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Interview - « Le sort de la MTV est tributaire du sort du Liban », affirme l’ex-député Gabriel Murr : « Le changement pour le mieux est imminent »(photo)

Il y a un peu plus d’un an, le 2 juin 2002, Gabriel Murr était élu député de l’opposition pour le siège grec-orthodoxe du Metn, au terme d’une bataille mémorable. Trois mois après, l’État fermait la chaîne de télévision de l’opposition, MTV, et M. Murr était destitué de son mandat de député.
Certains disent qu’il a tout perdu, qu’il n’aurait pas dû se lancer dans un pari impossible. D’autres pensent qu’il s’est laissé manipuler, qu’on l’a floué. Qu’à cela ne tienne, Gabriel Murr ne regrette rien. Bien au contraire, il est prêt à remettre ça, à repartir en guerre contre les seigneurs du pouvoir et les féodaux qui leurs sont acquis, au Metn comme partout ailleurs. Et si, actuellement, il est quelque peu à l’écart de l’actualité politique, c’est uniquement parce qu’il est « interdit de passage à la télévision ». « Mais je ne suis pas le seul : c’est aussi le cas de beaucoup d’autres opposants », dit-il. « Le pouvoir actuel, avec ses ramifications, essaye de nous cerner de toute part », poursuit-il.
« Le pouvoir en place est le résultat de l’accord de Taëf, et a été créé et géré par la Syrie. Ceux qui sont au pouvoir sont des marionnettes: sur 128 députés, il y en a seulement une vingtaine qui ne sont pas de petits pantins. Dans les hautes sphères du pouvoir, tous sont de grandes marionnettes, et les ficelles sont tirées par Damas. Comment peut-on, à partir de là, donner à cette équipe la dénomination de “pouvoir” ? On leur permet de discuter des carrières, des déchets naturels, de se quereller, l’essentiel étant de nous faire oublier que toute la face du Moyen-Orient est en train de changer. Or il n’y a pas de plus aveugle que celui qui ne veut pas voir. Les changements sont là, mais les autorités libanaises et syriennes essaient de mener la politique de l’autruche: Les simulacres de repli des forces (syriennes du Liban), ce sont des histoires à dormir debout », affirme Gabriel Murr, enchaînant phrase sur phrase, sans s’interrompre.
Ne croit-il donc pas au dernier repli partiel de l’armée syrienne ? « Il va y avoir un retrait total obligatoire de la Syrie. Damas ne peut plus rester au Liban, ni à travers ses forces armées ni à travers ses SR. Les changements régionaux vont aboutir à des changements politiques partout dans la région. Le Baas, qui n’est plus au pouvoir en Irak, ne peut subsister dans un autre pays. C’est un système moyenâgeux où la force du pouvoir élimine toute autre forme de pensée, de réflexion ou de politique. On nous dit que nous prenons appui sur les États-Unis. Mais qui a permis à la Syrie, en 1976, d’entrer au Liban ? Qui a mis en place l’accord de Taëf et le mandat syrien sur la Syrie ? Ceux qui ont permis la présence syrienne demanderont à Damas de quitter le Liban », répond-il, en plaidant en faveur de meilleures relations entre les deux États. D’ailleurs, « c’est la classe politique qui est responsable de l’intervention permanente de la Syrie parce qu’elle est le produit de Damas. J’ai passé cinq mois au Parlement et j’ai travaillé dix ans dans l’information. Pourtant, je ne connais pas nos 128 députés », poursuit-il.
Pense-t-il qu’il a été « lâché », d’une certaine manière, par ses alliés ? « Non. Le problème résidait dans un déséquilibre de forces en faveur du pouvoir : c’est le clan du président, à commencer par son gendre – lequel a été récompensé en étant nommé une seconde fois ministre de l’Intérieur – qui a mené la contre-offensive du Metn. On nous dit qu’il faut respecter le président de la République. Je veux bien, dès lors qu’il remplit sa fonction de chef de l’État. Mais à partir du moment où il entre dans le jeu politique, il devient un politicien. » Selon l’ex-député, cette contre-offensive s’est traduite d’abord par « un laminage des institutions judiciaires » puis par des campagnes contre des pôles de l’opposition, comme Amine Gemayel, Michel Aoun, Nayla Moawad, Farès Souhaid, Samir Frangié, puis en empêchant tout mouvement populaire de soutien à la MTV. « Même les chandelles ont été interdites ! Y a-t-il plus pacifique qu’un sit-in avec des chandelles ? », s’indigne-t-il, en allusion à un sit-in organisé par les employés de la MTV après la fermeture de la chaîne et dispersé par les forces de l’ordre. « Les pompiers sont faits pour éteindre le feu, pas pour éteindre la flamme des jeunes qui manifestent pour la liberté d’expression », indique-t-il.

Revoir Habib Sadek
au Parlement...
N’a-t-il rien à reprocher à ses alliés dans l’opposition durant toute la période qui a suivi la fermeture de la MTV ? « Je leur ai dit : “Vous êtes tous des chefs, mais il n’y a pas de chef”. Il existe plusieurs groupes au sein de l’opposition, sans décideur. Or dans le groupe du pouvoir, il y a un décideur : le Syrien, qui impose sa conduite à MM. Hariri, Berry... Par exemple, il a dit à M. Berry d’annuler le mandat de Gabriel Murr par le biais du Conseil constitutionnel. Et dès ma première séance au Parlement, j’ai compris que j’allais être privé de mon siège. »
Face à cette contre-offensive du pouvoir, qui a transformé sa victoire au Metn en défaite, à travers la fermeture de la MTV et l’annulation de sa députation, Gabriel Murr ne perd pas le Nord. Concernant la stratégie à suivre désormais, il affirme que des contacts ont été entrepris en vue de la formation d’une opposition nationale. « Il faut aussi que tous ceux qui sont dans l’opposition maintiennent le contact avec les milieux internationaux pour que le Liban recouvre sa souveraineté, son système judiciaire et ses libertés. Tels sont les fondements du Liban, et il faut les rétablir », dit-il en se référant à Hussein Husseini. « En attendant, si la MTV et un ou deux députés en paient le prix, ce n’est pas grave. L’essentiel, c’est le salut du Liban. De toute façon, le grand perdant a été le Conseil constitutionnel. »
Selon lui, l’expérience du Metn « va se reproduire partout au Liban ». « Il s’agissait d’une bataille contre le pouvoir. MM. Berry et Hariri ont ouvertement appuyé Mme Myrna Murr Aboucharaf. Mais la décision de mener une bataille contre Gabriel Murr a été prise lors d’une réunion à un haut niveau (ici, M. Murr cite quelques noms). C’était donc une bataille contre le pouvoir en place, soutenu par la Syrie, et nous l’avons gagnée. » Et d’ajouter : « Je suis pratiquement sûr de revoir Habib Sadek, et tous ceux qui lui ressemblent, au Parlement très bientôt. » Il lance, dans ce cadre, un appel à Walid Joumblatt, qui « doit sortir de son appartenance régionale et confessionnelle pour retrouver son rôle au plan national et refaire la jonction au sein de l’opposition ».

La MTV, comme Aoun
et Geagea
Pour Gabriel Murr, tout est parfaitement clair : « La MTV ne sera délivrée que quand le Liban sera délivré de toute la caste qui est au pouvoir » et qui intervient dans le cours de la justice : « Jusqu’à la dernière minute, nous avons espéré qu’il n’y aurait pas d’intervention politique, mais, en dernière minute, les juges qui plaidaient pour la réouverture de la MTV changeaient d’avis. » « Le sort de la MTV est le même que celui de Michel Aoun, de Samir Geagea ou des détenus libanais dans les prisons syriennes », dit-il. « Ceux qui sont responsables de la fermeture illégale sont ceux qui n’ont pas pu supporter la liberté d’expression de la MTV : la Syrie, en premier lieu, et les exécutants. Berry et Hariri assument aussi une part de responsabilité: d’ailleurs, M. Hariri, qui s’est autrefois engagé à respecter les libertés, ne lutte jamais: il fléchit toujours », souligne-t-il. Et M. Murr d’ajouter: « Nous allons lutter politiquement pour libérer le Liban de cette classe politique et nous allons poursuivre l’action devant la justice parce que la justice va retrouver son cours normal : c’est la classe politique qui va partir. »
Gabriel Murr compte se représenter aux prochaines législatives : « En 2005, on va mener une nouvelle bataille, en espérant que la fin du régime actuel aura lieu le 24 novembre 2004 », date de la fin du mandat Lahoud. « Le changement va être radical. Il n’y aura pas de prorogation, assure-t-il : ce pouvoir a échoué dans sa gestion du pays, et on ne reconduit pas un échec. Même si certains le veulent, cela n’adviendra pas. Les changements sont imminents et ne peuvent être que pour le mieux. »

Michel HAJJI GEORGIOU
Il y a un peu plus d’un an, le 2 juin 2002, Gabriel Murr était élu député de l’opposition pour le siège grec-orthodoxe du Metn, au terme d’une bataille mémorable. Trois mois après, l’État fermait la chaîne de télévision de l’opposition, MTV, et M. Murr était destitué de son mandat de député.Certains disent qu’il a tout perdu, qu’il n’aurait pas dû se...