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Dossier régional - Le haut représentant européen pour la politique étrangère reçu par Lahoud, Hariri et Obeid Au conseil d’ami de l’UE, le Liban a préféré l’attachement à ses « constantes »(photo)

« Je pense que le président (américain George W.) Bush est un homme intelligent. » Javier Solana dixit, hier, en réponse à un journaliste du palais Bustros qui l’interrogeait sur le point de savoir si c’est le président US qui convaincra, mardi prochain, le Premier ministre israélien, Ariel Sharon, d’accepter, en son état, la « feuille de route » destinée au règlement du conflit israélo-palestinien. Ou l’inverse.

Ces mots du haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère, qui a reconnu une nouvelle fois à Beyrouth que « les Israéliens n’ont pas encore accepté, d’une manière absolue et totale » cette « feuille de route », se passent de tout commentaire, et disent tout.
Ils confirment d’abord que sa tournée proche-orientale – qui passait hier donc par Beyrouth – a un but, et un seul : convaincre les capitales arabes d’adopter sans réserve et clairement cette « feuille de route » sur laquelle, une fois n’est pas coutume, ses géniteurs – l’UE, les États-Unis, la Russie et l’Onu –, pitoyablement et ostentatoirement divisés sur l’Irak, sont entièrement d’accord. Ou presque, si l’on met de côté l’indéboulonnable Arafat. Et Javier Solana a tellement sa mission à cœur, il veut tellement bien faire – il veut tellement mieux faire (que l’Américain Colin Powell, qui l’a précédé à Beyrouth il y a 13 jours) –, qu’il ne s’est pas privé de se lancer publiquement, et avec un enthousiasme débordant, dans une véritable démonstration mathématique. À l’issue de laquelle il a balancé un nouveau théorème, presque un axiome ne souffrant aucune contradiction : « Le Liban soutient la “feuille de route”. » S’attirant ainsi, sans doute devait-il s’y attendre, les foudres, certes encore courtoises, de sources très officielles proches de Baabda
Ensuite, ce constat ou ce vœu pieux – l’intelligence du locataire de la Maison-Blanche – exprimé à partir de Beyrouth par le trop diplomate monsieur Solana vient surtout rappeler que ce n’est pas parce que le Vieux Continent – emmené, dans ce cas-là, par un couple franco-allemand auquel, cette fois, Londres ou Madrid sont venus se greffer de tout cœur – est sur la même longueur d’onde que le Nouveau, qu’il va, pour autant, laisser Washington récolter, encore une fois, tous les lauriers. Au cas où, bien évidemment. Il n’empêche, d’aucuns pourraient également voir dans ce nouvel Oslo que semble devenir la « feuille de route » une occasion en or pour un certain rabibochage américano-européen. Façon de dire que lorsque les deux continents travaillent ensemble, se répartissent les tâches (aux uns de convaincre les Palestiniens, à l’autre d’arracher un oui inconditionnel à Ariel Sharon), c’est bien mieux.
Quoi qu’il en soit, autant le secrétaire d’État US s’était rendu à Baabda armé de ses quatre « exigences non négociables » – démilitariser le Hezbollah, déployer l’armée au Liban-Sud, sécuriser le Liban et accepter la « feuille de route » –, et qu’il en était reparti convaincu d’avoir impressionné ses hôtes libanais, autant le haut représentant européen pour la politique étrangère est arrivé tout sucre et tout miel, et est reparti, selon l’un des membres de sa délégation, ravi de l’accueil fait par Émile Lahoud, Rafic Hariri et Jean Obeid (c’est le ministre des Affaires étrangères qui en a reçu, en main propre, une copie) en ce qui concerne la « feuille de route ».
Autant Colin Powell a asséné, autant Javier Solana a souhaité (que les espoirs suscités par la mise en branle de l’opération de paix « se traduisent concrètement dans les jours à venir ») ; autant le premier a affiché nettement ses priorités liées au démantèlement du parti intégriste, autant le second a insisté, « franchement », sur la féroce détermination de l’UE à assurer l’application de la « feuille de route ». « La “feuille de route” a été publiée, et il n’y sera introduit aucun amendement, de quelque nature que ce soit. Elle restera comme elle est, et elle a été transmise aux parties concernées, et tout changement de fond sera refusé – à moins que les deux parties n’y consentent, notamment en ce qui concerne des détails mineurs et pas vraiment signifiants », a-t-il justement réaffirmé, au sortir de son entretien avec Jean Obeid. Le président de la République a tenu d’ailleurs à le lui faire comprendre, en l’assurant qu’en cas du moindre amendement qu’Israël imposerait à la « feuille de route », le Liban considérerait que l’initiative du quartette a échoué, et que s’envolerait en fumée une nouvelle opportunité d’instaurer dans la région « une paix juste, globale et durable ».
Sauf que Javier Solana a cru bon – et c’est sinon légitime du moins bien compréhensible – de donner en partage son talentueux syllogisme : « M. Lahoud a dit que le Liban acceptera tout ce que les Palestiniens accepteront. Vous savez très bien que les Palestiniens soutiennent la “feuille de route”. La conclusion est claire et explicite. Le président Lahoud soutient la “feuille de route” de manière constructive et positive. » Le problème est que le chef de la diplomatie européenne a malencontreusement oublié une des tares libanaises ; de même qu’il a grandement sous-estimé (ou pouvait-il faire autrement) la très grande importance – voire l’urgence – d’une constante tout aussi libanaise et qui a l’avantage, elle, de satisfaire l’ensemble des Libanais, sans aucune exception.
Ce que Javier Solana a oublié, c’est cette stérile et bien handicapante obédience du pupille libanais au tuteur syrien. Damas n’a pas encore officiellement affirmé soutenir la « feuille de route ». Le chef de la diplomatie syrienne, Farouk el-Chareh, a d’ailleurs insisté auprès du même Solana sur le fait que tout règlement pacifique au Proche-Orient devrait être précédé du retrait israélien des territoires occupés, conformément aux résolutions internationales. En un mot comme en cent, il est bien malencontreusement inconcevable que Beyrouth donne son avis avant Damas. Surtout que le locataire de Baabda a tenu à rappeler devant son visiteur européen le souci de son pays de voir retourner au Liban et à la Syrie les (brumeuses) fermes de Chebaa et le plateau du Golan.
Ce que Javier Solana a sous-estimé, c’est l’inconditionnel refus du Liban, pour une fois tout entier réuni – dirigeants et citoyens –, ne serait-ce que d’une ébauche d’idée d’implantation des réfugiés palestiniens. « Le Liban respecte la volonté du peuple palestinien à décider de son destin et de son avenir, et à se prononcer au sujet de la “feuille de route”. Mais le Liban est profondément attaché, en contrepartie, à son refus de l’implantation des Palestiniens sur son territoire », a martelé le chef de l’État au haut représentant européen.
D’ailleurs, il apparaît ainsi évident que Beyrouth n’a pas réussi à convaincre l’émissaire européen de la nécessité de traiter le problème des réfugiés palestiniens présents sur le sol libanais en même temps (et pas après, comme le prévoit le plan du quartette) que toutes les autres questions liées au devenir des Palestiniens dans les territoires occupés. « Il faut (les) aider à comprendre la “feuille de route” », a d’ailleurs incidemment glissé Javier Solana.
Résultat des courses : du côté du palais présidentiel, l’on s’est fâché. Des sources autorisées ont ainsi estimé qu’il était « bien prématuré » de se prononcer « officiellement » sur la « feuille de route », « surtout qu’elle est toujours au centre d’un véritable débat entre les différentes parties ». En mettant particulièrement en exergue l’infatigable niet à toute implantation. Cela n’empêchera certes pas le Liban – du moins on l’espère – de participer à la réunion euro-méditerranéenne prévue à la fin du mois en Crète, en y envoyant une délégation que présidera le locataire du palais Bustros. C’est ce que le président Lahoud a assuré à Javier Solana, avant de lui rappeler le combat du Liban contre le terrorisme sous toutes ses formes.
Bref, l’Europe, qui s’est de tout temps arrogé, peut-être à raison, la maternité, du moins dans sa conception, de la « feuille de route » pour compenser son incapacité à influer sur Israël, a visiblement estimé, hier à Beyrouth et par le truchement de Javier Solana, qu’il était temps pour elle de marquer un point. Et, conséquemment, de donner un joli petit coup de pouce au Liban. Sauf que celui-ci, et même s’il voit en elle un allié tout naturel face à l’hégémonie américaine, n’a pas voulu l’entendre ainsi. Et c’est bien dommage : à la (certes relative et un tantinet opportune) sagesse européenne – ou, à la limite, à son conseil d’ami –, les dirigeants libanais semblent avoir, encore une fois, préféré la (très inféconde) concomitance des volets libanais et syrien. Puisqu’ils savent pertinemment qu’il est totalement impossible de s’occuper du retour des réfugiés – auquel tous les Libanais, répétons-le, tiennent – avant que de mener à bout la quasi-totalité des points de la « feuille de route ».
Quant aux Libanais, ils n’auront qu’à se rabattre sur la conviction affichée de Javier Solana. « Je pense que le président (américain George W.) Bush est un homme intelligent. » Même si ce genre d’espoir, au vu des deux ans et demi que le successeur du désormais très regretté Bill Clinton a passés à la Maison-Blanche, tient bien plus du miracle que d’autre chose.

Ziyad MAKHOUL
« Je pense que le président (américain George W.) Bush est un homme intelligent. » Javier Solana dixit, hier, en réponse à un journaliste du palais Bustros qui l’interrogeait sur le point de savoir si c’est le président US qui convaincra, mardi prochain, le Premier ministre israélien, Ariel Sharon, d’accepter, en son état, la « feuille de route » destinée au...