Rechercher
Rechercher

Actualités

Un message qui donne à réfléchir aux responsables

Un message épiscopal doit aussi se lire entre les lignes. Un peu paradoxalement, le meilleur déchiffrage reste de considérer le tout ensemble, d’un seul coup d’œil. En prenant un peu de distance, comme il est conseillé de le faire pour admirer un tableau impressionniste ou pointilliste. On s’aperçoit ainsi, très vite, que la toute dernière épître des prélats maronites s’articule essentiellement sur les convulsions intérieures, en accablant copieusement le pouvoir, sans épargner la société civile. Mais sans oublier non plus de rappeler qu’aucun pays ne peut vivre indéfiniment sous tutelle. Une façon assez claire de dire : n’allez pas croire qu’en nous retrouvant sur la même ligne que les Syriens en ce qui concerne l’Irak, nous oublions que leur présence ici, leur domination des rouages politiques ne sont pas vraiment le meilleur cadeau à nous faire en termes de souveraineté. Une position qui remet les pendules à l’heure, en dissipant les bruitages équivoques propagés par les loyalistes ces derniers temps au sujet d’une quelconque connivence. En même temps, les évêques indiquent, c’est dans leur rôle de mentors chrétiens, que tout esprit d’hostilité est exclu entre frères et voisins.
Du côté des loyalistes, justement, l’on a scruté avec beaucoup d’attention et d’intérêt la missive spirituelle. On sait en effet que, ces derniers temps, des recommandations pressantes ont été faites par les décideurs à leurs bons amis. Pour qu’ils considèrent sous un angle positif, dans la mesure du possible, les observations ou les requêtes de Bkerké. Dont on a beaucoup apprécié à Damas, en sus de l’attitude antiguerre adoptée par le pape, le satisfecit décerné au président Assad pour son discours de Charm el-Cheikh sur l’Irak comme sur les conditions d’une paix régionale. À partir de ces directives, plusieurs responsables, sans aller jusqu’à se livrer à une véritable autocritique, laissent entendre dans leurs assises privées que le diagnostic détaillé des évêques est tout à fait pertinent, politiquement correct. D’autant plus, à leur sens, qu’il rejoint les conclusions du régime sur la nécessité d’une correction de trajectoire, d’épuration et de réforme politico-administrative.
Un détail significatif : Berry a réuni une vingtaine de députés et, ensemble, ils ont attendu le communiqué des évêques maronites, qui leur a été remis aussitôt que paru. Le chef du Législatif en a donné lecture à haute voix. Cette prestation, indiquent les témoins, a été suivie d’un silence aussi collectif que pensif. Berry a plié le feuillet et l’a glissé dans un dossier posé sur son bureau. Et la conversation a repris, sur autre chose. Ce qui signifie que les présents se donnaient un temps de réflexion avant de commenter l’appel de la colline patriarcale. Mais l’un des députés estime que la petite mise en scène de Berry, son intervention déclamatoire montrent assez qu’il considère que les évêques établissent un état des lieux objectivement inattaquable. Et qu’il a manifestement voulu mettre ses pairs, représentants présumés de la volonté populaire, devant les pénibles réalités du pays comme devant leurs responsabilités à cet égard. Selon la même source, le président de la Chambre n’a d’ailleurs pas manqué de relever que la grogne est en train de culminer. Et que les responsables dans leur ensemble doivent se secouer.
Cela, redisons-le, sans vouloir commenter directement le communiqué des évêques. Parce que Berry, rappelle le même parlementaire, se tient à carreau et se méfie depuis qu’il s’est fait taper sur les doigts, après ses déclarations de rapprochement à la sortie de Bkerké, en l’an 2000. Il avait décidé de se rétracter dans sa coquille. En lançant la formule : « Désormais, je n’entrerai sur le terrain de personne, que nul ne vienne sur le mien. » Un peu un isolationnisme à la Monroe, toutes proportions gardées. Ainsi Berry soutient éventuellement les démarches d’autrui (comme il semble le faire par rapport au projet de réforme du régime), mais ne prend lui-même aucune initiative. Il fait en quelque sorte du ramassage, en se félicitant, par exemple, d’avoir été le premier à prendre des sanctions contre de présumés pourris, en les excluant du mouvement Amal qu’il dirige.
Pour en revenir au communiqué des évêques, il est évident qu’il cristallise les sujets développés ces dernières semaines par le patriarche Sfeir dans ses sermons dominicaux, dans ses interventions publiques ou dans ses conversations avec ses visiteurs, officiels ou autres. Selon la façon de voir de certains professionnels, le manifeste conforte le climat de réforme que le régime souhaite instaurer. À ce propos, les loyalistes proches du régime répètent qu’il est déterminé à aller jusqu’au bout de l’action entamée. En affirmant qu’il ne laissera pas se répéter le fiasco de 1998. Le président de la République, ajoutent ces sources, supervise en personne les étapes et s’investit sur le terrain, par des inspections surprises, comme au tunnel Sélim Salam. Les loyalistes indiquent également que le message de Bkerké est pris très au sérieux, considéré comme une plate-forme de travail. Ils laissent entendre que, d’ailleurs, des messagers vont bientôt être envoyés à Bkerké, pour en recevoir les conseils.
Il reste à signaler que le patriarche Sfeir part le 20 du mois pour la France où il doit rencontrer le président Chirac, avant de sillonner plusieurs pays européens, la tournée se terminant en Grande-Bretagne, où il serait reçu par la reine ainsi que par Blair.
Philippe ABI-AKL
Un message épiscopal doit aussi se lire entre les lignes. Un peu paradoxalement, le meilleur déchiffrage reste de considérer le tout ensemble, d’un seul coup d’œil. En prenant un peu de distance, comme il est conseillé de le faire pour admirer un tableau impressionniste ou pointilliste. On s’aperçoit ainsi, très vite, que la toute dernière épître des prélats maronites...