur job. Pas moi. »
Pensez-vous que le modèle de coexistence islamo-chrétienne au Liban soit le bon ? « Nous devons apprendre et tirer profit de l’expérience libanaise. Les Libanais ont vécu quelque chose d’amer, nous devons les écouter. Leur coexistence est la bonne solution. » Pensez-vous que cette coexistence islamo-chrétienne peut être exportée en direction des juifs et des musulmans, des Israéliens et des Palestiniens ? « Oui. Il faut trouver les bons leaders. Le rôle de leader est primordial. » Est-ce que le monde arabo-musulman a des leaders aujourd’hui ? « Il y en a quelques-uns. » Comme qui ? « Par exemple, l’émir de Qatar. cheikh Hamad ben Khalifa ben Hamad al-Thani. Il peut jouer un rôle important. Je suis ce qu’il fait avec attention. » Le prince héritier Abdallah d’Arabie saoudite peut être un leader arabe ? « Je ne sais pas. Ce n’est pas à moi qu’il faut poser la question. » Vous av(i)ez de bonnes relations avec l’Arabie saoudite ? « D’une certaine façon oui, d’une autre non. Culturellement, nous sommes amis. Mais ils sont trop... traditionalistes – entre guillemets. » Vous pensez que ce traditionalisme pourrait être un terreau fertile pour le fondamentalisme ? « Pas nécessairement. »
Sans transition, pensez-vous que la tutelle syrienne sur le Liban et la présence armée de ses soldats sur le territoire libanais sont une bonne chose pour le monde arabo-musulman en général et le Liban en particulier ? « Je ne maîtrise pas suffisamment ce dossier pour répondre. Mais il est évident que je suis pour l’entière souveraineté du Liban. Je suis content que le gouvernement libanais ait été capable de réduire la présence syrienne sur son territoire. Nous attendons que cette présence diminue encore et encore jusqu’à ce qu’elle disparaisse complètement. » Un vœu partagé par la majorité des Libanais.

Ziyad MAKHOUL
Il a été le premier président indonésien élu. C’était en 1999, après la chute de l’interminable régime autoritaire de Suharto, puis l’intermède Jusuf Habibie. Sauf qu’Abdurrahmane Wahid n’a occupé la première magistrature indonésienne que pendant près de dix-huit mois : il a été destitué en juillet 2001, remplacé par sa vice-présidente, la très laïque et...