Rechercher
Rechercher

Actualités

Le Rayon Invisible*

Drinn, drinn. L’heure de vérité a sonné. Le Conseil des ministres se réunit ce jourd’hui. Ce jeudi. Je dis. Pour se brancher électrique. Du courant frais. À frais courant à toute vitesse. À tombeau ouvert. Car de deux choses l’une. Ou le Trésor, lui-même exsangue, prête encore un peu d’argent à une EDL largement insolvable, pour prolonger le sursis jusqu’à la fin de l’année. Ou l’État, comme le propose Hariri, éponge entièrement la dette de l’office. De sa poche. Qui est la nôtre. Et qui est percée.
À quoi bon ressasser les causes du désastre. Arriérés, quittances en souffrance, branchements illicites, magouilles autour des contrats de fuel, turbines à gaz qui ne carburent pas, détournements de fonds. Inutile de faire de la récupération dans cette poubelle.
Le problème tient en un mot. Le passif. Excessif. Et c’est peu dire. Plus de deux milliards de dollars.
Ce qui signifie que l’unique issue de secours, la privatisation, n’est tout simplement plus envisageable. À la base, l’énergie électrique est un bien, un avoir, cessible. À sa valeur intrinsèque (qui englobe la production, les bâtiments, les installations, le réseau de distribution, le système de perception, etc.) s’ajoute un plus : le monopole. Défini, dans le jargon des techniciens, comme un goodwill. Mais quand tout a été pris en compte et qu’il reste un passif trop lourd, le déficit peut être mortel. Dans ce sens qu’il constitue un gros choc, une sorte d’arrêt cardiaque. Du fait de la valeur négative des fonds propres, les pertes ont mangé les capitaux propres. Aucun repreneur éventuel n’accepte de racheter un tel passif. Donc l’ardoise ne peut être épongée qu’en dehors du champ objectif commercial. Par un acte de charité. C’est un peu l’esprit de la proposition Hariri. Sauf que le don, s’il ne vient pas du dehors (et Paris II n’est plus qu’une vue de l’esprit), ne serait pas gratuit. Il démultiplierait une dette intérieure qui place déjà le pays sur une ligne de faillite.
Pour amortir les effets de l’offrande (d’un cul-de-jatte à un estropié), un seul moyen : des taxes supplémentaires. Même Hariri, à l’instar de Berry, souligne qu’on ne peut plus pressurer une population ruinée, au bord de l’implosion sociale. Sans se rendre compte qu’en définitive, c’est bien ce qu’il propose.
On peut développer, à l’instar de l’ingénieur-économiste Charles Abdallah (cf. notre numéro d’hier), bien d’autres observations sectorielles qui confortent la certitude que l’EDL n’est plus privatisable. Du moins, dans les meilleures conditions, pas avant que l’installation d’un gazoduc nous reliant à la Syrie soit effectuée, c’est-à-dire pas avant trois ans.
Mais, quel que soit le sacrifice que les démagogues doivent avoir le courage d’exiger de la population, il est vital de sauver l’électricité. Le revenu dans l’ensemble du monde arabe, par tête d’habitant, est de 2 dollars/jour. L’une des rares chances du Liban est de pouvoir, en été, en soutirer infiniment plus à ses villégiateurs du Golfe. Ils nous fileraient dare-dare entre les doigts, si les boîtes de nuit, les restaurants, les cafés, et même les bijoutiers (au clair de lune) devaient cesser de scintiller de tous leurs feux à deux heures du mat, à Bhamdoun, Aley, Broummana ou Sofar.
So far, so good. Nous ne sommes pas encore dans les ténèbres. Autant donc en profiter pour ouvrir les yeux, et y voir clair. L’ensemble du tableau induit tout de suite, et tout d’abord, la question suivante : comment se fait-il que l’appauvrissement général ne touche aucunement, bien au contraire, les puissants et les riches ? Ils voyagent, achètent des voitures de luxe (détaxées une fois l’an pour les députés, pourquoi ?), des bateaux en veux-tu en voilà, donnent des fêtes à faire pâlir d’envie les princes.
Cette veuve qui fait des ménages vient de casquer 600 000 LL pour un nouveau compteur. Tandis que le zaïm de son quartier se rebranche illicitement dès que les patrouilles ont le dos tourné. La pauvre, comment fera-t-elle pour envoyer ses enfants à l’école ?
Il faut pourtant vivre. Vivre d’espoir indicible. Dans le tunnel Sélim Salam, inspecté par Lahoud, pointe l’étrange lueur. D’un rayon invisible.
Jean ISSA


* The Invisible Ray, de Lambert Hillyer, 1936, avec Boris Karloff.
Drinn, drinn. L’heure de vérité a sonné. Le Conseil des ministres se réunit ce jourd’hui. Ce jeudi. Je dis. Pour se brancher électrique. Du courant frais. À frais courant à toute vitesse. À tombeau ouvert. Car de deux choses l’une. Ou le Trésor, lui-même exsangue, prête encore un peu d’argent à une EDL largement insolvable, pour prolonger le sursis jusqu’à la fin...