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Vie politique - Georges Haoui fait le point sur son initiative Quelles perspectives d’un changement réel au Liban ?

Le changement. Depuis l’invasion de Bagdad par les forces américaines, tout le monde en parle, autant dans les milieux du pouvoir que dans les rangs de l’opposition. Certains y croient dur comme fer, d’autres pas du tout.
Ceux qui y croient misent sur l’irréversibilité d’un processus de modernisation et de démocratisation à l’échelle régionale initié par les pressions américaines, qui amènerait les uns et les autres, Syriens et Libanais, à réviser leurs comptes, notamment sur la scène interne. Donc, de facto, un assainissement du climat interne qui permettrait une normalisation des rapports interlibanais au niveau politique, loin de toute emprise syrienne sur les pôles de décision, et une relance économique. Les plus radicaux, de ce point de vue, sur l’échiquier politique, à l’instar du général Michel Aoun, sont ainsi quasi certains que les États-Unis ont changé de politique à l’égard du Liban, longtemps livré sans états d’âme au statu quo régional syro-israélien. Selon le courant aouniste, ce revirement politique permettra le rétablissement de la souveraineté libanaise et le retrait des forces syriennes du Liban. Un peu plus prudents, et, dit-on, pragmatiques, un grand nombre de pôles de l’opposition, parmi lesquels certains membres du Rassemblement de Kornet Chehwane, estiment que la dynamique régionale amènera d’elle-même les changements attendus.
Mais, pour certains opposants, tout ce beau monde est en train de rêver. D’autant que, côté américain, disent-ils, le Liban ne pèse pas bien lourd dans la balance régionale, que Damas n’est jamais inquiété plus qu’il ne le faut par Washington et qu’aucun changement, pour l’heure, ne va poindre à l’horizon. Dans ce sens, affirme une éminente personnalité politique, toutes les initiatives pour briser le statisme local ambiant et modifier la donne feront long feu, que ce soit les rencontres pour la promotion du dialogue interlibanais ou la création de blocs politiques, de parlementaires ou de non-parlementaires.
Cette vision pessimiste est loin d’être partagée par les milieux politiques qui s’activent pour sortir le Liban de l’état comateux dans lequel il est plongé depuis plusieurs années. C’est le cas de l’ancien secrétaire général du Parti communiste libanais (PCL), Georges Haoui, qui a choisi de tenter le pari de la réconciliation nationale, à travers la tenue d’un congrès d’entente nationale parrainé par le président de la République, Émile Lahoud.

Les conditions du dialogue
Près de deux mois après le début de son initiative, Georges Haoui a rencontré tous les principaux responsables, à l’exception du Premier ministre, Rafic Hariri, une grande partie des leaders de l’opposition, à l’exception du général Aoun, ainsi que plusieurs instances économiques et sociales, et associations de la société civile. Une dynamique de contacts pour le moins séduisante. Même si certains ne se privent pas de critiquer l’initiative de M. Haoui.
Trois sortes de critiques, en fait, des accusations voilées, ont été adressées à l’ancien secrétaire du PCL.
Pour certains, il serait en train de tenir continuellement au courant les autorités syriennes des moindres faits de sa démarche, et il aurait eu le feu vert de Damas pour aller de l’avant dans son projet. Ce à quoi le principal concerné réplique qu’il « souhaite effectivement avoir le soutien de Damas », mais qu’il ne l’a pas encore, et qu’il ne peut confirmer si les Syriens appuieront ou non son initiative. « Tout dépend de la tournure que vont prendre les relations syro-américaines. Si un accord est conclu entre les deux parties, l’initiative ne pourra pas aboutir. De même, si la confrontation entre Washington et Damas est ouverte, la démarche est sans issue. Entre ces deux cas de figure, il y a le flottement, l’indécision dans les relations syro-US, comme c’est le cas actuellement. Et les Syriens ont besoin d’une telle initiative au Liban pour empêcher les Américains d’exploiter tout élément qui pourrait les gêner dans leur dialogue avec Washington », explique M. Haoui. Qui précise que la Syrie est donc obligée de changer de stratégie, de renoncer au credo machiavélien « diviser pour régner », fer de lance de sa politique libanaise. « Toute déstabilisation au Liban menacerait la stabilité de la Syrie. Et il fallait expliquer aux Syriens que tout projet de discorde était dangereux, que les communiqués des ulémas du Akkar contre le patriarche maronite sont aussi un péril pour Damas. Contrairement à une réconciliation nationale, qui est dans son intérêt, et qu’il pourrait garantir », a-t-il indiqué.
D’autres, parmi lesquels au moins un ténor de l’opposition, estiment que l’entreprise de M. Haoui pourrait viser « à créer un front pour protéger les arrières de la Syrie au cas où celle-ci serait amenée bon gré mal gré à retirer ses troupes du Liban ». Là aussi, Georges Haoui n’élude pas la question. « S’il faut aider la Syrie pour sauver le Liban, pourquoi pas ? L’essentiel, c’est qu’il y ait une relibanisation du pays et une restauration de son unité », répond-il, en affirmant que la Syrie ne se retirera jamais sous la pression US et que, de toute façon, cela n’irait pas dans l’intérêt du Liban.
Enfin, un troisième groupe estime que le projet de M. Haoui lui a permis de retrouver le chemin de Damas et, partant, celui de Baabda, qu’il n’avait plus arpenté dernièrement. « C’est vrai en ce qui concerne Baabda. J’avais perdu contact. Mais les relations avec Damas n’ont jamais été interrompues. De toute façon, je n’ai aucune ambition personnelle. Je cherche juste à promouvoir la paix civile, parce que l’alternative serait une nouvelle guerre au Liban. Et à faire comprendre aux Syriens que certaines personnes au Liban n’entretiennent des relations avec Damas que pour maintenir leur hégémonie sur le pouvoir », dit-il.
Et M. Haoui d’enchaîner en donnant l’exemple des cas Michel Aoun et Samir Geagea : « Le problème ne se situe pas au niveau du général Aoun, mais plutôt du côté du pouvoir. Je ne peux pas le blâmer. Et si le pouvoir ne me donne pas la garantie qu’il pourra exprimer ses opinions et poursuivre son action au Liban en toute liberté, je n’irai pas le voir à Paris. C’est pareil pour ce qui est de M. Geagea. On m’a promis une amélioration de ses conditions de détention, comme premier pas vers sa libération. Là aussi, c’est une condition sine qua non pour la poursuite de mon projet. D’ailleurs, la Syrie n’est pas à l’origine de son arrestation. Elle a juste laissé faire, en raison des nombreuses contradictions sur la scène politique interne. » « Les responsables libanais rejettent tout le négatif sur la Syrie, parce qu’elle a bon dos », souligne-t-il. Avant de préciser qu’un document de travail sera bientôt présenté à Walid Joumblatt, Hassan Nasrallah, Nassib Lahoud, Nabih Berry, Kornet Chehwane, Sélim Hoss, au PCL, au parti Baas et au patriarche maronite. Le document sera ensuite remis au président de la République. « Et ce sera à lui de décider s’il veut poursuivre l’entreprise ou non. Mais, si l’initiative trébuche, je me suis engagé à affirmer tout haut qui aura été responsable de l’avortement, que ce soit la Syrie, la présidence de la République ou d’autres », ajoute-t-il.

Vers un changement
en Syrie ?
Georges Haoui croit ferme dans le dialogue, estimant que ce sera même l’un des enjeux principaux de la prochaine présidentielle. Et que ce dialogue constitue la source du changement.
Mais il est une idée, qui tend de plus en plus à se préciser, et qui est devenue une certitude pour certains opposants : un changement au Liban est tributaire d’un changement en Syrie. Et, selon une personnalité politique, cette dernière perspective d’une mutation syrienne semble bien peu probable, en raison de problèmes structurels internes.
Cette idée de réciprocité du changement, Georges Haoui la partage. Pour lui, l’évolution de la société syrienne est nécessaire : « Le statu quo ne peut pas demeurer. Mais une “perestroïka” syrienne est encore plus dangereuse et à éviter absolument. L’expérience algérienne – en d’autres termes une libéralisation qui intégrerait l’intégrisme sunnite – est à éviter absolument. Un régime laïque à l’européenne ne fonctionnera pas non plus, parce qu’il ferait fi des caractéristiques syriennes. Les intellectuels libéraux, qui reprochaient, à juste titre, l’importation et l’implantation des structures marxistes dans la région sont en train de faire ce qu’ils déploraient autrefois. »
La solution pour la Syrie, selon lui, c’est le dialogue entre l’élite intellectuelle à l’échelle nationale : « Seul un dialogue démocratique peut développer la Syrie. Et c’est pour cela que le dialogue, au Liban, constitue une expérience vitale, une bouée de sauvetage pour la société syrienne. »
Il reste que le dialogue au Liban est actuellement boiteux. Parce qu’il omet l’essentiel : un débat sur le devenir du pays, sa vocation même, quelque peu nébuleuse aujourd’hui, et sur les concepts mêmes qui font ou défont un État. Un pays sans vocation, sans esprit, c’est un pays sans âme. Et c’est, à bien des égards, le Liban d’aujourd’hui.

Michel HAJJI GEORGIOU
Le changement. Depuis l’invasion de Bagdad par les forces américaines, tout le monde en parle, autant dans les milieux du pouvoir que dans les rangs de l’opposition. Certains y croient dur comme fer, d’autres pas du tout. Ceux qui y croient misent sur l’irréversibilité d’un processus de modernisation et de démocratisation à l’échelle régionale initié par les...