Coquelicot, fleur sauvage, poison rouge

L’exception confirme la règle. C’est l’un de ces préceptes, de ces clichés, que l’école nous inculque pour les garder notre vie durant. Et dont les sentencieux se gargarisent, sans trop se rendre compte de leur inanité. Parce qu’un peu partout, mais surtout chez nous, l’exception, c’est la règle. Des exemples ? Il n’y a qu’à se pencher pour en cueillir. Prenez les sens interdits. Si vous ne les prenez pas, vous êtes un coincé psychorigide, un anormal. L’électricité ? Si vous acquittez votre quittance, c’est que vous êtes un vaincu, un marginal exclu de la flamboyante majorité numérique. Vous êtes colporteur ? Le même policier qui contemple sans broncher les nuées de Syriens circulant entre les voitures pour vendre leur pacotille ou mendier, à Béchara el-Khoury ou sur d’autres grandes artères, saisira votre charrette, pour peu que vous soyez libanais...
À titre provisoire, pour une seule fois. Tant et tant de lois ainsi promulguées au fil des décennies : les loyers, la mainmise sur le centre-ville (du jamais-vu : expropriation au profit d’un consortium privé), les naturalisations, les lois électorales, la désignation (!) de députés, la formation de cabinets monochromes, la reconduction d’un mandat présidentiel, les concessions à l’amiable pour des biens domaniaux maritimes ou autres. L’exception (rarissime), on le voit bien avec les dirigeants, c’est toujours quand la Constitution est respectée que les délais sont tenus, que les dépenses sont comprimées. Que les responsables observent le devoir de réserve, que les ministres appliquent les décisions prises en Conseil et n’attaquent pas le gouvernement.
Sans que personne n’y trouve vraiment à redire. Car notre mentalité est ainsi faite que nous préférons à la sage tulipe, cultivée en rangs (d’oignons) bien ordonnés, la turbulence écarlate du coquelicot. Pavot anarchique, joyeusement prolifique. Et violemment toxique.
J.I.