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Place de l’Étoile - Les députés invectivent le gouvernement puis se contentent d’une recommandation demandant le respect des jugements La Chambre court-circuite son propre rôle Chéhayeb dépose une motion de censure... c’est aussitôt le défaut de quorum

Deux rendez-vous manqués place de l’Étoile, lors de la séance consacrée aux interpellations parlementaires, ont bien mis en évidence, hier, les aberrations d’un système démocratique paralysé par la faute même des institutions censées l’entretenir et le développer. Une Chambre qui court-circuite son propre rôle, alors même qu’elle se plaint de ne pouvoir l’assumer en contrôlant l’action de l’Exécutif ! C’est du jamais-vu. Voilà des années que les députés se plaignent de ce que l’Exécutif foule aux pieds les lois, ne se conforme pas aux verdicts du Conseil d’État et ne tient pas compte des avis des organes de contrôle (les derniers rapports de l’Inspection centrale et du Conseil de la Fonction publique le prouvent). Mais lorsque, à la faveur d’une interpellation présentée par M. Nicolas Fattouche, ils ont eu l’occasion de lui demander des comptes parce qu’il a pour la énième fois contourné une décision du Conseil d’État – de l’aveu même du Premier ministre, Rafic Hariri – ils ont préféré se dérober à ce devoir que leur impose la Constitution et assurer au gouvernement une issue honorable : les députés se sont contentés d’adopter une recommandation dans laquelle ils demandent à l’Exécutif de respecter les décisions juridictionnelles et de revenir sur tout texte en contradiction avec leur teneur. Voici, en quelques mots, le premier rendez-vous manqué avec l’exercice démocratique. Deuxième raté parlementaire : le défaut de quorum qui a empêché le député Akram Chéhayeb de demander au gouvernement de poser la question de confiance, parce qu’il était persuadé que les promesses de règlement du dossier des déchets ménagers allaient rester lettre morte. De la séance d’interpellation (qui reprendra mardi prochain, le président de la Chambre, Nabih Berry, souhaitant en tenir une chaque semaine) le gouvernement est sorti indemne, mais c’est surtout l’Assemblée qui en sort affaiblie.

Dès le départ, il apparaît que la réunion parlementaire est certainement moins organisée que la dernière consacrée aux questions-réponses. Le président de la Chambre a du mal à persuader les orateurs de limiter au minimum leurs interventions pour permettre à un maximum de parlementaires de s’exprimer et pour éviter que le débat ne s’éternise. Peine perdue. Dix à quinze minutes de temps de parole ? M. Fattouche en veut trente. Le règlement intérieur de la Chambre lui donne ce droit et il n’est pas prêt à céder. D’autres parlementaires sont tout aussi attachés que lui à chaque minute qui leur est permise.
Le débat se prolonge et se subdivise, marqué par des envolées lyriques (M. Fattouche y excelle) ou mélodramatiques (les tentatives de M. Farid el-Khazen de sensibiliser ses collègues sur la dimension humaine et sociale du problème des carrières restent sans résultat), des échanges acerbes, des accusations à peine voilées. Tant et si bien qu’on finit par oublier, les députés surtout, que le principal sujet du débat est de savoir si le gouvernement peut casser, par une décision prise en Conseil des ministres, un jugement du Conseil d’État. Pourtant, à l’ouverture de la séance, M. Fattouche pose clairement le problème : propriétaires de carrières à Dahr el-Baydar, ses frères bénéficient d’un jugement pris en leur faveur par le Conseil d’État, mais ne peuvent pas aujourd’hui exploiter leur site à cause de la décision du Conseil des ministres de fermer toutes les carrières, prise le 26 juin dernier, après la publication du verdict.
Le discours du député de Zahlé est étayé de nombreuses jurisprudences, consécutives à une énumération de tous les faits liés à l’affaire qu’il soulève. « Donc si je comprends bien, tout ce que nous endurons aujourd’hui, c’est à cause de vous », lui lance, rieur, le chef du Parlement. M. Fattouche, qui table son discours sur le fait que les décisions juridictionnelles sont contraignantes et qu’en interdisant le fonctionnement des carrières, sans tenir des jugements du Conseil d’État, le Conseil des ministres contourne les lois par la ruse, veut citer une jurisprudence de Prosper Weil en la matière. « C’est qui ? » s’enquit M. Omar Karamé. « Un vendeur de graviers », rétorque son collègue avec humeur, avant de dresser un violent réquisitoire contre le gouvernement.
Comme son argumentation est essentiellement juridique, c’est le ministre de la Justice, Bahige Tabbarah, qui répond. Il explique que le Conseil d’État avait rejeté plusieurs recours qui lui avaient été présentés par des propriétaires de carrières, dont les frères du ministre, pour prononcer un jugement avant dire droit et suspendre la décision du Conseil des ministres de fermer leurs sites. M. Tabbarah met l’accent sur le fait que le Conseil d’État n’a toujours pas statué sur le fond et réaffirme que l’autorité politique est tenue de se conformer aux verdicts des tribunaux, et qu’elle s’est conformée jusque-là à celui du Conseil d’État.
C’est M. Berry qui intervient : « En d’autres termes, le Conseil des ministres peut adopter une décision qui neutralise un verdict. Mais c’est très grave. » Le chef du gouvernement enchaîne en reconnaissant, « en toute honnêteté », que la décision relative aux carrières est en contradiction avec un jugement du Conseil d’État et se demande si le Conseil des ministres peut agir de la sorte, mais sans donner de réponse, ce que M. Ghassan Moukheiber fera remarquer un peu plus tard. M. Hariri évoque ensuite la possibilité pour le gouvernement de retirer un permis qu’il a délivré, mais sans avoir le temps de développer son idée, car M. Berry lui fait remarquer qu’il est hors du sujet et que, si les députés souhaitent discuter des carrières, il est prêt à consacrer une séance à ce sujet. « Pour le moment, nous sommes réunis pour discuter d’un point de droit », s’empresse-t-il d’ajouter.

La colère de Hariri, Khazen
et Fattouche
Mais en dépit de ses tentatives presque désespérées d’éviter les discussions hors sujet, M. Berry finit par baisser les bras et un débat animé s’engage autour des carrières. Il est lancé par M. Farid el-Khazen, qui n’hésite pas à traiter le gouvernement de « monstre féroce », un doigt dénonciateur pointé en direction de M. Hariri. « Ce gouvernement ne craint pas Dieu », tonne le parlementaire, accusant l’Exécutif, sur un ton qu’il veut passionné, de « chercher à priver les gens de leurs sources de revenus ». Trébuchant sur ses mots, M. Khazen demande à savoir pourquoi le plan directeur « promis par M. Hariri depuis six ans n’a toujours pas été établi ». « S’agit-il d’un leurre ou d’un mensonge qui dissimule des transactions douteuses au profit de certains hommes politiques influents ? » s’interroge-t-il, en chapitrant presque M. Hariri. Le député est résolument contre le transfert des carrières vers l’Anti-Liban, contre l’importation de sable et de graviers, en raison des coûts élevés. Selon lui, le mètre cube coûterait non moins de 20 dollars. Il est pour la décentralisation dans la distribution des carrières et un contrôle rigoureux de l’activité de ces sites.
Piqué au vif par les propos du parlementaire, M. Hariri réagit vertement. Après un long exposé, extrêmement détaillé sur le coût du gravier (le prix du mètre cube est de 11 dollars à l’importation, selon des chauffeurs de camion qu’il cite) et la production libanaise, il explose. « Qu’on cesse donc de pleurnicher sur les coûts et sur ce pauvre Libanais fatigué et affamé. Les propos qu’on vient de tenir sont les plus ineptes que j’ai jamais entendus. » Indignés, MM. Fattouche et Khazen bondissent, hurlent que « c’est inacceptable » et qu’« il faut biffer ces propos du procès-verbal ». Le président de la Chambre parvient tant bien que mal à les calmer, permettant ainsi à M. Hariri de poursuivre son discours. Accusant les propriétaires de carrières de ne pas respecter les normes d’exploitation des sites, il explique que le problème fondamental réside dans la concurrence entre ces gens qui, pour diminuer les coûts et multiplier leurs bénéfices, foulent aux pieds les normes écologiques et de sécurité imposées par les lois. « Allez voir ce qu’ils ont fait des montagnes. Je peux vous emmener jeter un coup d’œil à dix kilomètres seulement d’ici. Je vous jure qu’une fois, j’étais en chemin pour rendre visite au patriarche grec-catholique (à Raboueh) et j’ai bien cru qu’un tremblement de terre s’était produit. C’était une explosion dans une carrière. En France, en Suède, en Espagne, partout, les carrières deviennent des jardins, sauf ici, à cause d’une concurrence anormale. En effet, si les propriétaires de carrières devaient se conformer aux normes imposées par la loi, le mètre cube de gravier leur coûterait au moins 6 dollars alors qu’il leur coûte actuellement à peine 2 dollars. »
Selon lui, le stock de sable et de gravier est suffisant pour deux ou trois mois. M. Hariri accuse les propriétaires de carrières de provoquer acrtificiellement une crise, pour élever leurs prix.
Il est ainsi passé à la contre-attaque, mais son équipe se retrouve vite au banc des accusés. Car, de l’avis des parlementaires qui ont commenté par la suite son intervention, si les carrières ne respectent pas les normes d’exploitation des sites et si l’anarchie caractérise ce secteur, c’est bien parce que l’Exécutif n’exerce aucun contrôle sur leurs activités. « Ils obtiennent bien des permis pour dynamiter la montagne. Non ? » s’exclament à tour de rôle MM. Boutros Harb, Omar Karamé et Mme Nayla Moawad. Selon M. Karamé, si le prix du mètre cube varie entre 11 et 13 dollars, c’est à cause de la contrebande. « Quelle contrebande ? » s’étonne M. Hariri. « Vous ne saviez pas ? C’est devenu une drogue », rétorque M. Berry en s’esclaffant.
Les remarques parlementaires s’enchaînent. M. Akram Chéhayeb est résolument contre une décentralisation de la distribution des carrières, mais d’autres députés pressent l’Exécutif d’établir un plan directeur qui ne limite pas les carrières à un seul secteur. « M. le Président, qu’en est-il devenu de ma question ? Je vous en supplie, faites quelque chose. » La voix de M. Fattouche parvient à peine à couvrir celle de ses collègues.
Un peu plus tard, le député de Zahlé remarque, consterné, que le quorum commence à faire défaut, pendant que M. Harb critique la gestion de la séance et tente lui aussi de ramener la discussion vers la question du respect des jugements de la justice « car elle est directement liée à celle de l’édification de l’État de droit ». Mais pendant ce temps, une activité fébrile règne dans l’hémicycle où les concertations bilatérales se multiplient, vraisemblablement pour préparer une issue à l’affaire du contentieux Fattouche. Pivots de ces concertations, MM. Berry, Hariri, Skaff, Fattouche, Ferzli et Harb. Ces deux derniers s’attellent à la rédaction d’un texte. On devinera en soirée qu’il s’agit du texte de la recommandation parlementaire, qui n’a rien de contraignant.
Comme le quorum fait défaut, le président de la Chambre se voit contraint de lever la séance, non sans assurer que le Parlement est appelé à prendre position durant sa séance nocturne, au sujet du point soulevé par M. Fattouche, « car il s’agit d’un problème constitutionnel ». La prise de position en question se résumera en deux paragraphes, formulés sous forme de recommandations : le premier souligne « l’insistance du Parlement à demander au gouvernement de se conformer obligatoirement aux jugements émis par les tribunaux et de revenir sur toute décision et tout décret en contradiction avec leur teneur et entravant leur application ». Le deuxième paragraphe préconise « l’adoption, dans un délai d’un mois, du plan directeur des carrières qui doit tenir compte de la nécessité de préserver l’environnement ». Il insiste également sur « le contrôle de l’application des dispositions de chaque permis (d’exploitation de carrières), par le biais de sociétés spécialisées de génie ».
Le texte est approuvé sans aucun problème. Quatre membres du bloc Joumblatt, présents dans la salle, s’y opposent : MM. Akram Chéhayeb, Salah Honein, Georges Dib Nehmé et Élie Aoun. Sceptique, M. Fattouche tente d’obtenir un engagement oral du chef du gouvernement, en faisant remarquer qu’une recommandation parlementaire n’a rien de contraignant. Mais aucune suite n’est donnée à sa requête. « Mais qu’est-ce qui se passera d’ici à un mois ? » interroge à son tour M. Ali el-Khalil. Pas de réponse non plus. Le dossier est clos. La recommandation n’a été proposée qu’au terme du débat au sujet du traitement des ordures ménagères, qui faisait l’objet de l’interpellation parlementaire présentée par M. Chéhayeb. Le député met en garde contre les conséquences de la saturation du dépotoir de Naamé et relève que, dans quatre mois, il ne pourra plus accueillir les 1 400 tonnes d’ordures produites par jour dans Beyrouth et certaines régions du Mont-Liban. Il s’élève contre le projet d’enfouissement vertical à Naamé où les déchets s’élèveront jusqu’à 6 mètres, soulignant que la compagnie privée qui exploite la décharge fera un bénéfice de 30 % supplémentaire, mais au prix d’une énorme menace écologique.

Question de confiance
Il dénonce la présence de 630 000 tonnes de déchets jetés dans la nature au Liban, sans traitement, avant que M. Hariri n’explique que le gouvernement est favorable à un traitement des déchets qui se fonde sur le tri, le recyclage et le compostage.
Selon le Premier ministre, trois appels d’offres ont été lancés, mais aucune société ne s’est présentée, ce qui a poussé le gouvernement à renouveler le contrat de l’entrepreneur actuel, Sukleen, qui ramasse les ordures. M. Hariri évoque un autre problème : aucun village n’accepte d’accueillir dans son périmètre une station de traitement des ordures ménagères. Il fait état ensuite d’un projet de lancement d’un nouvel appel d’offres pour le traitement des ordures. « Le cahier des charges sera prêt dans trois mois et l’appel d’offres devra également prendre trois à quatre mois », renchérit-il, affirmant que, le mois prochain, un incinérateur de déchets hospitaliers sera mis en fonctionnement.
À son tour, le ministre de l’Environnement, Farès Boueiz, expose une formule combinée pour le traitement des déchets, qui seront déposés dans une vallée imperméabilisée au préalable. Cette formule prévoit également la construction de stations de tri : le carton, les métaux et le verre seront revendus et les matières organiques seront transformés en compost, ce qui réduira de 80 % les déchets à enfouir dans le sol. Elle commande, dit-il, la présence d’une station de tri dans chaque caza et d’une station de traitement de déchets pour chaque trois cazas.
À l’instar de M. Hariri, il pose le problème des sites, introuvables. Seule la municipalité de Hasbaya a accepté d’accueillir une station de traitement, déclare M. Boueiz.
Les parlementaires trouvent une certaine contradiction entre les explications données par le chef du gouvernement et celles du ministre. Les députés du Liban-Sud soulèvent le problème du dépotoir de Saïda. D’autres critiquent la manière chaotique avec laquelle le gouvernement gère le dossier des déchets et réclament un plan structuré. M. Hussein Husseini est particulièrement sévère à l’égard du gouvernement Hariri.
Avant de donner la parole à l’auteur de l’interpellation, M. Berry soumet la recommandation sur les carrières au vote, en dépit des protestations de M. Chéhayeb qui redoute un défaut de quorum. La suite des événements donnera raison au député de Aley. Quand le président de la Chambre fait état d’un défaut de quorum, M. Chéhayeb s’indigne et annonce tout de go qu’il veut demander au gouvernement de poser la question de confiance. Mais ceux qui sont sortis refusent de rentrer et la séance est levée jusqu’à mardi. M. Ferzli propose que la motion de censure soit ajournée à la semaine prochaine. Pas de réponse. C’est M. Hariri qui intervient : « Qu’on se réunisse demain. Si le gouvernement n’obtient pas la confiance de la Chambre, il ferait mieux de partir. » Toujours pas de réponse. La Chambre a accompli son devoir. Elle a organisé une séance d’interpellations. Mais dans quelles conditions ? C’est une autre histoire. Triste.

La Usaid et 4 ONG financeront
le traitement des déchets dans 185 villages

L’Agence américaine pour le développement international (Usaid) a signé hier avec quatre ONG américaines (et en présence de l’ambassadeur US, Vincent Battle) quatre accords d’un montant de 15,32 millions de dollars, visant à financer le traitement des déchets solides et liquides au Liban. Ces accords entreront en vigueur à partir de ce mois et pendant trois ans, et 185 villages sont concernés, au Hermel, à Jbeil, au Chouf, à Jezzine, Nabatiyeh, Hasbaya et la Békaa-Ouest. Soulignons que plus de 446 000 Libanais pourront profiter de ce programme d’aide américain.

Tilda ABOU RIZK
Deux rendez-vous manqués place de l’Étoile, lors de la séance consacrée aux interpellations parlementaires, ont bien mis en évidence, hier, les aberrations d’un système démocratique paralysé par la faute même des institutions censées l’entretenir et le développer. Une Chambre qui court-circuite son propre rôle, alors même qu’elle se plaint de ne pouvoir l’assumer...