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Le cas Toufayli remet sur le tapis la politique des deux poids, deux mesures

Depuis toujours, le Liban est une république velléitaire, fantasque, où les brusques décisions du pouvoir ne tiennent la route qu’une semaine ou deux. Deux petits exemples relativement récents de ce laxisme bon enfant : l’obligation de disposer d’un extincteur en voiture et de ne pas y faire usage du portable. Qui, à l’usage, sont redevenus l’un inexistant et l’autre beaucoup trop. En regard des mécanismes du pouvoir, des impératifs de crédibilité sur lesquels se fonde l’autorité de l’État, il y a des défaillances bien plus graves. Relevées, ces derniers temps, au sujet du pillage de l’électricité. Ou comme la question, endémique, des îlots d’insécurité que constituent les camps palestiniens. Ou encore comme celle de l’étrange indulgence manifestée à l’égard d’activistes hors la loi, repris de justice, objets de multiples condamnations (parfois à mort) par défaut. À l’instar du Palestinien Aboul Ayneyn, qui a pignon sur rue et tient des conférences de presse à tire-larigot. Ou de son compatriote classé par toutes les polices du monde comme « terroriste haut de gamme », le tristement célèbre Abou Mahjane, commanditaire présumé de l’assassinat de cheikh Halabi à Beyrouth puis du massacre des juges à Saïda.
Aujourd’hui, le pouvoir soutient vouloir redresser la barre (et en reprendre la commande) dans tous les domaines. Le régime proclame sa détermination d’engager une réforme de fond, avec épuration à la clé, et d’aller jusqu’au bout. L’effort de redressement s’inscrit dans une lutte axée contre la récession économique. Il s’agit de tenir les engagements pris à Paris II pour obtenir de l’aide. Et ces promesses comprennent la réforme ainsi que le rétablissement du crédit confiance de l’État. Il faut donc un coup de balai, et le Conseil des ministres a confirmé les directives données dans ce sens à Karim Pakradouni, ministre en charge du Développement administratif. En termes pudiques, il doit « examiner l’excédent » de fonctionnaires... Toujours du côté du pouvoir, il s’engage par la bouche du ministre de l’Intérieur Élias Murr à assurer des élections honnêtes à Baabda-Aley.
Mais ces belles assurances se trouvent ébranlées quand on songe au cas de cheikh Soubhi Toufayli. Dont le relief se trouve encore plus marqué du fait qu’il a coïncidé avec les questions posées par des enquêteurs à cheikh Roucheid el-Khazen sur des branchements électriques. Autrement dit, et encore une fois, on se soucie d’appliquer la loi quelque part, on sait trop bien où, mais pas ailleurs. Or le discours d’investiture du président de la République, qui reste la référence pour tous, même (ou surtout) pour les opposants légalistes, soulignait fermement que nul, pas même le chef de l’État et les autres dirigeants, n’est au-dessus de la loi, qui serait appliquée à tous sans complaisance ni discrimination. On veut bien croire les loyalistes quand ils affirment que dorénavant, ce discours fondamental, dont la concrétisation a été empêchée par des entraves déterminées, va justement avoir force de loi. Mais sur le plan des tiraillements entre pôles d’influence, on en reste au même point, même si la trêve est actuellement respectée. C’est-à-dire que l’ensemble des professionnels sont d’accord pour estimer que, tôt ou tard, l’échéance présidentielle va entraîner une lutte ouverte et serrée entre les protagonistes locaux, notamment au sein du pouvoir. Et d’un autre côté, redisons-le, cheikh Soubhi Toufayli, en réapparaissant bruyamment sur la scène publique, brouille sérieusement les cartes. Devant son action, ses propos incendiaires, les déclarations de bonnes intentions des responsables pâlissent comme de lointaines étoiles dans un ciel pollué. Le dignitaire, qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt pour un clash sanglant à Brital avec les forces régulières comme avec le Hezbollah, a lancé, lors des récentes funérailles de son père, des attaques d’une violence rare contre les autorités, contre le Hezbollah et contre l’Iran. Sans être à aucun moment inquiété, malgré la présence d’un service d’ordre. Ces propos ont été diffusés par toutes les télés. Toufayli a notamment soutenu que l’État libanais a finalement remplacé Antoine Lahd dans son rôle de garde-frontière au service de l’ennemi israélien. La fracassante rentrée du repris de justice perturbe toute la classe politique locale. Car on se demande comment elle aurait été possible sans l’aval des décideurs. Ce qui, naturellement, amène les professionnels à se poser des questions sur l’objectif de ces derniers. Pour le moment, force est de constater, au grand dam des loyalistes, que la loi n’est toujours pas appliquée à tous et que la politique des deux poids deux mesures est plus que jamais maintenue.

Philippe ABI-AKL
Depuis toujours, le Liban est une république velléitaire, fantasque, où les brusques décisions du pouvoir ne tiennent la route qu’une semaine ou deux. Deux petits exemples relativement récents de ce laxisme bon enfant : l’obligation de disposer d’un extincteur en voiture et de ne pas y faire usage du portable. Qui, à l’usage, sont redevenus l’un inexistant et l’autre...