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FESTIVAL DE BAALBECK - L’Orchestre symphonique et lyrique français, les choristes de l’Opéra national de Paris et le Chœur d’enfants de la maîtrise des Hauts-de-Seine «Carmen» de Bizet: une femme libre(photo)

Vous ne la verrez pas échevelée ou en guenilles. Modeste, certes, cette bohémienne mais gardant sa dignité et allant avec courage au-devant de la mort. Une femme parfaitement libre et libérée, qui sait régler ses comptes avec l’amour, même lorsqu’elle se trompe dans son choix. Voilà la Carmen qui a palpité et vécu l’autre soir sous un ciel étoilé et une lune dorée au Temple du soleil, devant un auditoire nombreux qui se pressait en silence et avec recueillement jusqu’aux derniers rangs des gradins. On retient son souffle avec le vent qui s’est levé et les spots qui se sont allumés. Décor naturel imposant pour le drame de Bizet, où les pulsions suicidaires d’une femme amoureuse sont la plus troublante des cantilènes.
Dans la fosse s’est installé l’Orchestre symphonique et lyrique français sous la direction du maestro Philippe Hui. Séville, à l’ombre des vieilles et colossales colonnes, secoue sa poussière. Le spectacle est dans la rue où garde montante, cigarières sortant de la manufacture et enfants jouant aux soldats se confondent bruyamment entre sonnerie de fifres, trompettes et chants mélodieux. Et voilà qu’émerge la Carmencita, gitane à la beauté provocante dardant son regard de braise ensorceleur sur Don José, pris soudain dans ses filets. Une fleur de grenadier lancée au beau brigadier et le sort est jeté. La douce Micaela, amie d’enfance de Don José, ne pourra plus déjouer un destin habité brusquement par la fièvre d’une passion dévorante et fatale. Et s’enclenchent les troublants jeux des intermittences du cœur à travers une femme pour qui «l’amour est un oiseau rebelle que nul ne peut apprivoiser…».
Rebelle, insolente, cynique et candide, Carmen règne sur le cœur des hommes. Mais ses désirs ont des volte-face terribles et son feu peut s’éteindre aussi vite qu’il s’est allumé. Dans cette traversée de l’amour où fusion, trahison et passion empruntent des chemins tortueux et imprévisibles, Carmen a toutes les cartes en main, y compris celle de la mort. Et se déploient avec faste ces tableaux finement colorés où vit l’Espagne avec ses toréadors, ses mantilles, ses jupes à falbalas volantés, ses habaneras, ses seguidillas, ses « malaguenâs » et ses boléros. De l’auberge de Lillas Pastias fréquentée par les contrebandiers où se réfugie l’héroïne aux tours (et détours) enjoleurs et narquois de Carmen, en passant par cet intermezzo plein de charme et de mystère, à la désertion de Don José pour suivre cette pasionaria intrépide aux comportements peu conventionnels, la trame de l’histoire vire vers le rouge sang.
Carmen est éprise d’Escamillo, toréador acclamé par les foules, et se détourne définitivement de celui dont elle a pourtant ravi le cœur. Désespoir et fureur de ce dernier qui la poignarde pour ce refus et déni d’amour tandis qu’au loin retentissent les acclamations qui célèbrent la victoire du toréador.
Costumes flamboyants pour cette œuvre d’un romantisme bouillonnant, tablant beaucoup sur la couleur, le pittoresque et l’esprit ibérique, avec un magnifique jeu de lumière diffusant subtilement les diverses atmosphères où évoluent les protagonistes. Saisissants tableaux d’ensemble, dans une mise en scène sobre et minimaliste, laissant avec un parfait doigté la part du lion au cadre naturel et prestigieux de Baalbeck. Les interprètes ont tous d’excellentes voix, notamment Marie-Thérèse Keller dans Carmen, avec son timbre chaud et puissant mais manquant toutefois de sensualité et d’expressivité corporelle. Don José, campé par Luca Lombardo, est touchant dans son désarroi, sa virilité blessée et cet amour qui l’écrase. Micaela, sous les traits de Brigitte Lafon, a eu toutes les faveurs du public avec son aria-prière d’une vibrante tendresse. Escamillo, fier pourfendeur de taureaux, sous la lame acérée et la cape de Frank Ferrari, a les tonnants éclats graves de certains grands barytons russes. Superbes passages (dans une riche distribution, avec plus de cent quarante-cinq participants) qui résonnent encore dans nos oreilles, allant de l’air du toréador à celui de « l’amour est enfant de Bohème » en passant par la fiesta à la taverne. Magnifique tableau final, aux confins d’une somptueuse image alliant onirisme et surréalisme, avec ces personnages richement costumés et hiératiques, tournant le dos au public et regardant les arènes où s’élèvent les « viva » tandis qu’agonise, tout en blanc avec mantille en dentelle, une Carmen poignardée.
Une des plus belles versions de Carmen qu’il ait été donné à voir au public libanais avec, en prime, non seulement le mythe immortel de l’amour mais aussi celui du thème de la liberté de la femme.

Edgar DAVIDIAN

Fiche technique
Carmen de Georges Bizet, opéra comique en quatre actes sur un livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy d’après Prosper Mérimée. Située au cœur de l’Espagne, l’action transporte le public au début du XIXe siècle, à la fois dans le milieu ouvrier et celui de la tauromachie.
Orchestre symphonique et lyrique français (60 musiciens).
Choristes de l’Opéra national de Paris (40 choristes).
Chœur d’enfants de la maîtrise des Hauts-de-Seine (30 choristes).
Directeur musical, Philippe Hui.
Metteur en scène, Jack Gervais.
Marie-Thérèse Keller (mezzo) dans le rôle de Carmen.
Luca Lombardo (ténor) dans le rôle de Don José.
Frank Ferrari (baryton) dans le rôle d’Escamillo.
Brigitte Lafon (soprano) dans le rôle de Micaella.
Vous ne la verrez pas échevelée ou en guenilles. Modeste, certes, cette bohémienne mais gardant sa dignité et allant avec courage au-devant de la mort. Une femme parfaitement libre et libérée, qui sait régler ses comptes avec l’amour, même lorsqu’elle se trompe dans son choix. Voilà la Carmen qui a palpité et vécu l’autre soir sous un ciel étoilé et une lune dorée...