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Actualités

Tribune Bioéthique et confessionnalisme Un œil grand fermé

Par Fouad N. Boustany
Secrétaire général du CCNLE
Depuis quelques décennies, la révolution des sciences du vivant est en marche, amenant des promesses et des dangers qui nous concernent tous. Le développement des biotechnologies risque de modifier de façon inédite l’humanité dans sa nature même. Avec les nouvelles découvertes, le médecin tend non seulement à affranchir ou à défendre l’homme contre des servitudes liées à la nature ou au hasard – accidents, maladies, douleurs, mort, etc. –, mais essaye d’intervenir directement sur le vivant et la vie, les bricoler, pour les transformer. De « guérisseur » il prétend devenir « créateur » : le décryptage du génome, le dépistage prénatal, l’assistance médicale à la procréation, les tests et manipulations génétiques, les greffes, etc., tout ce qui échappait potentiellement à la médecine devient possible et contraint la société à des choix difficiles et inédits.
Ces avancées de la science sont certainement porteuses de grands espoirs. Mais jusqu’à quel point ces bienfaits véhiculés par la science sont-ils compatibles avec une humanité diverse et libre ? Jusqu’où pouvons-nous aller sans chosifier et commercialiser le corps humain ? Jusqu’où le chercheur et le médecin peuvent-ils disposer de notre avenir en tant qu’hommes ? Faut-il légaliser ce que la science permet de faire ? Faut-il diaboliser toute percée scientifique chaque fois que les pouvoirs politiques et religieux ont intérêt à le faire ?
Ainsi, les découvertes biomédicales posent des problèmes éthiques, sociaux, juridiques qu’elles ne peuvent résoudre elles-mêmes, car la science appartient au champ du possible et non à celui du légitime. La recherche scientifique en tant que telle ne connaît d’autres limites que celles de son propre progrès. Il revient donc aux États de poser des limites à la recherche et à ses applications afin de protéger la dignité de la personne humaine, dignité inscrite dans toutes les Constitutions, face à la soif des chercheurs et à l’appétit des industriels. De là est née la bioéthique, discipline nouvelle qui restera au XXIe siècle au centre de tous les débats sociopolitiques et qui cherche à définir ce que nous pouvons faire et si les nouvelles découvertes peuvent être appliquées à l’individu ou à la société. La majorité des États démocratiques admettent que les limites de la recherche ne peuvent être instaurées que par l’effet de décisions publiques, guidées par des organismes pluridisciplinaires et pluralistes, travaillant par le dialogue et le consensus. D’où la création des Comités consultatifs nationaux d’éthique et la promulgation des législations qu’ils ont suscitées. Au Liban une question s’impose : la bioéthique peut-elle avoir un parcours aisé avec notre système politique, nos différents statuts civils, nos croyances actuellement traversées par des mouvances exacerbées ? Comment, dans ces conditions, un Comité consultatif créé en mai 2001 par le Premier ministre peut-il dégager un socle de principes fondamentaux reconnus par toutes les composantes de notre société, qui ont, face aux percées scientifiques, des perceptions éthiques différentes ? Sans parler du désert juridique existant dans ces domaines ! Faire au Liban une bioéthique laïque, destinée aux humains en tant que tels et en des termes universellement admissibles devient une nécessité, d’autant plus que nos praticiens de qualité appliquent rapidement les nouvelles techniques sans que les abus et les dérives puissent être contrôlés.
Dans notre pays, où les impératifs religieux et les intérêts financiers et communautaires se querellent en haut d’une tour de Babel, il nous faut recourir dans tout débat bioéthique à une sagesse où prédominent la patience et la prudence, mais aussi teintées de témérité. Le législateur, le responsable politique et les autorités religieuses doivent être vigilants et répondre avec célérité aux recommandations et projets de loi proposés par le Comité libanais, tout en sachant que la recherche scientifique va plus vite que le droit, créant un fossé dangereux entre le quotidien vécu et la loi censée le réguler. Pendant que les Parlements de tous les pays démocratiques discutent et légifèrent, nos responsables traînent le pas et donnent l’impression que les problèmes bioéthiques ne constituent pas une priorité nationale, habitués qu’ils sont à tolérer par l’indifférence certaines pratiques abusives, parfois illégales, se cachant derrière le paravent de leurs confessions tout en sachant qu’elles sont bafouées à satiété tous les jours. Le Comité libanais d’éthique, après étude des lois et décrets en vigueur, consultation des Ordres professionnels, des sociétés savantes, des personnalités religieuses, des spécialistes, a présenté aux ministères concernés des avis, recommandations et projets de loi concernant les droits du malade, les tests génétiques, l’assistance médicale à la procréation, la formation de comités d’éthique pour la recherche dans les hôpitaux, etc. Leur promulgation tarde à venir, laissant s’enraciner les pratiques abusives dont les méfaits se feront sentir dans quelques années. Doit-on dans notre pays accepter sans réagir la naissance de bébés thalassémiques ? Doit-on accepter le commerce des organes affiché dans nos journaux ? Doit-on tolérer les tests génétiques de paternité sans réglementations, avec les drames qui en résultent ? L’interruption volontaire de grossesse dans nos hôpitaux et cliniques reste-t-elle un crime ? Etc. C’est être bien aveugle que de ne pas voir ce qui est là, qui saute aux yeux pour autant que nous ayons des yeux pour voir, nous qui cherchons à être des cyclopes avec un œil grand fermé ! Nous pouvons soulever doucement la paupière de cet œil unique par lequel peut pénétrer une certaine lumière qui brûlera peut-être en nous les racines de l’hypocrisie. La bioéthique et ses lois sont le meilleur gage de notre humanité et le moyen propice de manifester notre volonté d’instituer les conditions de notre « vivre ensemble ».
La bioéthique discute à partir de quel seuil on commence à être humain et à partir de quel seuil nous cessons de l’être. Même si elle se nourrit de nos excès scientifiques, elle nous empêche de conduire les hommes de la nuit des temps au... temps de la nuit.
Par Fouad N. BoustanySecrétaire général du CCNLEDepuis quelques décennies, la révolution des sciences du vivant est en marche, amenant des promesses et des dangers qui nous concernent tous. Le développement des biotechnologies risque de modifier de façon inédite l’humanité dans sa nature même. Avec les nouvelles découvertes, le médecin tend non seulement à affranchir ou...