Parmi les images fortes qui sont restées gravées dans sa mémoire, celle de plusieurs dizaines d’Irakiens venus solliciter, auprès de l’équipe d’Amnesty, des formulaires destinés à organiser la recherche des personnes disparues « uniquement dans le cadre de ce dernier conflit, précise Mme Cavanaugh. Nous avions beau préciser la démarche aux gens, rien n’y faisait », ajoute l’experte, précisant que les familles continuaient quand même de lui soumettre les renseignements relatifs à des personnes disparues sous le mandat de Saddam Hussein. «Au sein de ce gigantesque rassemblement, chaque personne avait au moins perdu un proche », fait remarquer la militante.
Ce qui l’a également touchée, c’est, dit-elle, « le degré d’humanisme que nous a manifesté ce peuple par opposition au traitement inhumain dont il a fait l’objet ». Mais également, la misère, la pauvreté et l’état d’extrême insécurité. Chargée d’enquêter sur les violations des droits de l’homme et sur la Convention de Genève de 1949 pour ce qui est notamment du traitement des prisonniers de guerre, la chercheuse a indiqué qu’à ce stade de l’enquête, il est encore tôt pour établir un rapport concluant, la mission étant encore dans une phase préliminaire qui a fait l’objet d’une étude portant, pour l’instant, sur la zone sous occupation britannique, notamment à Bassora. Les zones sous contrôle américain seront examinées dans une seconde phase, a précisé Mme Cavanaugh.
« Nous avons commencé à enquêter sur certaines victimes et sur quelques cas de destruction, mais il est encore impossible de préciser si effectivement il y a eu violation ou non des règles du droit humanitaire international», affirme l’experte. Selon elle, il est difficile pour le moment de déterminer si les forces britanniques ou américaines « ont effectivement été au-delà d’une certaine limite pour la réalisation de leurs objectifs militaires ». Autrement dit, il s’agit de s’assurer de la concordance et de la légitimité des moyens utilisés par rapport aux objectifs recherchés. « Ont-ils fait tout ce qui était en leur pouvoir pour protéger les populations civiles ? C’est ce type de question que nous devons nous poser », souligne Mme Cavanaugh, qui précise toutefois qu’il s’agit là d’accusations très sérieuses qui ne peuvent être portées avant de s’assurer du moindre fait et de déterminer les circonstances qui ont précédé les actions militaires. Cette tâche sera d’ailleurs confiée à un expert militaire qui travaillera de pair avec l’organisation internationale.
Jusque-là, poursuit la militante, l’équipe d’Amnesty, composée de 7 personnes, a pu effectuer des enquêtes auprès des personnes qui ont été arrêtées durant quelques jours pour être ensuite soit relâchées, soit conduites vers le centre de détention permanent qui se trouve à Oum Qasr.
« Parmi ceux que nous avons interrogés, nous avons relevé plusieurs cas de mauvais traitement variant entre les coups de crosse et les coups de pied. Les prisonniers avaient souvent le visage plaqué à même le plancher des camions militaires durant leur transfert. D’autres ont eu le nez cassé. Un homme a été transporté à l’hôpital », autant de comportements qui sont en violation avec la Convention de Genève, rapporte Mme Cavanaugh. Les arrestations ne se limitaient pas seulement aux militaires, mais elles englobaient tous ceux qui étaient en âge de se battre. À la date du 10 mai dernier, et sur la base d’informations disponibles auprès d’Amnesty, il y avait au total 400 prisonniers de guerre et 156 détenus de droit commun dans le pénitencier d’Oum Qasr, mais pas de mineurs ni de femmes. « Les prisonniers de guerre ne seront d’ailleurs libérés qu’une fois la fin de la guerre déclarée. Ce qui n’est pas encore le cas », précise Mme Cavanaugh en indiquant que l’équipe d’Amnesty a été interdite d’accès à cette prison, seul le CICR étant habilité à la visiter.
Cependant, si la mission d’Amnesty consiste en partie à s’assurer du respect du droits des prisonniers, une seconde partie concerne la façon dont la transition de l’état de guerre à l’état de paix est assurée ainsi que le système sécuritaire et judiciaire mis en place. « La question de la sécurité se trouve en tête de nos priorités. Il s’agit du problème le plus urgent auquel doit faire face la population irakienne », répète inlassablement Kathleen Cavanaugh. Énumérant les exactions qui représentent un danger imminent pour les Irakiens – vols à main armée, coups et blessures, crimes – la militante rappelle que l’une des obligations « des forces occupantes » est précisément d’assurer la sécurité des populations civiles, des hôpitaux, et de faire parvenir à bon port les aides humanitaires, y compris des médicaments et la nourriture.
Or, dit-elle, pour toute la région de Bassora, « il y a uniquement 120 agents de la police militaire pour l’ensemble de la population locale estimée à 1,3 million d’Irakiens. Les Britanniques sont certes en train de recruter des personnes qui les seconderaient dans la tâche. Mais cela risque de prendre quelque temps. »
À la question de savoir si les autorités britanniques ont réagi favorablement au premier rapport soumis par l’organisation internationale, Mme Cavanaugh a indiqué qu’immédiatement après avoir rendu les enquêtes publiques, le ministère de la Défense a demandé à Amnesty de lui soumettre les cas étudiés. « Une fois que nous aurons terminé la zone sous contrôle américain, nous suivrons la même démarche auprès du gouvernement US qui devra à son tour rendre compte des violations commises », conclut la militante.
Je.J.
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