C’est, bien entendu, le ministre techniquement et politiquement conforme, celui des Télécommunications, qui a eu cette idée. Plus exactement, il avait protesté il y a quelque temps contre une manipulation qu’il avait cru déceler dans l’une des décisions prises par le Conseil. C’était une mesure se rapportant à son département et au cellulaire, sujet auquel il est naturellement très sensible. Jean-Louis Cardahi avait donc réclamé une correction de la bévue relevée dans le compte-rendu. Dans le cadre de la guéguerre d’escarmouches entre haririens et lahoudistes, le ministre de la Justice, Bahige Tabbarah, s’était élevé contre la correction du texte incriminé. En affirmant que ce serait illégal et qu’en cas d’erreur, il faut tout simplement annuler toute la décision, pour en prendre une autre. Tabbarah, en bon juriste, avait souligné qu’une rature signifierait qu’on reconnaîtrait une faute commise. Donnant lieu de la sorte à un précédent qui permettrait à tout ministre, et à tout moment, d’exiger l’invalidation de mesures dénoncées comme imprécises ou même falsifiées. Cardahi avait cependant campé sur ses positions, en affirmant que le texte publié était incomplet et dénaturait l’accord conclu. Après ces amusettes, qui ressemblent à un jeu de société dont l’enjeu serait d’avoir su le mieux pinailler, l’on avait donc sagement décidé de tout enregistrer désormais. Bien évidemment, sous le sceau du secret, puisque les débats du Conseil des ministres ne peuvent être divulgués publiquement.
En tout cas, les ministres se disent tous, plus ou moins sincèrement, satisfaits d’être sous surveillance auditive. Dorénavant, soulignent-ils à l’unisson, il n’y a plus d’équivoque possible quant à la teneur des mesures adoptées par consensus. De plus, il n’y a plus, en principe, de possibilités de frictions entre certains ministres et le secrétariat. Qui se trouve conjointement assumé en pratique, selon ces ministres, par le secrétaire général du Conseil, qui relève de la présidence du Conseil, et par le directeur général du palais présidentiel.
Cependant, certains officiels ne cachent pas que l’enregistrement des débats, c’est en réalité l’arbre qui cache la forêt. À leur sens, l’important n’est pas de savoir si ce qui a été dit se répercute fidèlement dans les décisions publiées, mais bien d’appliquer ces mêmes décisions, de ne pas les laisser lettre morte, selon une fâcheuse habitude du pouvoir. Ces responsables ajoutent que, d’ailleurs, le recours au magnétophone pour réguler les séances est loin d’être suffisant. Dans ce sens que le seul parapet valable contre les dérives reste l’adoption d’un statut, d’un règlement intérieur cohérent. Ce qui impliquerait qu’on remplace le système existant, fruit d’un simple décret, par un autre, plus solide, qui devrait être entériné par une loi votée au Parlement. Toujours est-il que, dans l’ensemble, le climat des séances s’est amélioré. Notamment parce que le chef de l’État tient beaucoup à ce que le Conseil fonctionne vraiment comme une institution à part entière.
Philippe ABI-AKL
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