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CONCERT - L’Orchestre symphonique national libanais à l’église Saint-Joseph (USJ) Impressionnisme et élans passionnés(PHOTO)

Dissonances d’une prova d’orchestra dans une atmosphère empreinte d’une moiteur insoutenable. Même les cartons des programmes, nerveusement et activement transformés en éventail, n’étaient d’aucune utilité… Grand monde et joie de la musique pour ce dernier concert de la saison donné par l’Orchestre symphonique national libanais placé sous la direction de Wojcieh Czepiel et qui, fidèle à ses rendez-vous des vendredis soir, officiait comme d’habitude à l’église Saint-Joseph à l’USJ illuminée et grouillant de monde. Au menu, mêlant inspirations impressionnistes, élans passionnés et tragiques amours, des pages d’Edvard Grieg, de Serge Prokofiev et de Hiba al-Kawas.
Ouverture somptueuse avec une œuvre remarquable (le concerto pour piano et orchestre en la mineur de Grieg) et une invitée d’honneur, Atsuka Seta, en droite ligne du Japon, non moins remarquable.
Petite parenthèse pour parler de la louable contribution du Japon, non seulement du point de vue culturel, aux activités beyrouthines, mais pour la donation d’un lot d’instruments de musique aux artistes libanais. Musicienne consommée et lauréate de plus d’un prix international (meilleure soliste au pays du Soleil Levant où pourtant les talents abondent et authentique vivier de champions qui n’ont pas leurs pareils pour décortiquer et donner vie aux partitions les plus ardues), Atsuko Seta a vite fait de subjuguer l’audience par sa présence au clavier. « Une sublimissime diva des touches de l’ivoire », murmure mon voisin, médusé par son jeu magnétique. Roulement de tambour et premiers accords mordants et tendres à la fois du célèbre concerto, en trois mouvements, du Norvégien Edvard Grieg, connu aussi pour Peer Gynt, inspiré d’Ibsen.
Écrit durant l’été 1868, ce concerto, à la fois lyrique et brillant, présenté à Liszt et construit selon un modèle de concerto de Schumann, a enthousiasmé des générations et sa popularité ne s’est jamais démentie. On l’écoute ici dans ses déchaînements terribles, ses arpèges et ses chromatismes volant au feu et à l’eau morsures et transparences, ses soyeux coins de rêverie comme un esprit qui flotte dans une campagne solitaire et ses violents coups de boutoir comme un cœur qui bat la chamade.
Inspiration profondément impressionniste dans le sillage torturé et lumineux des romantiques, où le lyrisme, échevelé et imprévisible, est toujours de rigueur. Grandes envolées comme les ailes déployées d’un archange, emportant mélodies et rythmes pour une narration vibrante aux réparties fort vives entre la soliste et l’ensemble ; avec toutefois une part léonine pour le clavier qui atteint une éloquence d’une singulière beauté alliant, avec brio et panache, fantaisie débridée et imagination féconde.
Vêtue d’une simple robe longue noire, une cape en gaze transparente avec motifs fleuris et colorés, les cheveux sur les épaules avec une frange rebelle sur le front, menue mais d’une redoutable efficacité devant les touches blanches et noires, Atsuko Seta semblait dans un état second tout au long de sa prestation. Une prestation à couper le souffle. Hypnotisé, le public s’interrogeait : d’où cherchait-elle ces notes lumineuses, ignifiées, cristallines et aériennes avec ce sourire mystérieux ? Un tonnerre d’applaudissements et ovation debout après l’apothéose des dernières phrases qui ont fait trembler les vitraux des rosaces sous les voûtes. En bis, toujours avec le sourire, une œuvre endiablée (avec la vélocité du Vol du bourdon de Rachmaninov), d’une danse aux rythmes jazzés où vivent et éclatent la fièvre et la sensualité du Brésil. Avec une pianiste de cette envergure, qui emporte si loin et comme sur un nuage son auditoire, on en était arrivé à oublier la chaleur…
Passage abrupt pour un horizon tout aussi lyrique mais aux stridences plus modernes et plus audacieuses. De Serge Prokofiev voilà La suite de Roméo et Juliette. Les Montaigu et les Capulets sont dans la cour de ce palais aux voûtes splendides et le sang va couler… Inimitiés incontournables et passions sous la cendre. Accords magnifiques de cette marche brillante qui a fait le tour du monde, usé les chaussons des danseurs de ballet et fait rêver les amoureux de la planète entière. Les amants de Vérone sont sous les feux d’un commentaire lyrique serré et d’une harmonie délibérément consonnante. Un tragique bouleversant, sans la poésie diaphane de Shakespeare, qu’on retrouve surtout dans le tableau final où l’amour n’est pas forcément promesse de bonheur.
Dernier morceau, toujours dans le ton véhément et impressionniste, L’ouverture des moments à Krakov de Hiba al-Kawas. Emphase sur fond d’orientalité pour des souvenirs teintés de mélancolie où sont imprégnés des images d’une ville ainsi que le frémissement des émotions que la mémoire a précieusement gardées. Rapide, accélérée, usant des fortissimi grandiloquents avec déchaînement abusif des instruments à vent et des cuivres, cette narration tout en se voulant intense manque curieusement de vie réelle. Force vive charriant tout avec elle, limon comme eau pure, d’une modernité corsée, elle a la stridence d’un cri.
Edgar DAVIDIAN
Dissonances d’une prova d’orchestra dans une atmosphère empreinte d’une moiteur insoutenable. Même les cartons des programmes, nerveusement et activement transformés en éventail, n’étaient d’aucune utilité… Grand monde et joie de la musique pour ce dernier concert de la saison donné par l’Orchestre symphonique national libanais placé sous la direction de Wojcieh...