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Actualités

Droit devant

Pierre Hélou, que pleure aujourd’hui tout le Liban, appartenait-il vraiment à ce qu’il est convenu d’appeler le monde politique : c’est-à-dire ce microcosme en perpétuelle agitation, mais d’une désespérante stérilité où opportunisme, flagornerie, vénalité et autres plaies laissent bien peu de place à la droiture, à la fidélité aux valeurs et principes, à l’intraitable souci de l’intérêt national ?
Issu d’une famille rompue pourtant à la chose publique, jeté très tôt à l’eau, Pierre Hélou n’avait jamais voulu s’initier à l’une de ces règles de base qu’est tenu d’assimiler tout novice en politique, à savoir l’art de louvoyer. C’est qu’il cinglait droit devant, par tous vents, ce courageux gaillard au regard franc, au verbe haut et clair, qui ne craignait pas de passer pour un idéaliste, un utopiste, un rêveur aux yeux de ceux, hélas bien nombreux, pour qui toute ascension commande que l’on sache courber l’échine.
Dynamique et audacieux brasseur d’affaires jamais éclaboussé par « les affaires », exquis homme du monde à la courtoisie légendaire, Pierre Hélou était un juste : juste jusque dans les extrêmes, capable qu’il était en effet de passer en un instant du rire le plus exubérant à la plus sainte des colères. Car rien ne le faisait davantage suffoquer d’indignation et de révolte, rien ne lui faisait mieux monter le sang à la tête que l’aberration, l’outrance, l’injustice, le déni de droit, le mépris du citoyen.
Homme de compromis toujours, de compromissions jamais : peu de personnalités maronites peuvent, comme lui, se targuer d’avoir plus d’une fois décliné les charges les plus hautes, qui lui étaient offertes pourtant sur un plateau d’argent. Car dans le fin métal du plateau s’était glissé le salpêtre de la discorde. Former et conduire, au terme du sexennat Gemayel, un gouvernement intérimaire condamné à être boycotté par les musulmans du Liban ? Jamais ce chrétien de la convivialité – et de la coexistence, non point seulement tolérante, mais agissante et positive – n’aurait pu s’y résoudre. De même s’était-il refusé, peu après, à cautionner d’avance un assaut militaire syrien contre le réduit de Baabda : non point qu’il éprouvât la moindre sympathie pour la « rébellion » du général Aoun ; mais il répugnait profondément à cet homme libre de toute hypothèque de payer d’un bain de sang, doublé d’un effondrement de l’armée régulière, son ticket d’entrée au palais présidentiel.
Jusqu’à son dernier souffle, Pierre Hélou aura lutté contre les anomalies et perversions d’un système qui eut bien voulu l’absorber, l’intégrer, mais dans lequel il ne pouvait se reconnaître. Il se sera inlassablement colleté avec les politiciens et la politique, telle qu’elle est perçue sous ces latitudes. Jusqu’au bout, il aura continué de ruer dans les brancards, de contester, et c’est d’ailleurs en ardent, en infatigable debater qu’il est finalement tombé.
En Pierre Hélou, sa famille perd un être attentionné et aimant qui, oubliant sa grande fatigue et les conseils de ses médecins effarés l’exhortant à lever le pied, était sur le point de s’envoler pour les antipodes à seule fin de rendre visite à ses petits-enfants. Notre journal porte le deuil d’un de ses fondateurs et plus fidèles soutiens, d’un administrateur qui ne ménageait pas à la Rédaction ses témoignages d’amitié, sans jamais en attendre en retour le moindre privilège médiatique, la moindre complaisance. Ses nombreux et fidèles électeurs perdent en Pierre Hélou un homme qui les a compris et aimés, qui leur sacrifiait son repos, qui tenait à partager sur place, avec eux, leurs joies et leurs peines. Le pays tout entier voit avec tristesse disparaître l’une de ses figures les plus nobles, les plus attachantes, les plus estimées, les plus dignes de respect, tous traits que ses propres adversaires sont d’ailleurs les premiers à louer.
Mais c’est surtout la jeunesse qui devrait pleurer cet adolescent septuagénaire, ce combattant désarmé obsédé de propreté dans une arène politique envahie par la pourriture. Un rêveur, Pierre Hélou ? Bien mieux que cela, quelqu’un capable de faire rêver. Puisse son exemple inspirer ceux et celles qui devront bâtir le Liban de demain : celui d’un homme politique qui s’est toujours refusé à « jouer le jeu » et qui a néanmoins gagné la partie là où finalement, cela compte le plus.
Oui, les principes, il faudra bien qu’un jour ce soit payant.

Lorient Le Jour
Pierre Hélou, que pleure aujourd’hui tout le Liban, appartenait-il vraiment à ce qu’il est convenu d’appeler le monde politique : c’est-à-dire ce microcosme en perpétuelle agitation, mais d’une désespérante stérilité où opportunisme, flagornerie, vénalité et autres plaies laissent bien peu de place à la droiture, à la fidélité aux valeurs et principes, à...