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Interview - Des prérogatives exécutives pour le ministère de la Réforme administrative et des pouvoirs exceptionnels pour le gouvernement Pakradouni définit les critères de base pour une refonte des services publics(photo)

Quelles sont les chances de succès d’un projet de réforme administrative dans les circonstances politiques actuelles ? Nous avons posé la question directement au ministre d’État pour le Développement administratif, Karim Pakradouni, qui s’apprête à présenter dans les premiers jours du mois de septembre un plan à cet effet, fort de la détermination du chef de l’État, le général Émile Lahoud, à lancer un vaste chantier de réforme des services publics.
M. Pakradouni est conscient de la difficulté de la tâche qui l’attend, mais il pense, contrairement à tous ceux qui lui ont conseillé d’y renoncer, qu’elle n’est pas impossible. Les gens réalisent de plus en plus, explique-t-il, qu’il n’y aura pas de redressement économique, financier et social si on ne commence pas à réformer toutes les institutions étatiques. « La réforme devient une nécessité, surtout pour le social et l’économique. Ce n’est plus un luxe ». C’est surtout cette raison qui a poussé M. Pakradouni à se lancer dans cette aventure. Car pour lui, il s’agit bel et bien d’une aventure.
L’idée de départ est simple. Pour éviter une perte de temps et un travail superflu, le ministre a choisi de puiser dans les archives de son département et de rassembler tous les dossiers préparés par ses prédécesseurs, Zaher el-Khatib, Ali el-Khalil, Béchara Merhej et Fouad es-Saad, pour les présenter au gouvernement, dans le cadre d’un programe complet, « souple, donc modifiable ». « Il faudra alors compter un certain temps pour créer au niveau du gouvernement un débat autour des idées proposées. Le texte sera ensuite présenté au Parlement ».
Il est très peu probable que son projet laisse la classe politique indifférente, dans la mesure où il est associé à une autre proposition, susceptible d’entraîner un double débat politique. M. Pakradouni pense en effet qu’il faut doter son département de prérogatives exécutives et accorder au gouvernement des pouvoirs exceptionnels, dans le domaine administratif seulement, si l’on veut assurer à un programme de réforme administrative toutes les chances de succès. « Sinon, dit-il, chaque proposition demandera un certain temps avant d’être agréée par le gouvernement et encore plus de temps avant d’être adoptée par le Parlement ».
« Dans les réformes qui réussissent, le Parlement accorde des pouvoirs exceptionnels au gouvernement pour lui permettre de gagner du temps », insiste le ministre, avant d’indiquer qu’il compte soulever la question avec le président de la Chambre, Nabih Berry, et lui expliquer que « le processus parlementaire traditionnel ne peut pas créer une dynamique de réformes ».

Un ministère de la Réforme et de la Planification
La réaction politique à ces deux propositions et la suite qui leur sera donnée permettra aux Libanais de voir « concrètement jusqu’où les autorités sont réellement prêtes à aller pour réaliser des réformes ». « Si le gouvernement se contente de promettre des réformes sans franchir le pas, on laissera le ministère de la Réforme administrative tel qu’il est actuellement. Sinon, on le dotera de pouvoirs. Je propose même qu’on le transforme en ministère de la Réforme et de la Planification, parce que toute réforme a besoin de planification », estime-t-il.
Dans le même temps, le ministre juge impératif d’élaborer une loi anticorruption qui s’appliquera aussi bien aux fonctionnaires qu’aux citoyens, aux partis et aux associations, qui sera prise en compte lors des privatisations et des adjudications et qui s’étendra aux domaines de l’information et de la publicité.
Aussi excellent soit-il, le projet proposé par le ministre nécessite, pour qu’il réussisse, non seulement une révision de prérogatives, mais une dépolitisation absolue de l’Administration. Cet élément, s’il figure dans le plan Pakradouni, a besoin, pour devenir une réalité tangible, d’une décision politique et d’un mécanisme d’application. Or rien n’indique, sur le plan pratique, qu’une décision en ce sens a été prise, si l’on fait abstraction des propos tenus régulièrement par le chef de l’État, sur l’imminence d’un chantier de réformes et sur sa détermination à développer une Administration jusqu’à ce jour anachronique. Les problèmes politiciens qui retardent la privatisation du réseau cellulaire et qui ont retardé la publication du nouveau train de permutations diplomatiques n’augurent rien de bon. Comment le ministre compte-t-il dès lors s’y prendre pour venir à bout de la mainmise des hommes politiques sur l’Administration ?
« Il faut convaincre les politiques qu’ils ont tout intérêt à ce qu’il y ait une Administration productive et indépendante », répond M. Pakradouni. Mais comment ? Le ministre marque un bref temps de pause avant de plaider en faveur d’un recrutement de fonctionnaires indépendants, sur base de leur seule compétence, par le biais de concours de la Fonction publique, simultanément avec une consolidation des organismes de contrôle. « Je crois qu’à partir de ce moment, les fonctionnaires pourront eux-même barrer la route aux interventions politiques. La fonction publique est très importante. Je me rappelle bien que personne n’osait intervenir auprès de Farid Dahdah, qui était le premier président de la Fonction publique, et qui n’hésitait pas à refuser le recrutement d’un fonctionnaire, même s’il réussissait au concours d’entrée, lorsqu’il était sollicité pour intervenir en sa faveur. C’était pour lui un moyen de mettre un terme définitif à toute intervention ».
Selon M. Pakradouni, les partis politiques peuvent également jouer un rôle à ce même niveau, « en ayant le courage de réclamer une Administration neutre et indépendante et de barrer la route au clientélisme ».
« L’expérience chéhabiste a donné de bon résultats », fait-il remarquer. Mais n’est-ce pas parce qu’elle était le fruit d’une décision politique qui fait défaut aujourd’hui ? Cette décision, il dit qu’il « la sent claire, chez le président Lahoud ». « Il faut sensibiliser le reste », ajoute-t-il, tout en faisant état d’une volonté des trois pôles du pouvoir de réaliser des réformes.

« Un passage obligé
pour sortir de la crise »
Pour le moment, c’est le président Lahoud seul qui présente comme étant imminent le lancement d’un chantier de refonte administrative. Pourrra-t-il cependant déclencher ce processus en l’absence d’un consensus politique ? Soulignant qu’une refonte administrative ne réussira pas si elle fait l’objet de tiraillements, M. Pakradouni estime que tous les hommes politiques réalisent aujourd’hui que les réformes sont devenues « comme un passage obligé pour sortir de la crise ». « Ils savent que nous sommes au bord du gouffre, voire que nous avons déjà un pied dans l’abîme. Je ne pense pas qu’ils feront trop de caprices avant de soutenir la réforme » qui est, pour lui, un processus continu.
Et si le ministre a décidé, avant de présenter son programme, de mobiliser la société libanaise dans toutes ses composantes, notamment politiques et académiques, à son projet de réforme, en recueillant les points de vue et les suggestions de plusieurs personnalités et organismes, c’est pour initier un débat susceptible de favoriser à terme un consensus national. Il s’agit d’un moyen qui permettra, selon lui, d’éviter les écueils rencontrés lors du lancement du projet de privatisation. Pour M. Pakradouni, si la privatisation de la téléphonie mobile trébuche, c’est parce qu’à la base, il n’existe pas de consensus national autour de l’opportunité de confier au secteur privé la gestion de services publics. « Et même si on veut privatiser, on ne s’est pas entendu sur la méthode à suivre. La privatisation du cellulaire a traîné car certains pensent qu’il est dans l’intérêt de l’État de gérer lui-même ce secteur et non de le privatiser alors que d’autres pensent le contraire. Il s’agit d’une décision politique. Le reste devient technique. Mais nous n’en sommes pas encore au niveau technique, puisqu’on n’a pas dépassé le stade du débat politique. Voilà pourquoi la réforme administrative doit d’abord faire l’objet d’un débat politique. Voilà aussi pourquoi je lance ces concertations, car sans décision politique pour une réforme, celle-ci n’aura jamais lieu. Tout comme s’il n’y a pas de décision politique au sujet de la privatisation, il n’y aura jamais une vraie privatisation ou une vraie gestion publique ».
Même s’il établit un parallèle entre la privatisation et la réforme, M. Pakradouni relève qu’il y a quand même une énorme différence entre les deux projets. « Dans la privatisation, il y a beaucoup d’argent, donc un enjeu pécuniaire. L’avantage de la réforme est qu’elle ne coûte pas. Au contraire, elle permet à l’État de faire des économies et peut même être génératrice de fonds, dans la mesure où une Administration saine et fonctionnelle encourage l’investisseur à placer son argent au Liban. Aucun homme d’affaires n’investira dans un pays dont l’Administration est lamentable », explique-t-il, en soulignant qu’économie d’argent ne rime pas nécessairement avec dégraissage.
M. Pakradouni considère en effet qu’il n’est pas indispensable de licencier des fonctionnaires, parce que le jour où l’État réalisera la décentralisation administrative – encore un projet qui n’a jamais dépassé le stade des promesses –, il aura besoin de personnel. « Nous pourrons alors, déclare-t-il, former les fonctionnaires et les nommer aux postes qui seront créés. Avec l’introduction de l’informatique dans les services publics, nous avons obtenu des résultats positifs, qui ont prouvé que les fonctionnaires peuvent être recyclés, grâce une bonne formation de trois semaines à trois mois ».
Le ministre pense effectivement que la décentralisation est inévitable, « parce qu’il y va de l’avenir du Liban. Soit nous nous insérons dans le monde nouveau par le biais de la réforme, soit nous serons marginalisés ». La réforme de l’Administration constitue pour lui un premier pas vers l’adhésion à ce nouveau monde et surtout un défi : « Je pose le problème. Je n’invente rien, mais le défi est de pouvoir politiser le problème et de créer une opinion politique exigeant des réformes ».

Tilda ABOU RIZK
Quelles sont les chances de succès d’un projet de réforme administrative dans les circonstances politiques actuelles ? Nous avons posé la question directement au ministre d’État pour le Développement administratif, Karim Pakradouni, qui s’apprête à présenter dans les premiers jours du mois de septembre un plan à cet effet, fort de la détermination du chef de l’État,...