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Santé - Malgré la signature d’un protocole, le ministère n’assure toujours pas les médicaments Les malades du sida au Liban privés du traitement adéquat, la trithérapie

Ils sont dans le désarroi le plus total. Les malades du sida, dont la survie dépend d’un traitement médical rigoureux et régulier, souffrent d’une pénurie de médicaments qui ne fait que s’aggraver depuis quelque temps. C’est ce qu’a révélé une enquête effectuée auprès des médecins, des associations de soutien aux sidéens et des malades eux-mêmes qui pâtissent de ce problème depuis plusieurs mois, voire même depuis plusieurs années pour certains. Une situation devenue intolérable pour ces êtres d’autant plus fragilisés qu’ils doivent lutter non seulement contre un virus redoutable mais également contre ses effets psychologiques, économiques et sociaux.
Les médecins l’affirment unanimement : un malade du sida ne peut en aucun cas interrompre son traitement, à moins d’être exposé à de multiples complications. Les soins consistent en une trithérapie, c’est-à-dire un ensemble de trois médicaments qui doivent être administrés simultanément. Or, régulièrement un ou deux de ces médicaments, que le ministère doit assurer de manière continuelle aux malades inscrits à la Sécurité sociale, viennent à manquer, ce qui oblige ces derniers à interrompre toute la thérapie, une situation qui se répercute inévitablement sur leur état de santé qui est déjà assez critique au départ.
Dénonçant le laxisme des responsables et la légèreté avec laquelle ils traitent cette catégorie de malades, les médecins affirment que les obstacles qui entravent l’acheminement des médicaments deviennent de plus en plus insurmontables, et que c’est le patient qui, en définitive, en paie les frais.
Bien qu’un accord ait été conclu depuis deux mois entre le ministère de la Santé et les sociétés pharmaceutiques concernées, la situation ne s’est pas améliorée pour autant. Intitulé « Rapid access initiative », le nouveau protocole vise à accélérer la procédure d’importation et de distribution des traitements tout en réduisant les prix. Or rien de cela n’a eu lieu. « Au contraire la situation a empiré », affirme Nadia Bedran, assistante sociale au SIDC (Soins infirmiers et développement communautaire), et responsable d’un groupe de support pour les malades du sida. « Cela fait quatre mois qu’un des trois médicaments est épuisé. Depuis une semaine, le ministère a également arrêté de distribuer un deuxième. Beaucoup de malades ont été obligés de suspendre leur traitement », indique l’assistante sociale.
Au ministère, on dit avoir encore besoin d’un peu de temps pour mettre le nouveau processus en marche. Interrogé sur les risques de l’interruption d’un des trois médicaments, le Dr Mokhbat, infectiologue, affirme : « Tout arrêt du traitement entraîne la détérioration de l’état du malade tout en augmentant le risque de transmission du virus. »
Bien que le ministère dispose à l’avance des prévisions et des chiffres sur le nombre exact de malades et, par conséquent, sur la quantité de médicaments qui doivent être achetés, « les stocks s’épuisent de manière régulière », confie un expert qui s’étonne d’ailleurs que les responsables ne puissent pas régler ces difficultés qui traînent depuis des années. Outre les obstacles administratifs, dont la pléthore de réglementations qui freinent souvent le processus d’importation et d’acheminement des traitements, « le problème se situe également au niveau de certains importateurs qui préfèrent faire pression en faveur d’autres médicaments plus rentables », indique cette source. « Cette situation devait normalement changer avec la signature d’un nouvel accord entre le ministère et les sociétés pharmaceutiques. Mais on attend toujours », dit-elle.
Interrogé à ce propos, le directeur du Programme national pour la lutte contre le sida relevant du ministère, le Dr Moustapha el-Naqib, affirme pour sa part que le nouvel accord mis en place n’est pas tout à fait finalisé. « Il s’agit d’un long processus qui a besoin d’un certain laps de temps pour devenir complètement opérationnel. Dans d’autres pays, ce procédé prend trois ans au moins pour entrer en vigueur », relève le médecin, soulignant qu’il faudra encore quelque temps pour que les choses rentrent dans l’ordre.
Le prix du traitement qui s’élève actuellement à 1 200 USD devrait, conformément au nouvel accord, baisser dans une proportion de 80 à 90 %, explique le responsable.
Le Dr Naqib reconnaît toutefois qu’il y a eu, par moments, des retards dans la distribution des médicaments, « mais cela n’a jamais dépassé les deux mois. D’ailleurs, dit-il, médicalement parlant, ce n’est pas un problème majeur si les malades interrompent leur traitement pendant un certain temps ». Un point de vue vivement contesté par les spécialistes.
« L’importance d’une trithérapie est de cibler le virus simultanément à partir de trois angles, pour ne pas lui donner une chance de développer une résistance », relève le Dr Mokhbat qui précise que lorsque l’un des trois médicaments manque, la force du traitement est nettement diminuée et les risques de complication augmentent.
Mme Bedran témoigne à son tour de la dégradation de l’état de santé des malades qui se rendent au SIDC affirmant qu’une personne a failli être hospitalisée il y a une semaine.
« Ce qu’il faut savoir, c’est que ces personnes ont des difficultés énormes pour surmonter leurs problèmes. Très peu d’hôpitaux acceptent de recevoir les malades du sida qui sont de surcroît rejetés par la société. Ils sont tellement fragilisés qu’ils ne sont même pas en position de pouvoir défendre leurs droits », témoigne-t-elle. L’assistante sociale rappelle la précarité des conditions économiques des malades en soulignant que s’ils en avaient les moyens, ils se seraient procuré les médicaments sur le marché. « D’ailleurs, dit-elle, une des sociétés pharmaceutiques affirme avoir encore près de 100 boîtes de l’un des trois médicaments. Toutefois le ministère refuse de les acheter au plus haut prix maintenant qu’il vient de signer le nouveau contrat », dit-elle. En attendant que l’administration finalise les formalités requises – allouer le budget, démarcher les sociétés et faire les commandes – les sidéens désespèrent et l’équipe soignante en appelle à la conscience des responsables : « Nous ne cherchons pas à être hostiles à l’État. Nous voulons simplement que les responsables prennent conscience de la gravité de la situation », souligne un médecin.

Jeanine JALKH
Ils sont dans le désarroi le plus total. Les malades du sida, dont la survie dépend d’un traitement médical rigoureux et régulier, souffrent d’une pénurie de médicaments qui ne fait que s’aggraver depuis quelque temps. C’est ce qu’a révélé une enquête effectuée auprès des médecins, des associations de soutien aux sidéens et des malades eux-mêmes qui pâtissent...