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Solidarité - Les volontaires d’Offre-joie réaménagent la rue Baal Dakkour à Tripoli Un message d’amour et de respect pour les plus défavorisés, oubliés par l’État et ses institutions (photos)

« Nous ne voulons pas que vous changiez votre religion. C’est comme cela que nous vous aimons. Nous voulons simplement vous aider à mieux vivre. » Ébahis, les quelque mille habitants de Baal Dakkour, une rue parmi les plus pauvres de Bab el-Tebbané, à Tripoli, ont écouté ce jeune homme qui se tenait debout, la tête levée vers eux, leur tenant un langage qu’ils n’avaient jamais entendu auparavant et leur promettant de peindre leurs taudis. Serait-il possible que des jeunes volontaires, chrétiens et musulmans, soient venus dans le seul but de réaménager leur rue, sans demander une contrepartie ? Pour tous ces gens qui vivent dans une misère indescriptible, oubliés du monde, sauf des candidats aux élections législatives une fois tous les quatre ans, c’était trop beau pour être vrai. Quand on est pauvre, on est méfiant et agressif. Il a fallu donc de la patience, du doigté et beaucoup d’amour aux jeunes d’Offre-joie pour mener jusqu’au bout le chantier de Baal Dakkour. Aujourd’hui, la rue est transfigurée, les visages des habitants aussi.Après le chantier de Baal Darawiche, l’an dernier, les volontaires d’Offre-joie, à leur tête Me Melhem Khalaf, se sont attaqués à Baal Dakkour, un quartier plus peuplé, pauvre parmi les pauvres et, comme souvent lorsque la misère est omniprésente, tenté par les discours intégristes.
C’est le succès de l’expérience de l’an dernier qui a poussé les jeunes à vouloir la rééditer. La municipalité de Tripoli a offert la somme de 20 millions de LL (près de 13 000 dollars) et elle a proposé à Offre-joie de se charger de Baal Dakkour, une rue pas très éloignée de la précédente, mais bien plus peuplée : 120 m de long, 23 immeubles et 137 foyers avec 1 100 habitants. Portés par le succès de la première opération de l’an dernier et par leur enthousiasme, les jeunes se sont lancés dans le projet, peu soucieux des difficultés qu’ils pourraient rencontrer.
Philippe Ferneiné, Élias Hajj, Élio Abou Tayeh et Marwan Maalouf, tous de jeunes universitaires, ont pris en charge l’opération, commençant par étudier l’état des lieux et le coût du projet. Il ont été choqués par l’ampleur des travaux à accomplir. Ici, l’État libanais s’arrête au début de la rue. Depuis longtemps, les installations sanitaires, électriques et d’eau ne sont plus qu’un vague souvenir, et les enfants jouent dans la boue, pataugent dans les égouts et s’entortillent dans des fils électriques nus, en contact avec de l’eau polluée, subissant souvent des électrochocs.
D’abord hostile, la population ne comprenait pas ce que lui voulaient ces jeunes visiblement aisés, bien éduqués et tous propres. Tout au long du mois de juillet, les quatre jeunes se sont rendus sur les lieux, faisant souvent appel à Me Khalaf pour arrondir les angles et expliquer l’objectif de l’opération. En août, ils ont commencé l’exécution, vivant pratiquement sur les lieux et dormant dans une école à Tripoli. Le coût total du projet a été estimé à 47 000 dollars. Outre les fonds de la municipalité, il a fallu puiser dans le protocole libano-français (10 000 dollars), l’association ASMAE (les amis de sœur Emmanuelle, 5 000 dollars) et le reste est venu d’Offre-joie et de 72 sociétés commerciales.
Premier objectif : s’occuper du réseau électrique qui présentait un danger réel, surtout pour les enfants ; ensuite, les canalisations d’eau et les égouts ; et pour finir, enduire les murs et les repeindre.

« Bab Tebbané
aux musulmans »
25 Français et 60 Libanais sont arrivés sur les lieux et se sont mis à l’ouvrage, dans la chaleur, la poussière, les odeurs nauséabondes et les monceaux d’ordures, face à une population sidérée. Dans un environnement aussi méfiant et agressif, il n’a pas été facile de gagner la sympathie des habitants. Me Khalaf a d’abord pris soin de demander à des cheikhs de Tripoli de parler aux habitants. Mais d’autres cheikhs, moins ouverts, ne voyaient pas d’un bon œil cette intrusion, considérant que ces jeunes étaient au fond des missionnaires, souhaitant convertir les habitants au christianisme. Pour moins que cela, on tue dans certains quartiers de Tripoli.
Mais les jeunes d’Offre-joie ne pouvaient se laisser aussi facilement intimider. Ils ont tenu bon avec leur sourire, leur confiance et leur bonne volonté pour seules armes.
Pourtant, une maladresse a failli faire cesser l’opération. Après avoir achevé les installations, aménagé les trottoirs, repeint les façades, les jeunes ont décidé de décorer les murs. Ils ont même bâti un petit terrain de jeu, et le long du mur ils ont dessiné une grande fresque libanaise : des cèdres, les colonnes de Baalbeck, une mosquée et un cheikh, une église et un prêtre. Ce n’était peut-être pas une œuvre d’art, mais c’était fait avec des couleurs gaies et un grand désir d’embellir les lieux.
Ils sont rentrés chez eux, comme tous les soirs à 20h et le lendemain matin, en revenant sur le chantier, toute la fresque était recouverte d’un liquide visqueux et noirâtre, avec une inscription en grand : « Bab Tebbané est aux musulmans. » Pour les jeunes, ce fut pire qu’une douche froide. Ils en avaient les larmes aux yeux. Mais, très vite, les habitants du quartier ont pris en main la situation. C’était même un spectacle incroyable : les jeunes grimpés sur le mur, jetant de l’eau pour enlever l’huile et munis de pinceaux pour faire les retouches nécessaires. Avec une maladresse touchante, ils ont voulu redessiner l’église et le prêtre en premier, pour montrer que les jeunes étaient les bienvenus. À ce moment, les jeunes d’Offre-joie ont compris qu’ils avaient gagné la partie et que leur message avait été bien reçu. Et lorsque les FSI ont arrêté deux suspects, c’est Me Khalaf qui a obtenu leur libération, en se portant garant d’eux. Depuis, d’ailleurs, les habitants de la rue de Baal Dakkour le prennent pour Superman, et chaque jour ce sont de nouvelles requêtes.
Dans ce quartier très pauvre, les délinquants sont nombreux. Chaque famille a une personne sous les verrous pour larcins divers. Mais comme ils n’ont souvent pas les moyens de se payer les frais d’un avocat, ils restent des mois et des mois en prison, sans jugement. Me Khalaf est donc plus qu’une aubaine, un véritable bienfaiteur, même si souvent il mesure lui-même son impuissance. Un cas le hante : celui d’Oum Alaa, une femme du quartier dont le fils de 12 ans, Alaa, a disparu il y a six mois. Elle a bien des soupçons, mais nul ne veut l’entendre et elle craint fort que son fils n’ait été enlevé soit par un réseau de prostitution, soit par un réseau de vente d’organes. Chaque jour, elle vient voir Me Khalaf, dans l’espoir d’avoir des nouvelles. En vain. Lorsqu’on est pauvre, on est moins que rien par rapport aux institutions de l’État.
Mais au-delà de l’aménagement de la rue, devenue depuis la fin du chantier riante et gaie, c’est justement un message de solidarité qu’ont voulu transmettre les jeunes d’Offre-joie. Pauvres ou riches, musulmans et chrétiens, éduqués ou non, tous les citoyens méritent le respect et ont droit à un environnement digne.
N’y a-t-il pas un risque que la rue devienne plus accueillante que leurs foyers, augmentant ainsi leur sentiment de frustration ? « Peut-être qu’elle est plus belle maintenant, répond Philippe. Mais cela peut les pousser à améliorer leur intérieur. Ce que nous voulons leur montrer, c’est qu’ils peuvent modifier leur cadre de vie, et peut-être même leur vie en entier, avec peu de moyens. »
Ne vont-ils pas les abandonner, une fois le travail terminé ? « Oh non. Nous nous sommes attachés à eux, comme eux à nous. Nous espérons pouvoir ouvrir un centre sur place, pour leur donner une formation accélérée. Il faut les aider à trouver du travail pour vivre dans la dignité. »
Me Khalaf écoute avec un sourire ému. Ces jeunes-là sont, pour lui, l’espoir du Liban, ce Liban tel qu’on le souhaite et qu’on le rêve : un pays de solidarité et de tolérance. « Avec 47 000 dollars et 60 jeunes, en un mois, nous avons réaménagé une rue. Imaginez ce que nous pourrions faire avec 500 jeunes, un million de dollars, en trois mois ! Que de bonheur nous pourrions donner aux gens. »
Avec des gens aussi déterminés, ce rêve-là pourrait bien devenir une réalité.
Scarlett HADDAD
« Nous ne voulons pas que vous changiez votre religion. C’est comme cela que nous vous aimons. Nous voulons simplement vous aider à mieux vivre. » Ébahis, les quelque mille habitants de Baal Dakkour, une rue parmi les plus pauvres de Bab el-Tebbané, à Tripoli, ont écouté ce jeune homme qui se tenait debout, la tête levée vers eux, leur tenant un langage qu’ils n’avaient...