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Interview - L’ancien président de la Chambre critique le pouvoir hégémonique en place depuis 1992 Hussein Husseini : « Il est temps qu’émerge une opposition nationale »(photo)

Le seul fait de le rappeler constitue un énorme pléonasme : Hussein Husseini est l’« esprit » de l’accord de Taëf. De 1977 à 1990, l’ancien président de la Chambre s’est consacré à l’élaboration d’un texte constitutionnel se posant dans la continuité du Pacte national de 1943, « parachevant » la dynamique consensuelle initiée par ce pacte, pour mettre fin à la spirale de violence enclenchée en 1975. Avec une seule obsession : consacrer la légitimité consensuelle du Liban à travers la Constitution et éviter toute dérive du Liban, pays pluraliste traversé par de nombreux clivages en temps de crise, vers une légitimité révolutionnaire, à l’instar de la quasi-totalité des pays de la région.
M. Husseini n’est jamais à court de mots pour évoquer la signification, la portée et la profondeur de l’accord de Taëf. Les yeux brillants, il s’attarde longuement sur « le message culturel et civilisationnel » – celui du dialogue islamo-chrétien – de portée universelle, que doit propager le Liban dans le monde arabe et sur le plan international. Message qui constitue l’épine dorsale, selon lui, de l’accord, et plus précisément du Préambule « sacré » de la Constitution, à travers son alinéa 1er : « Le Liban est un État souverain, libre, indépendant, une patrie définitive pour tous ses fils, uni dans son territoire, son peuple et ses institutions (...) ». « Le seul fait d’avoir pu élaborer ces textes constituait une première victoire. Il fallait encore les appliquer », indique-t-il.

Le tournant de 1992
Selon M. Husseini, pour comprendre la dynamique de Taëf, il convient de se replacer dans le contexte de l’époque : au début de la décennie 90, le règlement de la question libanaise, avec une bénédiction et un parrainage syriens, arabes et internationaux, et plus précisément des États-Unis et des quatre autres membres permanents du Conseil de sécurité de l’Onu, devait servir de prélude à un règlement régional, avec l’application de la résolution 425 du Conseil de sécurité et le rétablissement de la souveraineté libanaise au Liban-Sud. Au plan interne, plusieurs étapes ont été franchies, comme la décision de démanteler les milices, la réédification des forces de sécurité, de l’armée et des institutions étatiques. « En 1991, après les frappes contre l’Irak, la réalisation d’un règlement régional, à travers la conférence de Madrid, était devenue plus facile. Nous avions rencontré le président George Bush et plusieurs membres de son Administration lors d’une visite à l’Onu en septembre 1991. Il était prévu que la conférence de Madrid se tienne en octobre 91 et débouche sur un accord de paix en octobre 92. Nous avions réclamé des garanties pour l’application de Taëf et de la 425 en échange de notre participation à Madrid », précise-t-il. Et c’est justement à cette période, estime Husseini, que « le statu quo nous a été imposé ». « On nous a demandé d’être une voiture dont le moteur tourne à vide et qui gaspille toute son énergie sans pouvoir avancer d’un iota », estime-t-il. En d’autres termes, l’accord de Taëf a cessé d’être appliqué, et c’est uniquement « un remplissage permanent du vide » qui s’y est substitué. « Le Liban ne pouvait pas cesser de soutenir la résistance pour la libération du Sud de l’occupation israélienne. Cette résistance tirait sa légitimité de l’accord de Taëf, pour le rétablissement de la souveraineté, mais le Conseil de sécurité aurait pu éviter ce long processus en permettant l’application de la résolution 425 », explique-t-il. « Par ailleurs, il y a eu cette illusion selon laquelle on pourrait pallier le vide en procédant à des élections législatives anticipées en 1992. Ce scrutin constituait une anomalie et a eu des répercussions sur la scène politique, entraînant le boycott de la part de la majorité des chrétiens. Les seigneurs de la guerre en ont profité en remplissant le vide qui s’était créé par la mise en place d’un gouvernement non représentatif. On a fait suivre ces élections irrégulières de l’installation du gouvernement d’un seul homme, en l’occurrence Rafic Hariri, qui est toujours au pouvoir. Cette opération a considérablement affaibli le Liban, qui ploie aujourd’hui sous les dettes », poursuit Hussein Husseini.
Toutefois, l’ancien président de la Chambre reconnaît que deux acquis majeurs ont été obtenus durant toute cette période : « La consécration de l’unité du Liban face aux complots visant à le morceler » et « la libération, pour la première fois dans l’histoire arabe, d’un territoire de l’occupation israélienne. » Tout comme il déplore deux « ignominies » qui ont été commises durant cette période : « Le vol du Trésor public » et « l’effondrement total de toutes les institutions étatiques : il n’y a plus ni Chambre, ni Conseil des ministres, ni pouvoir judiciaire. »

Accord de Taëf
ou accord tripartite ?
Taëf a été dénaturé, selon Hussein Husseini. « Il y a eu une opération de partage du Trésor de l’État pour garantir une longue vie aux milices et aux seigneurs de la guerre. » Est-ce, d’après lui, une application de l’accord tripartite ? « Ce sont les mêmes qui ont fait l’accord tripartite qui se sont partagés l’État. Le parrain de l’accord tripartite était Rafic Hariri. Des zones de pouvoir échappant au champ de l’État ont été mises en place, telles que le Conseil du développement et de la reconstruction, le haut comité de secours, le Conseil du Liban-Sud, le Conseil des déplacés, Solidere, Sukleen, les compagnies de téléphonie mobile, le secteur de l’énergie... » Et M. Husseini poursuit en s’interrogeant sur les « exceptions injustifiables » de la loi électorale inique de 1996 et, « pire encore », sur celles de l’an 2000, en tirant à boulets rouges, au passage, sur M. Michel Murr.
Pour empêcher cette « spoliation » du pouvoir par les dirigeants, il faudrait, selon lui, élaborer des lois règlementant le fonctionnement de chaque institution, ce que la Constitution ne pouvait faire. « Mais ces individus résistent à de telles lois, pour qu’on ne puisse pas mettre leur hégémonie en péril », précise-t-il, en faisant surtout allusion au Conseil des ministres. « D’autre part, la Chambre a disparu de la scène politique et son président a chapeauté des institutions qui devraient normalement être sous la tutelle de l’Exécutif, telles que le Conseil du Liban-Sud, la Régie ou certains ministères », souligne M. Husseini. « Le Premier ministre interfère également dans les affaires de la Chambre. À titre d’exemple, 57 des 65 articles de la loi sur l’environnement permettent au gouvernement de légiférer. En bref, tout le monde en profite. D’autant plus que la justice n’arrive pas à assumer son rôle, par manque d’indépendance, malgré la présence de juges honnêtes et compétents », ajoute-t-il. Une manière de répondre aussi à ceux qui prétendent que les failles présentes dans la Constitution empêchent les institutions de fonctionner sans l’intervention de l’étranger, et plus précisément de Damas. Que nenni, répond-il. « Ce sont les Libanais qui cherchent à s’appuyer sur l’étranger pour obtenir des avantages au plan interne. C’est la responsabilité des seigneurs de la guerre si les Syriens sont présents au plan interne. Pour combler le vide, on prolonge la présence au pouvoir de ceux qui ont établi leur hégémonie sur les Libanais », affirme-t-il. Et de rejeter aussi l’opinion de ceux qui, comme Walid Joumblatt, réclament l’amendement de Taëf, en citant le patriarche Sfeir, selon qui il faut appliquer l’accord avant de l’amender.

Pour une opposition
nationale
Ce dont le Liban a besoin, selon Hussein Husseini, c’est d’un plan de salut. Qui commencerait par la mise en place d’un cabinet crédible d’union nationale formé de 14 ministres et chargé d’élaborer une loi électorale garantissant une Chambre représentative. Il faudra ensuite garantir l’indépendance de la justice, puis stimuler le développement global planifié par l’ex-gouvernement Hoss et la décentralisation administrative. « La réforme administrative aura vu ainsi le jour. La réforme politique, elle, ne viendra pas toute seule. Après avoir résolu ces problèmes régionaux et internationaux, il sera de la responsabilité de la Syrie d’aider le Liban à se relever de son état de décomposition. Et il faut surtout qu’émerge une opposition nationale, à travers des blocs politiques d’envergure nationale. L’opposition partielle justifie la perpétuation au pouvoir de la caste hégémonique qui gouverne actuellement. » Pour Husseini, la rencontre de Fatqa, samedi dernier, n’était pas assez représentative : « C’est tout le Liban qui est concerné, et les personnalités présentes à Fatqa, dont je suis proche, ne représentaient pas tout le monde. Il est de notre responsabilité à tous de créer une opposition nationale et plurielle. Il est temps de le faire pour le salut du Liban. Non seulement cela est possible, mais c’est notre devoir. »

Michel HAJJI GEORGIOU
Le seul fait de le rappeler constitue un énorme pléonasme : Hussein Husseini est l’« esprit » de l’accord de Taëf. De 1977 à 1990, l’ancien président de la Chambre s’est consacré à l’élaboration d’un texte constitutionnel se posant dans la continuité du Pacte national de 1943, « parachevant » la dynamique consensuelle initiée par ce pacte, pour mettre fin à...