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Interview - Plaidoyer d’un professeur à l’USJ en faveur de la banalisation des concepts politiques Ziyad Baroud : Il faut affranchir la citoyenneté des structures étatiques(photo)

Ziyad Baroud est avocat de métier, mais il fait partie de ces hommes qui se sont dédiés à l’émancipation de la société civile et à la promotion du concept de citoyenneté, loin du feu des projecteurs.
M. Baroud, qui est chargé de cours à l’Université Saint-Joseph (USJ) et qui assure la coordination au sein du comité parlementaire pour la défense des étudiants, créé à l’initiative du recteur sortant de l’USJ, le père Sélim Abou, vient de rédiger un fascicule sur la citoyenneté à la demande du Centre pour le développement et la planification, une ONG active au niveau de la chose publique.
« Le but était d’expliquer d’une manière succincte ce que signifie, en pratique, la citoyenneté, en vulgarisant les connaissances pour les rendre plus accessibles et en s’éloignant autant que possible de la langue de bois », affirme-t-il, en guise de présentation du livret de quelques pages, qui, à l’aide de sympathiques illustrations signées Yanad Zouein, essaye de « répandre la culture de la citoyenneté, l’année 2003 étant l’année de la citoyenneté ». « Il s’agit d’une tentative de familiariser le citoyen avec ce genre de concepts », précise M. Baroud.
« J’ai commencé par mettre en évidence ce que la citoyenneté n’est pas, de nier les conceptions primaires que l’on en a. La citoyenneté n’est pas que responsabilité et devoirs. Il ne s’agit pas d’une pénalité. C’est une façon de vivre des droits, avec des devoirs en parallèle. Elle s’attache à l’idée de l’État souverain, mais elle puise sa légitimité auprès des citoyens. Il existe, certes, une structure fondée sur la Constitution, autour de laquelle pivote toute la vie publique. Mais ce n’est pas tout : la citoyenneté s’attache à un certain esprit dans lequel l’État et les citoyens vivent d’une manière sereine. Le principal avantage de ce statut, ce sont les droits qu’il confère aux uns et aux autres », poursuit-il. En d’autres termes, la citoyenneté dépend de deux critères : une « structure étatique, constitutionnelle, juridique... et une culture ».
« L’équation est simple : je suis citoyen, donc j’ai des droits. L’autre équation, selon laquelle je peux obtenir des droits si j’exerce mes devoirs, est à rejeter. Cela ne correspond pas à la citoyenneté. Un citoyen a des droits. Ce n’est qu’à partir du moment où ceux-ci sont satisfaits que l’État peut exiger des devoirs. Mettre droits et devoirs sur un pied d’égalité est quelque peu excessif ». Telle est l’idée de base sur laquelle s’est fondé Ziyad Baroud pour élaborer son guide.

Citoyenneté et droits
de l’homme
Cette acception relativement récente de la citoyenneté est-elle liée, selon lui, au processus d’universalisation des droits de l’homme ?
« Tout à fait. L’universalité des droits de l’homme signifie que ces droits inaliénables découlent de la qualité humaine de la personne, nonobstant l’appartenance de l’homme. Quand nous parlons de primauté des droits, cela veut dire que le citoyen libanais a des droits qui découlent de sa citoyenneté et de sa nature humaine. Dans quelle mesure la citoyenneté libanaise s’éloigne ou s’approche de ces concepts, c’est là une question qu’il faut poser au pouvoir en place, aux institutions. Une question qui constitue l’essence du militantisme en faveur de l’État de droit, capable de garantir aux citoyens leurs droits élémentaires déjà reconnus », répond-il.
Une étape importante a été franchie en 1990, après Taëf, lorsqu’un préambule a été ajouté à la Constitution libanaise, qui fait référence à la Déclaration universelle des droits de l’homme et aux pactes de l’Onu, et qui a, depuis 1997, la même valeur constitutionnelle que le corps de la Constitution, estime-t-il.
« En théorie, l’État libanais se rapproche de cette conception universelle des droits de l’homme, mais il s’en éloigne par une certaine pratique. Et une citoyenneté qui va dans un sens uniquement conceptuel n’est pas viable. Ce n’est plus une citoyenneté. Elle doit être vécue au quotidien », souligne-t-il.

Citoyenneté et État de droit
Quel est le lien entre la citoyenneté et l’État de droit ?
« La définition de l’État de droit au Liban a pris une ampleur tout à fait exceptionnelle. La traduction de cette expression en arabe (“l’État de la loi”) n’était pas très heureuse. Et si les lois sont mauvaises ?
« Par ailleurs, les institutions ne doivent pas être une finalité, mais une modalité, de l’État de droit. Leur bon fonctionnement doit aider à la mise en place de l’État de droit : la relation entre le citoyen et les institutions est directe et, souvent, la crise de citoyenneté est liée à une crise des institutions. Au Liban, le problème de la citoyenneté dans le cadre de l’État de droit se situe à trois niveaux : il y a, d’abord, une crise de confiance, les Libanais n’étant pas sûrs que les pouvoirs en place depuis au moins 1990 ont su gérer la vie publique, et les exemples sont nombreux. Il y a, ensuite, une crise de participation parce que les Libanais n’ont jamais été appelés à décider de leur sort, ni au niveau économique ni sur le plan politique, et parce que les partis politiques ont été ou bien récupérés ou bien quasi inexistants. Il n’y a d’ailleurs aucune logique au niveau de la participation, qui doit commencer à l’échelle des municipalités avant d’atteindre le stade national. Il y a, enfin, une crise au niveau des concepts : nous ne sommes pas sûrs que nous parlons des mêmes concepts, ou bien que ces concepts sont de nature à être concrétisés au quotidien. Comme c’est le cas, par exemple, pour le concept de souveraineté, l’un des plus élémentaires en matière de citoyenneté, et qui est, pour certains, matière à débat. En fait, les concepts sont devenus partisans, ce qui fait que le concept même de citoyenneté se limite au discours traditionnel, sans application pratique. »
Et M. Baroud de préciser qu’« il y a beaucoup de termes que les Libanais n’aimeraient plus entendre, parce que ce sont des concepts vagues et figés, qui n’ont rien à voir avec la culture de la citoyenneté et de l’État de droit ».

Culture de la citoyenneté
au Liban
Le Liban est-il, selon lui, un terrain favorable à l’émancipation d’une culture de la citoyenneté ?
« Oui. La citoyenneté n’est pas nécessairement tributaire d’un système rigide ou d’une structure. Un système politique peut être très bien structuré, sans admettre la participation des citoyens à la vie publique. Au Liban, nous avons une structure et des institutions qui sont, du moins dans les textes, favorables à l’épanouissement d’une culture citoyenne. Dans la pratique, tout est différent. Mais cela ne saurait être permanent, et tout peut-être rectifié.
« Le fait qu’il soit un pays pluraliste enrichit le Liban. Mais il faut que ce pluralisme soit géré d’une manière rationnelle. En d’autres termes, il faut en faire une source de richesse pour un dialogue à l’échelle nationale qui contribue à épanouir et à unifier la société. Le rôle du Liban dans ce sens, au niveau régional, est à encourager, surtout après les événements du 11 septembre 2001 et la guerre en Irak. Le pluralisme libanais pourrait être un exemple de convivialité naturel à suivre, sans constituer une source de division. Le tout est que le pouvoir mette en place des institutions valables et encourage un dialogue à l’échelle nationale, à tous les niveaux », affirme Ziyad Baroud, en se référant aux Identités meurtrières d’Amine Maalouf.

Société civile et citoyenneté
Depuis la Magna Carta, il existe une conception selon laquelle la société ne peut obtenir les droits qui lui reviennent qu’en s’opposant au pouvoir. L’épanouissement de la citoyenneté n’est-elle pas tributaire de l’épanouissement de la société civile face au pouvoir ?
« L’existence d’une tendance qui s’oppose au pouvoir est un signe de vie de tout système politique. Réciproquement, un système politique ou l’opposition est inexistante est une dictature. L’exemple le plus évident est l’Irak : le peuple irakien, soumis au joug de Saddam Hussein durant plus de 20 ans, n’était plus à même d’assurer la relève, une fois débarrassé du pouvoir en place. Et pour cause : la société civile irakienne était inexistante. La société civile a le rôle, légitime, de succéder à un pouvoir d’une manière démocratique, dès lors qu’il y a une faille dans l’appareil du pouvoir. Le Liban a toujours connu une société civile épanouie, riche en expertise, plus consciente que le pouvoir qui la gouvernait. Elle a permis au Liban, malgré toutes les difficultés, de résister. Le jour où elle ne sera plus aussi dynamique, le Liban sera confronté à un vrai danger », estime-t-il.
« Par ailleurs, le pouvoir devrait encourager l’existence d’ONG, lesquelles assurent la participation des citoyens à la vie publique », dit-il, en évoquant la participation par d’autres moyens aussi, notamment à travers la presse et les médias. « Il faut délier la citoyenneté de la structure existante de l’État. Elle peut être vécue autrement qu’à travers les institutions en place, si celles-ci ne correspondent pas aux aspirations des citoyens. Il y a une culture de la citoyenneté qui se forme à la maison et à l’école. Et la participation peut adopter d’autres circuits que la place de l’Étoile, par exemple », précise-t-il. « Cela ne veut pas dire, affirme Ziyad Baroud, que le citoyen a le devoir de s’opposer. Mais il est de son droit, et quelque part de son devoir, de remettre en question tout le fonctionnement du système. Mais pour tout militantisme, il faut avant tout que le citoyen soit bien averti. »
Et de lancer un appel, que le pouvoir serait bien avisé d’entendre : « Les Libanais ne se sentent pas proches de leurs institutions. Ils sentent qu’ils sont toujours en opposition avec tout ce système. Même ceux qui font partie du système dénoncent certaines irrégularités et ne tardent pas à le faire avec plus de virulence dès lors qu’ils ne sont plus au pouvoir. Pour mettre fin à ce sentiment, il faut une décision politique. Les publications sont importantes, le rôle de la société civile aussi, mais l’existence d’une décision politique, qui tienne compte de la volonté d’intégration des citoyens au sein d’un État de droit, est une condition sine qua non ».

Michel HAJJI GEORGIOU
Ziyad Baroud est avocat de métier, mais il fait partie de ces hommes qui se sont dédiés à l’émancipation de la société civile et à la promotion du concept de citoyenneté, loin du feu des projecteurs.M. Baroud, qui est chargé de cours à l’Université Saint-Joseph (USJ) et qui assure la coordination au sein du comité parlementaire pour la défense des étudiants, créé...