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Actualités

Une nouvelle méthode de travail

C’est un peu le pari de Pascal : soigner le fond par le biais de la forme. Le pouvoir, entendre l’Exécutif, tente de surmonter ses contradictions intérieures en modernisant ses capacités de rendement. Il a été ainsi décidé d’enregistrer sur bande magnétique (au magnétophone, et bientôt on en viendra aux caméras cachées !) les débats du Conseil des ministres. Pour couper court (et c’est dire combien la confiance règne) aux suspicions concernant le compte-rendu officiel établi après chaque séance. En principe, de conserve entre les services du palais et le secrétariat du Conseil. C’est-à-dire en pratique par le cabinet du Premier ministre. Comme ce dernier n’a plus la majorité, il a été facile de lui arracher le contrôle secrétarial des réunions. Un détail qui a politiquement beaucoup plus d’importance qu’on ne le croirait à première vue. Parce que les polémiques hors murs s’alimentent en tout premier lieu des minutes, c’est-à-dire du procès-verbal, des échanges (de noms d’oiseaux, parfois) qui ont pu se produire en séance. Ainsi certains ministres ne pourront plus, comme avant, tronquer les réalités pour tirer la couverture médiatique à eux, ou critiquer d’autres membres de la grande et belle famille loyaliste.
C’est, bien entendu, le ministre techniquement et politiquement conforme, celui des Télécommunications, qui a eu cette idée. Plus exactement, il avait protesté il y a quelque temps contre une manipulation qu’il avait cru déceler dans l’une des décisions prises par le Conseil. C’était une mesure se rapportant à son département et au cellulaire, sujet auquel il est naturellement très sensible. Jean-Louis Cardahi avait donc réclamé une correction de la bévue relevée dans le compte-rendu. Dans le cadre de la guéguerre d’escarmouches entre haririens et lahoudistes, le ministre de la Justice, Bahige Tabbarah, s’était élevé contre la correction du texte incriminé. En affirmant que ce serait illégal et qu’en cas d’erreur, il faut tout simplement annuler toute la décision, pour en prendre une autre. Tabbarah, en bon juriste, avait souligné qu’une rature signifierait qu’on reconnaîtrait une faute commise. Donnant lieu de la sorte à un précédent qui permettrait à tout ministre, et à tout moment, d’exiger l’invalidation de mesures dénoncées comme imprécises ou même falsifiées. Cardahi avait cependant campé sur ses positions, en affirmant que le texte publié était incomplet et dénaturait l’accord conclu. Après ces amusettes, qui ressemblent à un jeu de société dont l’enjeu serait d’avoir su le mieux pinailler, l’on avait donc sagement décidé de tout enregistrer désormais. Bien évidemment, sous le sceau du secret, puisque les débats du Conseil des ministres ne peuvent être divulgués publiquement.
En tout cas, les ministres se disent tous, plus ou moins sincèrement, satisfaits d’être sous surveillance auditive. Dorénavant, soulignent-ils à l’unisson, il n’y a plus d’équivoque possible quant à la teneur des mesures adoptées par consensus. De plus, il n’y a plus, en principe, de possibilités de frictions entre certains ministres et le secrétariat. Qui se trouve conjointement assumé en pratique, selon ces ministres, par le secrétaire général du Conseil, qui relève de la présidence du Conseil, et par le directeur général du palais présidentiel.
Cependant, certains officiels ne cachent pas que l’enregistrement des débats, c’est en réalité l’arbre qui cache la forêt. À leur sens, l’important n’est pas de savoir si ce qui a été dit se répercute fidèlement dans les décisions publiées, mais bien d’appliquer ces mêmes décisions, de ne pas les laisser lettre morte, selon une fâcheuse habitude du pouvoir. Ces responsables ajoutent que, d’ailleurs, le recours au magnétophone pour réguler les séances est loin d’être suffisant. Dans ce sens que le seul parapet valable contre les dérives reste l’adoption d’un statut, d’un règlement intérieur cohérent. Ce qui impliquerait qu’on remplace le système existant, fruit d’un simple décret, par un autre, plus solide, qui devrait être entériné par une loi votée au Parlement. Toujours est-il que, dans l’ensemble, le climat des séances s’est amélioré. Notamment parce que le chef de l’État tient beaucoup à ce que le Conseil fonctionne vraiment comme une institution à part entière.

Philippe ABI-AKL
C’est un peu le pari de Pascal : soigner le fond par le biais de la forme. Le pouvoir, entendre l’Exécutif, tente de surmonter ses contradictions intérieures en modernisant ses capacités de rendement. Il a été ainsi décidé d’enregistrer sur bande magnétique (au magnétophone, et bientôt on en viendra aux caméras cachées !) les débats du Conseil des ministres. Pour...