Rechercher
Rechercher

Actualités

Disparition - Le Liban en deuil après le décès de Pierre Hélou L’homme qui ne pouvait aller contre sa conscience(photos)

Il était entré en politique sur un défi (amical) que lui lança un jour Kamal Joumblatt : « La bourgeoisie libanaise n’osera jamais se salir les mains dans l’arène publique », s’était écrié ce dernier, avec l’espoir à peine dissimulé d’avoir atteint l’amour-propre de son jeune interlocuteur au point de l’amener à relever le défi. Ce fut fait.
Bourgeois, Pierre Hélou l’était et n’avait pas à en rougir. Loin de cette nonchalante indifférence qui est souvent le trait dominant des enfants de nantis, il fut l’un des quelques rares hommes politiques libanais à avoir croisé le fer pour porter sur la scène publique les idéaux les plus solides d’une certaine bourgeoisie beyrouthine, celle qui a fait de l’ouverture, de la tolérance, de la modération plus qu’un credo, un mode de vie.
Lui, le fils d’un riche homme d’affaires maronite et grand propriétaire terrien, il fut cofondateur, avec son ami, l’imam Moussa Sadr, du Mouvement des déshérités, bien avant que celui-ci ne devienne le mouvement Amal que nous connaissons aujourd’hui.
Pendant plus d’une trentaine d’années, les plus agitées de l’histoire du Liban, l’homme qui se disait « fier » d’être un député à la Chambre y a mené – ainsi qu’au sein du gouvernement – plus d’un combat épuisant pour tenter de mettre fin aux innombrables dérives dont il fut témoin. Politiciennes ou guerrières, elles s’arrêtaient toujours à sa porte.
Car cet homme courtois, sympathique, savait aussi dire non, même avec le sourire. « Je ne peux pas aller contre ma conscience. Jamais », disait-il. Ce n’était pas une vue de l’esprit. À diverses reprises, Pierre Hélou fut appelé à assumer un destin national. S’il s’y est refusé, ce n’est point pour se dérober à la tâche, mais parce que les compromissions ou les atteintes à l’esprit consensuel qui y étaient attachées heurtaient – justement – sa conscience.
Et comment en serait-il autrement chez un homme qui, en épousant la fille du père de la Constitution de 1926, Michel Chiha, est devenu l’un des plus fidèles défenseurs de la pensée de ce dernier au sein d’une classe politique trop souvent encline à ne respecter ni la lettre ni l’esprit de la Loi fondamentale.
Tout récemment encore, Pierre Hélou continuait, au sein du gouvernement, à tenir pleinement le rôle de celui qui, tout en se refusant à claquer la porte, à se dérober, n’acceptait pas de « jouer le jeu », de se laisser imposer des règles de conduite autres que celles qui fondaient son credo politique.
Ministre au sein du IVe cabinet Hariri (2000 à 2003), il en était aussi le trublion. Au point d’être qualifié par nombre de ses collègues de « ministre-opposant ». Mais il rejetait ce qualificatif et estimait au contraire qu’il devait être considéré comme l’un des plus chauds partisans du gouvernement dans la mesure où ce qu’il souhaitait, c’était tout simplement l’application de la déclaration gouvernementale. À ses yeux, les vrais opposants étaient les autres, ceux qui ne voulaient pas de cette application.
Pierre Hélou a cru en Taëf. D’abord parce que c’était le moyen d’en finir avec une guerre (des guerres) insensée(s). Ensuite parce que cet accord reste, dans l’ensemble, fidèle aux principes fondateurs du Liban contemporain qui tiennent en deux mots : convivialité et modération.
Pour autant, on ne pouvait attendre de lui qu’il se taise lorsque, à l’épreuve des faits, des lacunes – et même des brèches – sont apparues dans l’application de la nouvelle Constitution. Que ce soit au Parlement, au gouvernement ou même à la tête de la Ligue maronite, il n’a eu de cesse de dénoncer ces lacunes.
C’est pour toutes ces raisons que la disparition de Pierre Hélou mérite d’être pleurée. Et pas seulement par ses proches, ses alliés, son ami de toujours, l’ancien ministre Michel Eddé, à qui il est lié tant sur le plan politique que familial. Ses adversaires aussi, quelque rudes qu’ aient été les critiques qu’il leur adressait, louent aujourd’hui son courage et sa probité.
Il était né le 21 janvier 1928 à Beyrouth et avait fait ses études scolaires et universitaires chez les pères jésuites.
À sa sortie de l’USJ, il se rend en France afin de se spécialiser dans l’étude des mathématiques, mais le décès prématuré de son père Henri, en 1948, le contraint à rentrer au Liban et à prendre la direction des affaires familiales.
Dans les années cinquante, il se déplace fréquemment pour affaires au Koweït, en Irak et en Arabie saoudite, où il établit d’excellentes relations avec des membres des familles régnantes, notamment avec l’actuel prince héritier saoudien, le prince Abdallah ben Abdel Aziz.
Apparenté à la famille du président Béchara el-Khoury, il s’intéresse de près à la chose publique durant toutes ces années, mais c’est seulement en 1972, à la suite du défi lancé par Kamal Joumblatt, qu’il décide de se présenter aux législatives.
Il pose sa candidature dans la circonscription d’Aley, sur une liste conduite par l’émir Magid Arslane et soutenue par Kamal Joumblatt. Toute la liste est élue, à la suite d’une rude bataille. L’année suivante, il entre pour la première fois au gouvernement et se voit confier le portefeuille de l’Industrie et du Pétrole.
Pendant la guerre, il se consacre, avec d’autres, à préserver autant que possible la légitimité parlementaire et institutionnelle. Il le fera avec tant de talent et de force qu’il s’imposera, souvent, comme un candidat plus que plausible à la présidence de la République.
C’est en 1988 que l’instant de vérité va sonner pour la première fois. Appelé in extremis par le président Amine Gemayel pour former un gouvernement de transition chargé de préparer l’élection présidentielle, il se récuse en affirmant qu’il n’a pas l’intention d’être « le chef maronite d’un gouvernement composé à l’avance » ni de servir de combustible à une guerre christiano-chrétienne dans la mesure où beaucoup, à l’est, réclament la nomination du général Michel Aoun.
L’année suivante, c’est la présidence de la République qui lui passe sous le nez, au lendemain de l’assassinat de René Moawad. À Hussein Husseini, à l’époque président de la Chambre, qui le supplie d’accepter, il répond par un refus catégorique. Il ne sera pas dit que lui, Pierre Hélou, fils de Beyrouth et de Baabda, député à la Chambre, gendre de Michel Chiha, aura donné sa caution à l’écrasement de l’armée libanaise par une armée étrangère.
En 1992, ignorant la consigne de boycottage dans le camp chrétien, qu’il considère comme suicidaire, il se présente une nouvelle fois aux élections législatives à Aley avec une priorité en tête : assurer le retour des populations déplacées de la montagne. Soutenu par Walid Joumblatt, il est facilement réélu.
Quatre ans plus tard, le paysage n’est pourtant plus le même. Pierre Hélou reproche au chef du PSP d’avoir mal géré le dossier des déplacés et se présente contre la liste joumblattiste. Il est battu.
En 2000, il prend sa revanche : il est le seul candidat élu (outre Talal Arslane) de la liste opposée à celle de Walid Joumblatt. Il entre aussitôt au gouvernement formé par Rafic Hariri comme ministre d’État. Commence alors une longue quête quasi solitaire pour dénoncer toutes les aberrations du cabinet. En vain. Sanctionné, il n’est pas repris dans la nouvelle équipe ministérielle, mais peu lui chaut : de son fauteuil de député, il comptait poursuivre son combat et c’est les armes à la main qu’il est finalement tombé.
Marié à Madeleine Michel Chiha, Pierre Hélou laisse trois enfants, Henri, Philippe et Isabelle, et onze petits-enfants.

Élie FAYAD
Il était entré en politique sur un défi (amical) que lui lança un jour Kamal Joumblatt : « La bourgeoisie libanaise n’osera jamais se salir les mains dans l’arène publique », s’était écrié ce dernier, avec l’espoir à peine dissimulé d’avoir atteint l’amour-propre de son jeune interlocuteur au point de l’amener à relever le défi. Ce fut fait.Bourgeois, Pierre...