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FESTIVAL DE BEITEDDINE - Le virtuose british dans son hommage à Hendrix Le violon perverti de Nigel Kennedy(photo)

Parents génération-Woodstock ou adolescents freluquets à la chevelure afro, trentenaires branchés et d’autres faisant semblant de l’être, novices ou hendrixologues confirmés, le public métissé venu applaudir le marginal de la musique classique rendant hommage au Picasso de la guitare électrique savait bien qu’il devait s’attendre à un délire musical sans précédent dans les annales du Festival de Beiteddine. Nigel Kennedy n’a ni omis à sa réputation ni contrarié les attentes de l’assistance. Quoique, pour ménager les tympans de ses auditeurs (c’est lui qui le dit), il a décidé de pimenter la première partie de son concert avec un brin de Bach, un zeste d’Ellington et une bonne dose de Miles Davis. Après quoi, s’étant délesté de son violon acoustique, il s’est donné à cœur joie (son bonheur sautait aux yeux) avec la version électrique d’un instrument dont les sons étaient soudainement transformés en riffs de guitare survoltée.
Une impression de chaos maîtrisé se dégageait de l’ensemble, ne ressemblant à rien de connu.
On l’aura compris, l’archet de Kennedy s’accommode à toutes les sauces. Est-il besoin de rappeler que son enregistrement des Quatre saisons d’Antonio Vivaldi est, selon le Guinness, l’album classique le plus vendu de tous les temps ? Les mélomanes préfèrent à toute autre son interprétation du concerto pour violon d’Edward Elgar. Kennedy a joué comme soliste dans les salles de concerts les plus réputées, invité par les orchestres les plus prestigieux. Mais ce n’est là qu’une facette du virtuose britannique : il aime tout autant s’adonner à des improvisations jazz dans de petits clubs ou encore jouer de la musique traditionnelle celtique, ou hongroise dans les bars. Avec ses travaux croisés, comme les interprétations des morceaux de Jimi Hendrix (The Kennedy Experience ) ou le Doors Concerto, il franchit la frontière qui sépare la musique classique de la variété. Dans ses propres compositions, les mondes musicaux et les cultures musicales s’interpénètrent. Nigel Kennedy est en fait persuadé que « la puissance qui émane de la musique ne peut être vécue qu’en direct ».
Foulard de fedayin accessoirisant sa tenue noire XXL, gai comme un pinson et heureux comme un poisson dans l’eau, Kennedy s’adresse à son public entre chaque morceau. Il a besoin de ce contact nous avait-il affirmé lors d’un entretien accordé, il y a quelques jours, à son arrivée à Beyrouth. C’est cette interaction avec les autres qui lui fait préférer les concerts de jazz à ceux de musique classique. « Avec seulement une basse et une batterie, vous pouvez vraiment pénétrer la musique. Quand vous répétez avec un grand orchestre classique pendant trois heures, vous ne savez rien des gens qui vous accompagnent. Résultat, vous tombez dans cette manière américaine propre, sans âme, impersonnelle, de faire des concerts. »

« Yo Man ! »
L’enfant turbulent de l’archet (il possède en effet cet air incroyable de délinquant juvénile) ponctue les applaudissements de « choukran » comblés, puis répète son geste devenu sa signature, une main en coup de poing qui touche le cœur deux fois puis se tend vers l’avant. « Yo Man ! Cool. Fantastic. »
« En ce moment, je passe la moitié de mon temps à Cracovie, où la musique est très vivante, indique le musicien. Le jazz est né du besoin des Blacks de se libérer des humiliations qu’ils subissaient. En Pologne, sous le joug communiste, la censure interdisait aux citoyens de chanter. Alors la musique instrumentale leur offrait cette liberté de l’esprit. La Pologne compte aujourd’hui d’excellents musiciens de jazz. » Dont le Jarek Smietana Quartet qui a entouré le violoniste à Beiteddine. Il y avait là Jarek Smietana (guitare) ; Adam Czerwinski (batterie) ; Tomasz Kupiec (basse) et Piotr Wylezol (clavier), tous de cette trempe de musiciens qui font le succès d’une composition musicale tout en restant très dignes sur scène.
Nombreux sont ceux qui ont critiqué ouvertement (et même vertement) Kennedy pour ses improvisations sur des thèmes Hendrixiens. Certains sont allés même à les qualifier de « mélange cacophonique indigeste». Ces gens-là n’ont sûrement pas assisté à Kennedy live. Ou alors, il s’agit de ces puristes qui n’aiment que les compositeurs trépassés.
Qui, dans la petite cour du palais de Beiteddine, n’a pas tapé du pied ou dandiné de la tête à l’écoute de ces sonorités ésotériques accompagnant les improvisations autour de Third Stone From The Sun ? Étrange mélange de blues et de psychédélisme avec sa rythmique étrange et son riff superbe. Il y a véritablement quelque chose d’étrange qui se passe lors de l’écoute de ce morceau.
Les influences soul, prépondérantes chez Hendrix, ressurgissent avec Little Wing, le morceau ultime de Jimi. Il s’agit d’un hommage à sa mère indienne ainsi qu’à Curtis Mayfield. Un sommet insurmontable dont il est impossible de retranscrire la magie.
En attendant, le trip première classe, utilisé par de nombreuses générations pour atteindre leur Shangri-La : In 1983, a Merman I Shall Turn to Be. Un morceaux de rêve, avec une guitare complètement barrée, accompagnée par un violon perverti et définitivement pas politically correct et une basse vicieuse.
Après un démarrage lent, le bougre réussit donc dans son entreprise. « Fantastic, mate. »

Maya GHANDOUR HERT
Parents génération-Woodstock ou adolescents freluquets à la chevelure afro, trentenaires branchés et d’autres faisant semblant de l’être, novices ou hendrixologues confirmés, le public métissé venu applaudir le marginal de la musique classique rendant hommage au Picasso de la guitare électrique savait bien qu’il devait s’attendre à un délire musical sans précédent...