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PRÉSIDENCE - Le chef de l’État de vengeance Lahoud : La réforme sera menée jusqu’au bout, car le pays ne peut plus attendre(photo)

« Le Liban a une chance en or d’entreprendre une vaste opération de réforme, à cause de la stabilité qui règne sur son sol, en comparaison avec ce qui se passe dans la région. Mais s’il n’agit pas rapidement, il risque de perdre tous ses acquis. » Selon ses visiteurs, le président Émile Lahoud aurait tenu ces propos fermes, hier, après le début de la campagne musclée contre les branchements illicites. Il serait déterminé à aller jusqu’au bout de son projet d’assainissement, sans esprit de vengeance, mais sans non plus la moindre disposition à composer avec les contrevenants. La loi et elle seule sera appliquée, se plaisent à rapporter ses interlocuteurs, et aux sceptiques qui se demandent pourquoi ce qui n’a pas abouti en 1998 pourrait aboutir aujourd’hui, ils précisent qu’aux yeux du président, la situation du pays est devenue intenable, et si l’on ne réagit pas, les derniers jeunes encore au Liban partiront d’ici peu.

Les Libanais regardent et n’en croient pas leurs yeux : alors, cette fois, ce serait pour de bon, la loi serait réellement appliquée ? On ne peut plus s’abriter derrière un puissant, un de ceux qui se partagent ce qui reste du pouvoir libanais ? C’est à n’y plus rien comprendre et, surtout, ce serait trop beau pour être vrai. Et pourtant…
Selon ses visiteurs, le chef de l’État serait déterminé à aller jusqu’au bout et ceux qui ne le comprennent pas encore ne le connaissent pas vraiment.
Son passé, disent ses interlocuteurs, est toutefois là pour rappeler qu’il n’a jamais cédé aux pressions et qu’il a toujours placé ses convictions et ses principes avant tout le reste. Cela a commencé en 1975, alors qu’il n’était que simple capitaine, et ne se serait jamais arrêté. Ses proches évoquent cette fameuse semaine sanglante de juillet 1993, lorsque les Israéliens avaient noyé le Sud sous leurs bombes et lorsque le pouvoir libanais s’apprêtait à déployer l’armée dans la région. Ils rapportent comment le président du Conseil, M. Rafic Hariri, avait convoqué le commandant en chef de l’armée, le général Émile Lahoud, à son domicile pour lui ordonner d’envoyer la troupe au Sud, en lui précisant qu’il rentrait à l’instant de Damas et que les autorités syriennes appuyaient un tel projet. Le général qui, dit-on, rencontrait pour la première fois le président du Conseil, a alors tenu tête, refusant d’exécuter les ordres et préférant se retirer chez lui à Baabdate et déclarer à M. Hariri que le gouvernement devrait lui trouver un remplaçant. Pour lui, l’envoi de l’armée au Sud à l’époque ne pouvait qu’aboutir à son effritement et à des affrontements avec le Hezbollah, ce qui aurait déclenché une nouvelle guerre interne. Alertées, les autorités syriennes ont aussitôt fait savoir qu’elles approuvaient l’attitude du général Lahoud. Et, en 1993 comme en 2000, l’armée n’a pas été déployée au Sud. Par contre, les autorités syriennes ont ainsi appris à respecter un général qui a vu plus clair que les autres et qui a tenu tête à tous.
Il y a quelques mois aussi, l’affaire est revenue sur le tapis et le président de la République aurait tenu des propos très fermes à ce sujet au secrétaire d’État américain, M. Colin Powell. « Vous êtes un ancien commandant en chef de l’armée et vous savez que déployer la troupe le long de la frontière, en situation de guerre, la rend vulnérable. Si nous le faisons, les Israéliens et le Hezbollah passeront par-dessus la tête des soldats et l’armée sera discréditée. De même, mettre la troupe en confrontation avec le Hezbollah n’aurait pas de sens car ce sont des gens qui n’attaquent pas l’État mais se battent pour libérer notre terre. » Powell n’aurait plus insisté.

En 1998, des pressions ont été exercées sur les juges
Un homme qui affronte des situations de ce genre, sans céder d’un pouce, ne se lancerait donc pas dans une entreprise de réforme pour reculer au premier obstacle. Ses détracteurs lui reprochent pourtant de l’avoir fait en 1998. Selon ses visiteurs, le président Lahoud aurait une tout autre version des faits. Tout aurait commencé lorsque deux semaines seulement après son investiture, le procureur général financier de l’époque lui aurait demandé un rendez-vous pour lui déclarer qu’il y a des opérations louches dans le dossier d’un ancien ministre. Soit le dossier est transmis au Parlement et il y restera, soit l’ancien ministre est déféré devant la justice et il devra rendre des comptes. Le président aurait alors répondu qu’une telle question ne se pose pas et qu’il faut faire ce que la loi exige. C’est alors que des dossiers ont été ouverts, mais le chef de l’État aurait précisé à ses visiteurs qu’il n’est jamais intervenu auprès des magistrats. Par contre, d’autres parties, locales et régionales, l’auraient fait et les magistrats si empressés à ouvrir les dossiers ne savaient plus comment les refermer. Ce n’est donc pas le président qui aurait reculé, mais les juges, soumis à de fortes pressions. De plus, la population ne semblait pas prête, puisqu’aucune voix ne s’était élevée pour défendre la démarche.
En 2000, les élections législatives et la spectaculaire victoire du Premier ministre ont modifié la donne. Il y a eu ensuite ce que les proches du Premier ministre ont appelé « le lavage des cœurs », alors que les milieux du chef de l’État estiment qu’il s’agissait d’une tentative de travailler dans un esprit de coopération, qui a échoué lorsque le dossier du téléphone cellulaire est revenu sur le tapis.

La population
serait désormais prête
Reste la question : pourquoi lancer une telle opération maintenant ? Selon ses visiteurs, le chef de l’État nie agir dans la perspective d’une éventuelle reconduction de son mandat. « Au contraire, disent ses proches. S’il souhaitait une prorogation ou une reconduction, il aurait ménagé ses partenaires. Or, en lançant une telle opération, il déclare la guerre à pratiquement tout le monde. »
Le président aurait donc simplement constaté que les Libanais n’en peuvent plus et, cette fois, ils seraient prêts à appuyer une telle initiative. Toute la majorité silencieuse souhaiterait une vaste opération d’assainissement et c’est donc pour répondre à son attente qu’il aurait réagi, fort parce qu’il ne demande rien pour lui et surtout pas d’épargner des personnes qui passent pour lui être acquises. Selon ses proches, le président aurait décidé d’utiliser les méthodes militaires, qui lui paraissaient plus démocratiques que celles des politiciens, où chaque chef de file parle en oracle et les autres exécutent, alors qu’au sein de l’armée, il y a un contrôle.
Le changement a commencé au sein du Conseil des ministres. La Constitution l’autorisant à proposer des sujets en dehors de l’ordre du jour, le président ne s’est donc pas privé de le faire, insistant sur la nécessité de procéder à un vote au cas où l’entente entre les ministres est impossible. Depuis près de quatre mois, cela fonctionne ainsi. Tous les dossiers sont en train d’être étudiés comme il l’a souhaité et la solution adoptée est celle qu’il a préconisée. Le dernier dossier litigieux a été le statut du CDR. La loi remonte à deux ans et demi, mais le président du Conseil ne cessait de reporter le décret d’application, donnant ses instructions au président de cet organisme qui contractait des emprunts sans en référer aux institutions. Lorsque le chef de l’État avait évoqué la question, M. Hariri avait demandé à être le président de la commission chargée d’étudier le dossier.
Résultat: son étude a été jugée insuffisante, d’autant qu’elle liait le président du CDR au chef du gouvernement, alors qu’il aurait dû rendre des comptes au Conseil des ministres. Une nouvelle commission a été formée, présidée cette fois par le vice-président du Conseil, M. Issam Farès. La commission a demandé un peu de temps pour achever son étude, mais selon les proches du chef de l’État, ce dernier n’acceptera pas que le président du CDR puisse établir les cahiers des charges, choisir les sociétés et exercer son contrôle sur l’opération. Le bureau exécutif doit remplir son rôle...

L’EDL, un test
Mais c’est surtout sur le dossier de l’EDL que le président affiche sa détermination. Selon ses visiteurs, cette opération sera le test qui devrait convaincre les citoyens, et les différentes parties, de sa volonté d’aller jusqu’au bout dans la lutte contre la corruption. D’ailleurs, il suivrait personnellement le dossier. Ainsi, serait-ce lui qui aurait envoyé les équipes sur le terrain le premier jour et qui leur aurait demandé de revenir sur les mêmes lieux le lendemain, pour vérifier que les branchements illicites n’ont pas été rétablis. Et cette fois, les contrevenants seront emprisonnés. Selon ses proches, le président continuera à suivre cette affaire et chaque jour qui passe devrait convaincre les Libanais que l’opération est sérieuse et qu’il sera très difficile, sinon impossible, de l’entraver. D’ailleurs, le président se serait déclaré prêt à dénoncer publiquement ceux qui chercheraient à bloquer la réforme, même s’il pense que peu s’y risqueraient. « Je ne suis pas un dictateur, aurait-il dit à ses visiteurs. Mais il faut réagir car s’il y a trop de pauvres, la stabilité sera menacée et les acquis dont nous sommes si fiers, surtout lorsqu’on voit la situation dans les pays de la région, pourraient disparaître. »
Selon ses proches, le président espérerait que tout aille très vite, comme à l’armée, sinon, les jeunes qui ne sont pas encore partis, le feront. Les proches du président rapportent son irritation lorsqu’on lui dit qu’il faut procéder à une réforme politique avant de se lancer dans une réforme administrative. « Ce n’est pas sérieux, aurait-il lancé. Cela équivaudrait à reporter sans échéance la réforme. Il faut commencer quelque part ; le reste suivra. » Les proches du président insistent sur le fait qu’il n’est pas mû, dans sa détermination, par un esprit de vengeance. Il l’aurait d’ailleurs affirmé à tous ceux qui ont craint une réédition de 1998. Par contre, il serait déterminé à soumettre au vote du Parlement le projet de loi sur la création du médiateur de la République (Ombudsman), qui, selon ses proches, est prêt depuis deux ans et qui est au cœur de toute réforme administrative.

L’appui de la majorité
silencieuse
Le président ne se sent pas seul dans sa campagne, convaincu d’avoir toute la majorité silencieuse à ses côtés. Pour les différents pôles politiques, on verra au fur et à mesure que le projet avancera. Le patriarche maronite, lui, appuierait l’opération. Selon les visiteurs du président, celui-ci estimerait que le cardinal Sfeir est un homme sage, qui n’a d’autre souci que de servir le pays et d’empêcher les jeunes d’émigrer.
Sur le plan régional, le chef de l’État aurait répété à ses interlocuteurs ce qu’il avait dit avant l’invasion d’Irak. « En dépit de toute leur puissance, les États-Unis ne peuvent résoudre les problèmes par la force. Celle-ci ne peut vaincre lorsqu’elle s’oppose à un peuple déterminé, qui se bat pour ses droits. On l’a vu au Liban, on le verra en Irak et en Palestine. Saddam Hussein a certes un passé sanglant, dont nous, au Liban, avons pâti, l’ancien président irakien ayant souvent joué une partie contre l’autre, dans notre guerre interne, mais son peuple résiste. »
Au sujet de la « feuille de route », le président aurait déclaré à ses visiteurs que le Liban est concerné par deux volets : le retour des réfugiés palestiniens chez eux et le Golan, sans la restitution duquel, qu’on le veuille ou non, il n’y aura pas de paix. Pour l’instant, il ne verrait pas une perspective de paix dans l’avenir proche. Mais il souhaiterait que le Liban puisse rester un havre de stabilité dans le désordre régional. Et, pour cela, une armée nationale unie est indispensable. Elle a été sa priorité lorsqu’il en a pris le commandement et elle a fait ses preuves dans les incidents de Denniyé, le 31 décembre 1999. Le président se plairait à rappeler, selon ses visiteurs, comment la réaction, ce soir de réveillon, a été très rapide, mais si les camps palestiniens du Liban-Nord ne craignaient pas la présence des troupes syriennes, ils auraient peut-être réagi, mettant en danger la situation générale. Tout cela pour dire que la présence des troupes syriennes reste une garantie, tant que le problème des camps de réfugiés palestiniens n’aura pas été réglé. Mais ce n’est pas le moment d’évoquer ces sujets. L’heure est à la réforme et les yeux des Libanais sont fixés sur les câbles électriques, dans l’espoir que le courant passe entre eux et la classe dirigeante.
Le chef de l’État serait en tout cas prêt pour cela. Il a de nouveau répété sa détermination à mener la réforme jusqu’au bout au PDG de l’ENA (École nationale d’administration)-Liban, le Dr Élie Assaf, qu’il a reçu en présence des membres du conseil d’administration de l’établissement.

Scarlett HADDAD
« Le Liban a une chance en or d’entreprendre une vaste opération de réforme, à cause de la stabilité qui règne sur son sol, en comparaison avec ce qui se passe dans la région. Mais s’il n’agit pas rapidement, il risque de perdre tous ses acquis. » Selon ses visiteurs, le président Émile Lahoud aurait tenu ces propos fermes, hier, après le début de la campagne musclée...