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Universités - Mémoire de maîtrise à l’USJ sur la complexité du système politique consensuel, à travers la période Michel Aoun Légalité et légitimité au Liban: des relations conflictuelles

Nous publions un extrait du mémoire de maîtrise soumis par notre collaborateur Michel Hajji Georgiou à la faculté de droit et de sciences politiques de l’USJ sous le titre «Légalité et légitimité dans le système politique libanais en temps de crise (la période Aoun)». Le mémoire, dirigé par le professeur et constitutionnaliste Jean Salem, a obtenu la mention très bien. Il évoque les rapports conflictuels entre la légalité et la légitimité, d’abord de manière générale, dans le cadre du système politique libanais en temps de paix (1943-1973) et en temps de guerre (1975-1990), puis à travers la «période Aoun», où le conflit entre «les» légalités et « les » légitimités atteint son paroxysme. L’extrait que nous publions est issu de la première partie du mémoire, concernant les relations ambivalentes entre la Constitution et le Pacte national de 1943 dans le cadre du système politique libanais en temps de paix.
«Le problème concernant la légitimité au Liban remonte à plus loin que l’avènement de la Constitution libanaise: l’on sait toute la controverse qu’a entraînée – et que continue d’entraîner chez certains idéologues, au sein de certains partis et dans les discours de certains officiels de certains pays – la proclamation même de l’État du Grand-Liban par le général Gouraud en 1920. Dès l’instant où la légalité naît, au Liban, elle est sujette à des tensions et des remous, le camp nationaliste arabe ne voulant voir dans le Liban qu’une création artificielle des accords de Sykes-Picot, un État créé par le mandataire français pour la communauté maronite. Chronologiquement, la reconnaissance du Liban en tant qu’État dans ses frontières reconnues internationalement jette les bases de la première crise au niveau de la légalité et de la légitimité – puisque le Liban est perçu comme une création artificielle, donc un “objet” illégal et illégitime, par un camp politique et, par transitivité, par la grande majorité de la communauté sunnite. Elle constitue aussi un prélude à l’affrontement de légitimités intercommunautaires et interlibanaises entre les tenants du rattachement à la nation arabe et les partisans d’un Liban tourné vers l’Occident qui incitera à la conclusion d’un consensus “national” – lequel porte en fin de compte sur la légitimité nationale – entre les deux communautés “politiquement actives” du pays à l’époque, les maronites et les sunnites : ce sera le Pacte national de 1943.
« Si nous insistons de cette manière sur cet affrontement entre ceux qui n’ont jamais vu le Liban autrement qu’à travers le prisme d’une idéologie panarabe ou pansyrienne totalisante, faisant de ce pays un “kotr” (littéralement : diamètre) appartenant à l’espace de la “umma” (nation), et ceux qui ont toujours mis en exergue son “histoire vieille de 6000 ans”, c’est parce que cette lutte de légitimités va déboucher sur une bataille ouverte autour de l’identité du Liban, qui va transcender plus tard à la fois la Constitution, les institutions étatiques et le consensus du Pacte national pour jouer l’un des rôles principaux dans la déstabilisation du système, une première fois lors de la crise de 1958, puis avec le début des hostilités en 1975. Dans ce sens, affirme l’ancien secrétaire général du Parti communiste libanais, Georges Haoui, “on ne peut expliquer la légitimité au Liban sans se référer à l’affrontement identitaire entre deux nationalismes, l’arabisme et le libanisme”. Deux tendances dont on retrouve déjà un avant-goût dans le cadre du Pacte national de 1943.
« […]La Constitution de 1926 intègre dans son corps le système communautaire malgré les réticences de Michel Chiha, et sur l’insistance, semble-t-il, des députés musulmans Omar Daouk (sunnite) et Sobhi Haïdar (chiite), à travers l’article 95 qui énonce : “À titre transitoire et conformément aux dispositions de l’article 1er de la Charte du Mandat et dans une intention de justice et de concorde, les communautés seront équitablement représentées dans les emplois publics et dans la composition du ministère, sans que cela puisse cependant nuire au bien de l’État.”
« Commentant l’article, modifié par la loi constitutionnelle du 9 novembre 1943 qui supprime la mention “conformément aux dispositions de l’article 1er de la Charte du Mandat”, Edmond Rabbath affirme : “C’est la disposition fondamentale qui a servi, sous le Mandat et avec une force accrue depuis l’indépendance, de motif justificatif à un développement pathologique du confessionnalisme politique issu du régime communautaire, à une forme de métastase qui a envahi mentalités et institutions”. Par conséquent, la légalité subit un premier assaut de la part de la légitimité, représentée ici par la structure communautaire et le “confessionalisme politique” du pays, à travers l’article 95 de la Constitution – mais aussi à travers les articles 9 et 10, relatifs au statut personnel.
« […]Le deuxième “débordement” de la légitimité sur la constitutionnalité libanaise se fait à travers le Pacte national de 1943. Mais que représente en réalité ce “pacte”, qui fonde la légitimité consensuelle au Liban ?
“La commotion de 1943 avait produit des mouvements de pensée et opéré un reclassement de valeurs et de repères dont l’effet catalyseur avait fini par donner lieu à l’apparition d’une conscience spécifiquement libanaise, sinon nationale, au sens sociologique généralement attaché à ce terme. (…) Le peuple se voulait, en effet, au moins uni dans une patrie libanaise dont les virtualités se sont ouvertes depuis à toutes les communautés indistinctement, sous conditions qu’elles soient cataloguées et reconnues, dans la liberté et le respect mutuel de leurs droits et de leurs traditions”, affirme Edmond Rabbath, avant d’évoquer la multitude de facteurs qui ont eu pour effet “d’asseoir la légitimité de l’entité libanaise sur un consensus général”. “Il faut bien reconnaître que cette conscience collective, proprement libanaise, a été le fruit de l’indépendance. L’on pourrait sans exagérer parler à son propos, au souvenir surtout des éventualités menaçantes agitées sous le Mandat, d’un miracle libanais. Il était de coutume d’en attribuer la cause à ce que l’on est convenu d’appeler le Pacte national. Ce Pacte n’a jamais été écrit et encore moins nettement formulé. Il fut en réalité une sorte de modus vivendi dont la formation originelle et les applications successives – mais aussi les retombées politiques – ont constitué les facteurs dominants de la vie libanaise” (1), souligne-t-il.
« Dans une perspective analytique, il convient de constater qu’à travers le Pacte national, il est possible de retrouver trois sources enchevêtrées de légitimités existant au Liban, dont deux reviennent d’ailleurs couramment dans les différentes sources écrites dans lesquelles auraient été énoncés les principes du Pacte (en l’occurrence certains discours du président Béchara el-Khoury et la déclaration ministérielle du gouvernement Solh (2)) :
« – Le Pacte national est avant tout un consensus sur le Liban, sa souveraineté et son indépendance. Dans son arrière-fond psychologique, il correspond à une “libanisation des musulmans” et à une « arabisation des chrétiens”, et “constitue l’effet spontané d’un rapprochement entre les deux pôles, jusque-là opposés, de l’arabité, assortie de sa greffe naturelle, relative à l’unité syrienne, d’une part, et de la libanité portant les couleurs françaises et chrétiennes, d’autre part” (3). Il met en principe un terme à la querelle intercommunautaire qui a prévalu autour de l’identité du Liban, et qui constitue l’une des dynamiques de la légitimité. […] »
« – Le Pacte national a été conclu entre les communautés maronites et sunnites, et constitue le fondement de la légitimité consensuelle libanaise. Il est donc possible de retrouver une deuxième source de légitimités, celle de la structure communautaire et pluraliste du pays, qui, déjà introduite dans la Constitution à travers la représentation électorale et le statut personnel, devient maintenant le fondement du Pacte national. “Au Liban, il n’y a que des légitimités confessionnelles. Le Pacte est un consensus forcé entre les deux communautés”, estime l’ancien gouverneur de la Banque du Liban, le juriste Edmond Naïm.
« – Par delà les communautés […], le Pacte national, fondateur de l’État libanais affranchi du Mandat, relève, dans une perspective sociologique, d’un accord entre les élites politiques respectives des deux communautés concernées, représentées ici par Béchara el-Khoury pour les maronites et Riad es-Solh pour les sunnites. L’on se retrouve ainsi au cœur des particularités – et des controverses – du système politique libanais : connaissant toute la problématique de la représentation au Liban, et les aspérités d’un système où un phénomène de découpage électoral par régions combiné à des structures sociales, culturelles et anthropologiques bien déterminées (phénomènes de clanisme, de tribalisme, de familiarisme et de féodalisme), il sera intéressant de se demander dans quelle mesure un accord interélites au Liban peut garantir un accord “national”. Dans le sens où il est légitime de se demander si la vision du Liban prônée dans le discours élitiste, celle d’un Liban consensuel, et, partant, d’une légitimité consensuelle, correspond à la légitimité telle qu’elle est perçue par les milieux populaires, qui pourraient aspirer à autre chose qu’au simple consensus.
« La question se pose de savoir, à la lumière de cette idée, si le système de représentation tel qu’il existe au Liban n’assure pas la reproduction d’une même caste politique pseudo-élitiste traditionnelle, de plus en plus fondée sur le pouvoir des clans et des familles, tellement imprégnée de consensus qu’elle finit par oublier sa fonction de représentation et, sans transcender les barrières communautaires, parvient, par le consensus, à former une caste homogène dont le seul but serait de se maintenir au pouvoir. Le système pluraliste « consensuel » opérerait alors à la reproduction et à la perpétuation de ses propres structures en permettant une absence de reproduction et de circulation des élites, et empêcherait de facto l’existence d’une légitimité “nationale” qui transcenderait le simple consensus. Toujours est-il que le Pacte national donne naissance à la culture – et, partant, à la légitimité – du consensus au Liban.
« […] Depuis 1943, “on a beaucoup plus légiféré dans le sens du Pacte national que dans celui de la Constitution”, estime par ailleurs le politologue et secrétaire général du Parti national libéral (PNL), Élias Abou Assi. C’est-à-dire, explique-t-il, que la légitimité communautaire a pris le dessus sur la constitutionnalité, et que l’esprit dans lequel les lois ont été élaborées depuis 1943 est fondamentalement communautaire. “Au Liban, la question de la légitimité doit être appréciée en fonction des critères libanais. Entre la Constitution et le Pacte national, c’est ce dernier qui prévaut. Cela est clairement perceptible dans la répartition des pouvoirs publics”, indique le professeur Abou Assi. “Le support de la légitimité n’est pas dans les textes. L’esprit qui régit les institutions libanaises était le Pacte de 1943, supérieur à la Constitution de 1926, tout comme actuellement l’accord de Taëf prévaut sur les amendements constitutionnels de 1990”, affirme pour sa part le ministre Marwan Hamadé.
«Ainsi, dans les rapports entre la légalité et la légitimité, la prééminence a été donnée à la seconde sur la première dans la vie politique du pays. Même si le communautarisme, désigné par la suite, à tort ou à raison, sous le terme fort péjoratif de “confessionalisme politique” existait déjà dans le corps de la Constitution de 1926, et dans ses amendements multiples, il n’empêche que le Pacte national, ou, plus précisément la pratique qui a découlé du Pacte, va préserver, raffermir et consacrer cette formule, en la doublant d’une dimension consensuelle. C’est donc à travers le prisme du binôme consensualisme/communautarisme qu’il faut voir la légitimité instaurée par le Pacte de 1943, et dont l’effet sur la Constitution se fera ressentir.
« Selon le professeur Theodor Hanf, l’axe Constitution-loi électorale-Pacte national fonde au Liban “un régime consensuel évident”. “Le pays n’est plus gouverné par une majorité simple mais toujours par une large coalition, chaque communauté importante disposant d’un droit de veto en vertu de la règle de la représentation proportionnelle”, indique-t-il. De plus, ajoute le sociologue allemand, “le Pacte impose une réalité constitutionnelle et démocratique consensuelle, les décisions importantes ne pouvant être prises à la majorité simple, mais uniquement par le consensus et l’unanimité”».

(1) RABBATH (Edmond), La Formation du Liban politique et constitutionnel, Presses de l’Université libanaise, 1986, 2e ed., p. 542.
(2) cf. JISR (Bassem), Mithaq 1943, Dar an-Nahar, Beyrouth, 1997, 2e ed., p. 143-174.
(3) RABBATH (Edmond), op.cit., p. 543.
Nous publions un extrait du mémoire de maîtrise soumis par notre collaborateur Michel Hajji Georgiou à la faculté de droit et de sciences politiques de l’USJ sous le titre «Légalité et légitimité dans le système politique libanais en temps de crise (la période Aoun)». Le mémoire, dirigé par le professeur et constitutionnaliste Jean Salem, a obtenu la mention très bien....