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Société - Une expérience pleine de surprises et une belle leçon de courage Une femme au volant de son bureau mobile : Silva’s Taxi (Photo)

Silva Karkour est seule maître à bord de son véhicule, son seul maître à elle étant Dieu. Depuis six ans, elle affronte les foudres du ciel et les embouteillages qui en résultent, les foudres des automobilistes constamment excédés et le regard étonné de tous. Philosophe, elle garde le sourire. Monter à bord de « Silva’s Taxi » est une expérience et une belle leçon de courage.
Dimanche après-midi, dans Gemmayzé somnolente, une Fiat grise, avec le mot Taxi en jaune, passe lentement dans la rue. Rien d’étonnant jusque-là, à part que la voiture est nickel et que la Mercedes d’usage a été remplacée par une Punto neuve. Mini-Klaxon, « service ? » demande une voix alors que la main s’agite. La voix est suffisamment polie et la main fine pour que l’on tende la tête. Au volant, une femme. On se précipite, oubliant même de préciser la destination, qui n’a plus aucune importance. Silva est son nom. Pour preuve et en guise d’introduction, une carte de visite multicolore qu’elle tend à chaque passager, surpris et épaté. Car des femmes chauffeurs, « chauffeuses » n’existe même pas dans le dictionnaire, sinon pour signifier autre chose, il n’y en a pas beaucoup. « J’ai fait ce métier par nécessité », précise-t-elle, sans jamais quitter du regard la rue qu’elle inspecte et les éventuels clients qu’elle aborde d’un geste interrogatif. « J’étais au chômage pendant deux longues années. Je me déplaçais en service. Alors je me suis dit, pourquoi pas ? » « Avant, j’étais placier », ajoute-t-elle d’une voix calme, comme si cela était tout à fait normal.

Peur de rien
D’abord Silva s’adresse, très logiquement, au bureau qui lui a appris à conduire, pour savoir si d’un point de vue légal la chose était possible. « Oui, mais ce n’est pas un métier pour toi », lui répond le responsable. Elle passe quand même les examens, devant des professeurs réticents, guère influencée par les nombreuses mises en garde des amis et de la famille, achète une voiture et c’est parti ! « Quand je prends une décision, elle est irrévocable. Je n’écoute pas les commentaires qui se font autour de moi, sinon je deviendrais folle ! » Six ans de trois cent soixante-cinq jours ouvrables plus tard, elle confirme : « Je n’aime rien dans ce travail, sauf le contact avec les gens. » Et les gens le lui rendent bien. Pas un passager qui ne s’embarque sans une exclamation ou un mot d’encouragement, «Abaday ! Bravo ! C’est génial ! Vous inspirez le respect ! » Et la discussion s’installe. Échange de bons procédés pendant que Silva s’engouffre dans des ruelles qu’elle seule semble apprivoiser, « je connais tous les recoins de la ville, c’est un peu mon vocabulaire ». Suivent beaucoup d’encouragements de la part des jeunes et des moins jeunes. Elle en a besoin, car travailler est aujourd’hui son seul objectif. Elle le fait avec philosophie et sourire – même quand elle demande à ce passager qui vient de monter d’éteindre sa cigarette ou à cet autre de payer un peu plus, car la course est plus longue, elle y met douceur et fermeté. Et personne ne peut lui résister. La fatigue, elle ne connaît pas, Silva travaille jour et nuit, dimanche inclus, et propose même des tours dans toutes les régions du Liban. La peur, elle l’ignore également, « je ne crains que le besoin ». Toujours vêtue d’un sombre tee-shirt et d’une jupe longue, « je préfère avoir une tenue sobre qui ne prête pas à équivoque ». Elle raconte, avec un large sourire, que le coffre de sa voiture est truffé de surprises et de mini-gâteries. Un vrai garde-manger où elle peut se faire un nescafé, se servir d’un chocolat ou calmer sa faim. C’est ainsi qu’elle vous offre un coca, du chewing-gum, en même temps que ses souvenirs de vacances. « J’étais en Espagne cet été et j’ai préféré éviter de visiter la ville de Madrid en voyant les embouteillages ! » Lorsque le dernier passager de cette douce après-midi de septembre lui dit enfin, « vous devriez prendre deux mille livres libanaises au lieu de mille » et qu’elle répond si justement « vous êtes généreux et je le mérite », on a envie d’applaudir. Tout est dit.

Carla HENOUD
Silva Karkour est seule maître à bord de son véhicule, son seul maître à elle étant Dieu. Depuis six ans, elle affronte les foudres du ciel et les embouteillages qui en résultent, les foudres des automobilistes constamment excédés et le regard étonné de tous. Philosophe, elle garde le sourire. Monter à bord de « Silva’s Taxi » est une expérience et une belle leçon de...