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SOCIÉTÉ - LibanBel, une association spécialisée dans le soutien psychologique et social de l’enfance L’ingérence dans les foyers à problèmes, une tâche délicate et difficile(photo)

Cela fait treize ans que Mona Zoghbi marche en funambule sur la fine ligne qui sépare la vie familiale privée du droit public à protéger un enfant qui souffre, parfois à cause d’êtres qui lui sont très proches. Pour cela, elle a souvent jonglé avec les tabous les plus profonds. Son association, LibanBel, a été fondée dans l’objectif de soutenir socialement et psychologiquement les enfants vivant dans des foyers déchirés ou souffrant de la violence domestique. Pas facile dans un pays où le droit d’intervention dans les familles en cas de problèmes graves n’est toujours pas clairement acquis.

«Avant de fonder mon association, en 1990, j’avais remarqué que beaucoup de formations s’occupaient des enfants défavorisés en leur assurant les besoins essentiels, mais ne prêtaient pas toujours attention à d’autres aspects de leur existence, raconte Mme Zoghbi. Or la mort ou la séparation des parents, la perte d’un domicile sont traumatisants. À cette époque, le Liban avait déjà signé la Convention sur les droits des enfants. C’est ce qui m’a encouragée à m’intéresser à l’aspect juridique de la protection de l’enfance. »
En 1990, donc, naît LibanBel, avec cinq ou six membres fondateurs seulement et des ressources limitées, puisque Mme Zoghbi a dû compter uniquement sur l’aide de son mari. « Le souci financier était présent, mais je me suis rendu compte qu’une telle entreprise ne nécessitait pas un budget important », dit-elle. Sa plus grande « richesse », comme elle se décrit, est cette motivation née de l’amour des enfants (elle en a deux elle-même) et sa foi inébranlable, qui ne lui ont plus jamais fait défaut.
Le travail de cette association est toujours délicat, puisqu’elle s’est donnée pour mission d’intervenir dans les familles où le couple fait face à des problèmes juridiques ou sociaux, pour faire en sorte que l’enfant ne soit pas la victime du déchirement. « Généralement, en cas de problèmes juridiques, il arrive souvent qu’un parent prenne contact avec nous, explique-t-elle. Nous nous chargeons alors de son affaire, de A à Z, sans aucune contrepartie financière de sa part, en collaboration avec des avocats. Si la personne a déjà engagé un avocat, nous coopérons avec lui. Il est très rare qu’il refuse notre intervention. »
Comment se « chargent-ils » de l’affaire ? « Nous menons nos propres investigations auprès des proches, des voisins…, indique-t-elle. Nous récoltons les preuves pour ou contre l’un des parents, et nous les présentons dans le cadre du procès devant le tribunal religieux. »
Par quels moyens évitent-ils d’être manipulés par l’un des parents, notamment celui qui les a contactés ? Sont-ils sûrs que, par cette méthode, ils protègent les intérêts de l’enfant ? « Nous sommes certainement conscients de ce risque, affirme Mme Zoghbi. Voilà pourquoi, quelle que soit la personne qui nous a parlé, et ce n’est pas toujours la mère, nous menons notre enquête sans aucun préjugé, ne prenant que le parti de l’enfant, en fin de compte. D’ailleurs, nous vérifions les informations de première main. »
LibanBel, dans ces cas, présente au tribunal un document contenant tous les arguments juridiques récoltés, avec un rapport psychologique sur l’état de l’enfant et le résultat de ses investigations. « En fin de compte, les juges sont débordés et ne peuvent se rendre sur le terrain, ajoute la présidente de l’association. Les avocats, de par la nature de leur travail, doivent prendre le parti de l’un des parents. Nous sommes en contact avec eux, mais nous nous réservons notre propre point de vue concernant l’enfant. »
Mme Zoghbi décrit ses rapports avec l’administration officielle, les tribunaux et les avocats comme « excellents ». « Jusqu’à présent, toutes les autorités nous ont soutenus parce qu’elles ont compris que l’enfant doit être protégé du déchirement familial », dit-elle. « La loi libanaise est très claire, mais il suffit de l’appliquer avec rigueur, ajoute-t-elle. D’un autre côté, elle doit être adaptée aux différents cas de figure. Même si la loi stipule, par exemple, que les enfants passent sous la tutelle du père après sept ans, il ne faut pas les lui confier s’il est violent ou abusif. Les parents indignes, père ou mère, doivent être pénalisés. »

Intervenir dans
des familles récalcitrantes
Il arrive que LibanBel intervienne dans d’autres types de cas comme, par exemple, quand il faut retirer un enfant d’un foyer où il est violenté par l’un des parents ou par un proche. La technique d’approche, dans ces cas, est extrêmement délicate, comme l’explique Mme Zoghbi.
« De prime abord, il faut préciser que nous n’entrons jamais dans le foyer sans avoir obtenu la permission préalable des parents », souligne-t-elle. Et s’ils refusent l’intercession d’un étranger ? « C’est là que nous commençons à parlementer pour obtenir leur coopération, dit-elle. Nous leur prouvons les effets dévastateurs de la violence psychologique ou physique perpétrée contre l’enfant. Nous leur parlons de cas qui se sont présentés à nous. S’ils refusent d’entendre raison et que la souffrance de l’enfant devient intenable, nous portons plainte auprès du commissariat, en dernier recours. »
Mais toutes les histoires ne sont assurément pas aussi dramatiques. Comment sait-elle qu’elle ne dépasse pas les limites de l’intimité des familles au nom de la protection de l’enfant ? « Quand un enfant souffre, et c’est dans ces cas que l’on fait appel à nous, la société civile, dont nous faisons partie, a le droit d’intervenir, soutient-elle. Il est même arrivé que des personnes nous confient des enfants maltraités dans leurs familles et que nous plaçons dans des institutions. Nous ne pouvons, malheureusement, les garder chez nous, mais nous coopérons avec de nombreux centres d’accueil. Par ailleurs, j’ai moi-même été personnellement agressée ou insultée à plusieurs reprises, quand je retirais les enfants des foyers à problèmes. Mais je n’ai pas peur d’assumer cette responsabilité, parce que je sais que j’agis dans l’intérêt de l’enfant. »
Mme Zoghbi cite le cas d’une femme dont le mari est emprisonné et dont les beaux-parents, chez qui elle est contrainte de vivre, maltraitaient ses enfants. C’est elle qui a appelé LibanBel au secours pour placer sa progéniture en lieu sûr, malgré la douleur de la séparation.
Rencontre-t-on beaucoup de problèmes de ce type au Liban ? « Je n’aime pas dramatiser et je sais bien qu’il y a beaucoup moins de violence ici qu’ailleurs, dit-elle. Mais nous passons par des temps difficiles. Le piège le plus fréquent dans lequel tombent les parents est celui du laxisme, quand ils oublient de définir les limites dans leur éducation. À l’époque de l’Internet et de l’ouverture, il faut pourtant redoubler d’efforts pour encadrer l’enfant, tout en maintenant le dialogue. »
Mme Zoghbi est confrontée à de tels cas parce que, comme elle le dit, « certains parents s’en remettent à nous face à la difficulté d’élever un enfant rebelle ». Elle confirme que « ces problèmes se posent dans toutes les couches sociales ». Et si l’enfant, ou l’adolescent, refuse d’admettre qu’il ne va pas bien ? « Ce n’est pas une raison pour baisser les bras, nous utilisons tous les moyens qui sont en notre possession pour briser la glace », affirme-t-elle.

En toute
confidentialité
Un mélange de fermeté et de malléabilité, c’est ce qui définit l’attitude des volontaires de LibanBel dans la difficile pratique de leur travail. Mme Zoghbi cite le cas de cet homme qui refusait de reconnaître son enfant illégitime (celui-ci, par conséquent, n’a pas droit à une carte d’identité – une aberration) et qu’elle a réussi, par des pourparlers ingénieux, à convaincre de revenir sur sa position, dans l’intérêt futur de l’enfant. Toutefois, les tribunaux civils au Liban sont diversifiés et dépendent de communautés religieuses différentes. Cette diversité ne constitue-t-elle pas un obstacle au travail dans ce domaine ? « Au début, nous éprouvions d’énormes difficultés à nous adapter à cette réalité, raconte Mme Zoghbi, dont l’association est active dans toutes les régions, sans distinction confessionnelle. Mais peu à peu, nous nous sommes intégrés au système. Aujourd’hui, nous sommes les bienvenus partout. Nous avons des dossiers en béton et nous sommes une partie neutre dans les conflits. Il nous arrive même de faire appel. »
« Je peux dire aujourd’hui que nous n’avons jamais connu d’échec et que je ne regrette aucune décision prise », affirme-t-elle, précisant que LibanBel a traité, depuis sa fondation, quelque 1 200 cas. « Mais je ne nie pas qu’il y ait des situations plus ardues que d’autres, mais plus dans leur aspect social que dans leur aspect juridique. Les tabous sont encore très puissants, et la haine inculquée aux enfants dévastatrice. »
Mme Zoghbi travaille avec une équipe de volontaires, dont certains effectuent les recherches sur le terrain. D’autres sont des spécialistes, comme les avocats ou les psychologues, ces derniers travaillant sous la supervision de la psychologue Danièle Pichon. L’association peut être contactée aux numéros suivants : 01/689463 et 03/289463.
La présidente de LibanBel explique que les soucis financiers ne sont pas primordiaux, mais qu’ils demeurent présents, surtout avec les frais occasionnés par les procès et le réaménagement du centre d’accueil. « Nous apprécierions l’assistance de donateurs, souligne-t-elle. Mais ceux-ci doivent être convaincus du bien-fondé de notre action et accepter de demeurer anonymes, parce que nous opérons dans la plus grande discrétion, dans l’intérêt des enfants et des familles. »
Suzanne BAAKLINI
Cela fait treize ans que Mona Zoghbi marche en funambule sur la fine ligne qui sépare la vie familiale privée du droit public à protéger un enfant qui souffre, parfois à cause d’êtres qui lui sont très proches. Pour cela, elle a souvent jonglé avec les tabous les plus profonds. Son association, LibanBel, a été fondée dans l’objectif de soutenir socialement et...