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Actualités

Affaires publiques - Des impératifs, des principes qui se contredisent Comment marier le secret et la transparence

– Liberté, égalité, fraternité. Idéal impossible, bien qu’impossible ne soit pas français, selon Napoléon. Qui a fini prisonnier aux mains de Hudson Lowe. Un Anglais terne, limité au possible. Mais impassible. Comme quoi, mieux vaut avoir du souffle que du panache. Sauf quand on est bonimenteur de foire, charlatan et que l’on veut éblouir les nigauds. Pour leur vider le porte-monnaie et s’en remplir les poches.
Revenons à nos devises (fortes). Mettons d’abord de côté la fraternité, simple appel romantique à un état d’esprit que la vie courante, ce torrent de turpitudes, n’autorise pas. À moins que l’on ne choisisse le sort d’un Che Guevara.
Restent la liberté et l’égalité. Notions politiques tellement distinctes au fond l’une de l’autre qu’elles en deviennent souvent rivales. Il existe, sur le sujet, une très vieille controverse entre exégètes. Ainsi, en France métropolitaine, en Bretagne comme en Aquitaine, on bride l’enseignement en langues régionales (patois ou autres), au nom de l’égalité, comme de l’unité, républicaines. Et au nom de la liberté, ou plus exactement de la terreur infuse qu’inspire la violence légendaire des insulaires, on accorde à la Corse un statut quasi autonome, clouté de privilèges aussi exorbitants que le nombre réduit d’habitants. Cependant les contradictions entre les principes d’égalité et de liberté sont généralement solubles, en démocratie, grâce à des montages législateurs conventionnels, ou grâce aux us et coutumes, qui prennent fréquemment force de loi.
– Le hiatus entre slogans de base pose, tout aussi généralement, bien plus de problèmes concrets, parfois vitaux, au niveau des corps constitués. Pour prendre un exemple que l’on peut rapporter à l’actualité locale, nous relevons qu’étrangement la justice et le monde des affaires obéissent à des mécanismes identiques. Et contradictoires : la nécessité du secret le dispute en effet à une exigence publique de transparence, de plus en plus en marquée en cette ère de médias immédiats. Pour rappel : samedi 14 juin, deux roquettes explosaient au siège de la Future TV. Lundi 16 juin, le procureur général près la Cour de cassation, Adnane Addoum, mettait en garde, et en substance, contre les rumeurs faussant une enquête complexe, entendre longue, qui n’en était qu’à ses débuts. Le commissaire général du gouvernement près le tribunal militaire (procureur) Maroun Zakhour affirmait de son côté que l’on disposait déjà d’indices solides et promettait (en réponse, il est vrai, à une question) des résultats sous une semaine. La divergence, les contradictions, sont évidentes et il n’y va de la faute de personne : chacun a assumé son rôle comme il pensait devoir le faire. Il est inutile dès lors de relever qu’un bon mois après l’attentat, l’opinion publique n’est toujours pas éclairée. Car il est probable, sinon certain, que les investigations ont progressé. Mais qu’aux avantages de l’information, on ait préféré ceux du secret. La faille, redisons-le, réside dans l’antinomie des principes qu’il faut suivre. Ainsi, en France, pays de référence pour nous sur le plan judiciaire, les autorités n’ont pas manqué, il y a deux ans, d’accuser la presse (et ses sources policières ou autres) d’avoir saboté par des révélations sensationnelles mais inopportunes leurs efforts d’arrêter Yvan Colonna, meurtrier présumé du préfet Érignac. L’on veut sans doute, ici, éviter un tel contretemps, en ne laissant rien filtrer sur les indications que des suspects auraient pu livrer au sujet de filières subversives.

Brûlante, bruyante actualité
– C’est bien pourquoi on peut se demander si le bruitage autour de l’affaire de la banque al-Madina n’est pas un peu trop fort. Certes, il y a de quoi s’inquiéter. Mais la suspicion montée en épingle affecte le crédit confiance dont ce pays a besoin sur le plan financier et économique, d’une part. D’autre part, elle peut provoquer des fuites, au double sens du mot et renforcer, paradoxalement, les risques de voir la vérité occultée. Bref, ces affaires de banques en difficulté sont toujours très délicates, surtout si l’on subodore des indélicatesses. Et a fortiori quand on s’aperçoit, au passage, qu’il existe ce que l’on appelle pudiquement des ombrelles politiques. On peut s’en offusquer, mais il n’y a rien d’étonnant à ce que, dans un système dénaturé, l’impératif d’une protection rémunérée se fasse impérieusement sentir. En tout cas, ces sombres affaires, il faut, dans l’intérêt général bien compris, les traiter avec une extrême prudence. C’est ce que faisait, dans des cas pareils, Camille Chamoun quand il était président. Au besoin, il imposait le black-out informationnel. C’est ce que n’ont pas fait ses successeurs plus tard avec Beidas. Pour s’apercevoir, après sa mort, que l’empire qu’il avait construit, et que l’on avait démantelé comme un vulgaire jeu de lego, était largement solvable.
Al-Madina, c’est sans doute différent. Mais, à bien y réfléchir, l’État trésorier, c’est-à-dire la Banque centrale, n’aurait-il pas intérêt à ne pas saisir le parquet, pour laisser d’abord les entreprises laver leur linge sale en famille ? C’est un tel droit de discipline interne que l’on reconnaît généralement aux fédérations sportives, même pour des cas qui frisent l’infraction pénale.
On peut dès lors penser qu’au-delà des commissions informelles actuelles, il peut être bon d’instituer un tribunal d’honneur officieux des organismes économiques. Une cour qui se réunirait à huis clos, en toute discrétion. Pour tenter, d’abord, de sauver ce qui peut l’être. Et décider ensuite, le cas échéant, de repasser la patate chaude à la justice. Pour que la lumière soit faite, sans qu’il en coûte trop. À l’économie, c’est-à-dire aux Libanais. Aux pauvres Libanais.

Jean ISSA
– Liberté, égalité, fraternité. Idéal impossible, bien qu’impossible ne soit pas français, selon Napoléon. Qui a fini prisonnier aux mains de Hudson Lowe. Un Anglais terne, limité au possible. Mais impassible. Comme quoi, mieux vaut avoir du souffle que du panache. Sauf quand on est bonimenteur de foire, charlatan et que l’on veut éblouir les nigauds. Pour leur vider le...