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Interview - Le chef du Renouveau démocratique réclame la démission d’Élias Murr Nassib Lahoud : Les Libanais attendent et méritent un changement réel(photo)

N’en déplaise à ses détracteurs – et ils sont nombreux, au sein du pouvoir, à commencer par Michel Murr, qui l’a accusé lundi de faire de la « récupération politique » –, Nassib Lahoud a l’envergure d’un homme d’État. C’est d’ailleurs en partie cela –, il reste l’un des principaux candidats de l’opposition à la présidence de la République – qui en fait, aux yeux du régime actuel, un ennemi juré. Si on lui reproche parfois son flegme et sa prudence, il reste que le président du Renouveau démocratique (RD) ne sacrifie pas le fond pour la forme. Preuve en est, ses prises de position en flèche, suite au scandale de Bteghrine, samedi dernier.
« Nous avons été témoins d’un retour à la pratique milicienne. C’est comme si, plusieurs années après la fin de la guerre, il y avait encore des zones au Liban qui échappent à la légalité, où la légalité détourne les yeux devant les pratiques miliciennes », affirme M. Lahoud. « Des éléments armés irréguliers, qui dépendent de l’entourage immédiat de Michel Murr, ont coupé les routes de Bteghrine et ont tiré des rafales en direction de députés et de personnalités politiques, les menaçant de mort s’ils poursuivent leur chemin. Cela aurait paru impensable la semaine dernière, mais c’est arrivé, au Liban, dans le propre village du ministre de l’Intérieur. Cela veut dire que les libertés individuelles sont encore en cause au Liban et que le principe du respect de l’Autre relève du domaine du théorique ! » s’indigne-t-il.
Pour Nassib Lahoud, les responsabilités doivent être déterminées comme suit : « D’abord, la justice doit statuer sur le sort des exécutants et des instigateurs de l’agression armée de samedi. Ensuite, la responsabilité politique doit être assumée par le ministre de l’Intérieur, qui était au courant, à l’avance, de ce déjeuner, et qui avait décrété une journée sécuritaire partout au Mont-Liban. Il n’empêche qu’il avait laissé les milices locales prendre en charge Bteghrine. Enfin, nous attendons que le président de la République s’assure qu’il n’y aura aucune couverture pour ceux qui ont défié l’ordre public. »
Qu’entend-il par responsabilité politique du ministre de l’Intérieur ? « Nous avions déjà demandé sa démission pour sa gestion de la partielle du Metn. Je pense que ce qui est arrivé samedi justifie amplement sa démission », répond-il.
Ira-t-il jusqu’à demander la levée de l’immunité parlementaire de Michel Murr ? « La justice doit suivre son cours et aller au fond des choses. Il ne s’agit pas seulement de chercher des exécutants. Il faut aller au-delà, pour trouver les instigateurs », indique-t-il.
Fait-il faire assumer la responsabilité de ce qui s’est produit à Bteghrine à d’autres dirigeants, tels que le président de la République, un pas que Gabriel Murr n’a pas hésité à franchir ? « Je pense que tous les dirigeants sont responsables du climat politique, économique et social qui prévaut. Au RD, nous considérons tous les dirigeants, mais aussi la majorité parlementaire, comme responsables de la situation dans laquelle se débat le pays », répond M. Lahoud, incisif.

Non à la prorogation
Selon Nassib Lahoud, et contrairement aux affirmations de Michel Murr, l’opposition n’avait pas pour but de relancer le bras de fer avec le pouvoir, après la partielle du Metn, la fermeture de la MTV et l’annulation du mandat de Gabriel Murr. « Samedi, il ne s’agissait pas de bras de fer. C’est une agression armée qui s’est produite contre des responsables et des citoyens », précise-t-il.
Interrogé sur le statu quo qui a prévalu sur la scène interne, notamment du côté de l’opposition, et suite à l’affaire MTV, M. Lahoud rappelle que « la guerre d’Irak a imposé son propre agenda ». « L’axe constitué par le Rassemblement de Kornet Chehwane, le Forum démocratique et le Renouveau démocratique n’a cessé de militer sur un double agenda : refus de la guerre et refus de la dictature en Irak. Ces forces ont participé à plusieurs manifestations qui ont été organisées à Beyrouth, dans la ligne de la logique de l’opposition : la lutte pour la démocratie et les libertés, qui sont des valeurs universelles, et pour le respect de la légalité internationale, qui seule aurait pu justifier une guerre en Irak », indique-t-il.
Quel doit être à son avis la fonction de cette opposition nationale et plurielle en cours de formation ? « Notre agenda est resté le même : libertés politiques et démocratie, réforme économique et financière, réforme de l’administration, rétablissement de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Cela implique évidemment la mise en place d’un pouvoir qui a une forte légitimité populaire, issu d’élections libres sur base d’une loi électorale qui puisse non seulement garantir la représentativité, mais aussi la non-exclusion des forces politiques, quelles qu’elles soient. Cela suppose aussi la tenue d’une élection présidentielle, l’année prochaine, dans le respect de la Constitution, et la mise en place d’un gouvernement représentatif, capable de conduire ces réformes et d’assurer les services essentiels pour tous les Libanais, dans toutes les régions », souligne-t-il.
En d’autres termes, cela veut-il dire qu’il s’opposera à une prorogation du mandat Lahoud ? « Deux fois, en 1995, lorsqu’il s’agissait du président Élias Hraoui, et en 1998, j’ai voté contre l’amendement de l’article 49 de la Constitution, qui est la garantie de l’alternance du pouvoir au Liban et l’un des véritables symboles du système démocratique. Je resterai opposé à l’amendement de l’article 49 et je suis profondément attaché au besoin d’élire un nouveau président tous les six ans, nonobstant l’identité de ce président. »
Et de poursuivre : « L’opposition démocratique ne changera pas de stratégie, et rien n’atténuera sa volonté de continuer à œuvrer pour des réformes profondes, réformes dont le pays a besoin et qui impliquent un changement profond dans la gestion politique. »
Quels sont les termes de ce changement ? La classe politique au pouvoir doit-elle partir ? « Ce que nous réclamons, c’est une loi électorale juste et équitable et un scrutin législatif supervisé par un gouvernement crédible. Tout cela devrait permettre au peuple libanais de déterminer quelle classe politique il désire, car il ne m’appartient pas de choisir à sa place : c’est au peuple libanais qu’il incombe d’élire ses représentants en toute liberté. »
« Dans le calendrier, le changement doit être exprimé dans le cadre de quatre échéances successives : d’abord, les municipales du printemps prochain. Nous lutterons pour qu’elles se passent dans les délais. Ensuite, la présidentielle de novembre 2004, qui doit assurer l’avènement d’un nouveau président. Puis, la formation d’un gouvernement d’union nationale. Et enfin les législatives du printemps 2005. Tout ce processus devrait aboutir à un changement réel, que les Libanais attendent et qu’ils méritent amplement », insiste-t-il.

Reprendre langue
avec Joumblatt
Lundi, Walid Joumblatt s’est solidarisé avec Nassib Lahoud en demandant des comptes au pouvoir après l’incident de Bteghrine. Quelques jours auparavant, un dîner a été organisé chez Assem Salam, membre du RD, en présence de personnalités du Forum démocratique, mais, surtout, de Kornet Chehwane – en l’occurrence, M. Samir Frangié. S’agit-il d’une reprise de contact entre M. Joumblatt et l’opposition ? « Les contacts entre le RD et le PSP n’ont jamais été rompus. Nous avons gardé des relations régulières, quelles que soient les divergences qu’il peut y avoir entre nous. La concertation a toujours été présente. La réunion chez Assem Salam avait pour but de définir les points d’entente et de divergence. Nous avons un bon éventail de points sur lesquels nous nous retrouvons et nous essayons de les développer. » Et le final serait le retour du chef du PSP au sein de l’opposition ? « Je crois qu’il est trop tôt pour le savoir. Nous essayons, avec M. Joumblatt et les autres partis de l’opposition, de maximiser le terrain d’entente et de maintenir le dialogue sur les points de divergence. Il s’agit d’un processus auquel nous sommes attachés », répond-il.
Qu’est-ce qui empêche, selon lui, l’émergence d’un grand front d’opposition, allant de Hussein Husseini à Michel Aoun ?
« Au niveau du RD, nous pensons qu’il est nécessaire de poser les jalons d’un programme commun entre les forces du changement : seul un tel programme peut cimenter une action nationale vers le changement », estime Nassib Lahoud. « Cela n’est pas pour demain, mais nous nous en rapprochons chaque jour un peu plus », ajoute-t-il.
Et qu’en est-il de ses liens avec le général Aoun par exemple, auquel il avait rendu visite à Paris au lendemain de la partielle du Metn ? « Comme avec d’autres forces politiques au Liban, nous avons des points communs et des divergences avec les aounistes. Nous pensons par exemple que le rétablissement de la souveraineté doit être un pari sur l’unité nationale beaucoup plus qu’un pari tourné vers l’extérieur. »

Pour un retrait syrien total
En ce qui concerne les redéploiements syriens, Nassib Lahoud estime qu’il faudra bien que l’accord de Taëf soit appliqué à la lettre un jour. En d’autres termes, il faudra nécessairement que les forces syriennes s’en aillent et qu’un calendrier soit établi pour ce faire.
« Jusqu’ici, chaque fois qu’il y a eu redéploiement de l’armée syrienne, le RD a exprimé sa satisfaction. Mais celle-ci ne sera complète que le jour où le redéploiement sera total, conformément à l’accord de Taëf. Plus encore, le jour où un calendrier précisant les modalités d’un retrait complet sera établi. Nous réclamons cela conformément à l’accord de Taëf et dans le cadre de relations étroites et équilibrées entre le Liban et la Syrie », précise M. Lahoud.
Le retrait des forces syriennes sera-t-il suffisant pour assainir les relations entre les deux pays ou en faudra-t-il davantage ? La réponse de Nassib Lahoud est rationnelle, équilibrée, bien dosée : « Nous militons en faveur de relations libano-syriennes basées sur l’esprit et la lettre de l’accord de Taëf et de rapports privilégiés sur le plan politique et économique, dans l’intérêt des deux pays, tant que cela se fait dans le respect de la souveraineté du Liban. »

Michel HAJJI GEORGIOU
N’en déplaise à ses détracteurs – et ils sont nombreux, au sein du pouvoir, à commencer par Michel Murr, qui l’a accusé lundi de faire de la « récupération politique » –, Nassib Lahoud a l’envergure d’un homme d’État. C’est d’ailleurs en partie cela –, il reste l’un des principaux candidats de l’opposition à la présidence de la République – qui en...