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PATRIMOINE - Lady Yvonne Cochrane passe le flambeau de la direction à Assem Salam Pour l’Apsad, quatre décennies jalonnées de succès mais aussi de revers(photos)

«Il y a un temps pour entreprendre, il y a un autre pour passer la main et céder sa place afin de donner un souffle nouveau à l’entreprise. Je quitte donc la direction de l’Apsad, sans pour autant quitter l’Apsad.» C’est en ces termes que Lady Yvonne Cochrane remet le flambeau à M. Assem Salam, ancien président de l’Ordre des ingénieurs et des architectes mais aussi un des fondateurs de l’association.
L’histoire a commencé à la fin des années 50. Le Liban entrait dans la modernité, et la prospérité économique donnait à la construction son essor. La capitale, devenue un véritable chantier, voit disparaître ses bâtiments à caractère historique et esthétique. Les maisons traditionnelles, les bâtisses des années 30 inspirées de l’art français et au passage, le modèle ottoman, cèdent la place à l’épopée tragique du béton. Inquiétés par les signes de dégradation du paysage urbain, Yvonne Sursock Cochrane, Camille Aboussouan et Assem Salam planchent sur les moyens à entreprendre pour préserver le patrimoine architectural et naturel, vecteur touristique privilégié, mais aussi et surtout, expression de la mémoire et de l’identité du Liban. En 1960, ils créent l’«Association pour la protection et la sauvegarde des sites et anciennes demeures» (Apsad). Le comité directeur est composé de Mme Yvonne Sursock Cochrane (présidente), MM. Assem Salam (vice-président), Camille Aboussouan (secrétaire général), Pierre Fouad el-Khoury (trésorier) et les membres suivants: Mme Souad Najjar, MM. Amine Bizri, Fouad Boutros, Maurice Chéhab, Bassem Jisr, Kamel Mroué, Georges Riachi et Dikran Sarrafian. Au secrétariat: Mme Samia Nassar et M. Hikmat Khodr.
Sous le slogan «les longs souvenirs font les grands peuples», le groupe se donne pour mission de mettre en garde les responsables politiques contre un laxisme qui peut mener à la perte de notre mémoire nationale et d’attirer leur attention sur l’importance du tourisme culturel comme source de revenu. Des campagnes de sensibilisation sont menées pour la stimulation de l’intérêt public et l’éveil de son sens civique. Des visites guidées dans des anciennes demeures et sites naturels sont programmées. Des causeries et des débats hebdomadaires portant sur l’aménagement du territoire sont organisés pour préparer le futur, répondre aux impératifs d’un monde en mutation, tout en préservant les valeurs du passé. En collaboration avec le département des Antiquités, des travaux de restauration sont entrepris à Abey, Deir el-Qamar, Zahlé, Beyrouth, Jbeil, Batroun et Tripoli. Les recensements des bâtiments anciens sont engagés et 200 documents (relevés, plans et informations historiques) relatifs au patrimoine et à l’environnement sont élaborés; un double exemplaire est remis à la direction des Antiquités. Au fil des ans, quelque 8000 photographies sont archivées. Elles font l’objet d’expositions itinérantes organisées dans les différentes régions du Liban, mais aussi dans divers pays d’Europe. Des films documentaires sont tournés pour les ministères du Tourisme, de la Jeunesse et du Sport et pour la direction générale des Forêts et Ressources naturelles du ministère de l’Agriculture. Des antennes sont créées à Tripoli, Deir el-Qamar, Saïda et Aley. Des bulletins, des dépliants et des ouvrages racontant les caractéristiques de l’architecture traditionnelle et des sites naturels sont publiés. Des projets de loi sont élaborés. Ils portent sur la protection de l’environnement et la mise en valeur des sites naturels, sur la restauration, la conservation et le développement des quartiers urbains à valeur patrimoniale (1972), sur la protection des espaces verts et jardins dans la ville de Beyrouth (1974) et sur la préservation des anciennes demeures, les droits des propriétaires et ceux des locataires (1975). Pendant 15 ans, en visionnaire, l’Apsad tente de réconcilier l’histoire et l’économie, définir un équilibre entre l’exploitation de la nature et la croissance. La guerre endémique finira par tout balayer.

Lutter contre le règne
du laisser-faire
Seize années vont démolir ce qu’on a mis longtemps à bâtir. La paix retrouvée, la reconstruction, l’exploitation foncière de la capitale vont rogner le passé en livrant aux bulldozers des paquets entiers de bâtisses anciennes. Du nord au sud, d’est en ouest, des villes champignons dépouillées de leurs espaces verts sont érigées dans un chaos absolu sur la dépouille d’un patrimoine architectural et naturel davantage détruit en 20 ans qu’en deux siècles. Face au désastre, les conservateurs, avec pour figure centrale Lady Yvonne Cochrane, expriment leur indignation, organisent des sit-in et des manifestations, rameutent la presse et l’opinion publique et militent auprès des autorités concernées pour arrêter le massacre. Pour un petit rappel des faits, Michel Eddé, alors ministre de la Culture, charge un groupe d’architectes de l’Apsad de répertorier les bâtiments construits avant 1945. Plus d’un millier seront placés «sous étude» et par conséquent frappés d’«interdits de démolition». Les tentatives d’infraction enregistrées à Basta, Zokak el-Blat, Sanayeh, Sodeco ou la rue Assly sont dénoncées haut et fort par l’association qui réussit à sauver du péril bon nombre de bâtisses anciennes, provoquant par la même occasion une vive polémique entre elle et les propriétaires. Le sujet fait couler beaucoup d’encre. Pour les uns, il y a la mémoire, l’histoire à sauver. Pour les autres, le souci de vivre passe avant tout. Les points de vue sont divergents. Dans ce pays aux mille extrêmes, les gouvernants qui se succèdent cherchent un juste milieu. Ils planchent sur des projets. Les experts élaborent des études. Les juristes des projets de loi. Sans résultat. Les textes sont toujours dans les tiroirs des ministres. Entre-temps, les vieilles pierres, prises en étau par le béton et l’acier, ne représentent plus que 2,5% de l’immobilier. Elles sont les derniers fragments témoignant de la beauté et de la douceur de vivre passées.
Mais les défenseurs du patrimoine n’en ont pas fini avec les vagues. Dans ce pays que l’homme exploite, souille et lamine sans fin, et où chacun rafle sa mise dans l’instant, sans mémoire du passé ni considération pour l’avenir, l’association est happée dans une spirale irrépressible: campagnes intensifiées pour la sauvegarde des vestiges et fouilles du centre-ville, interventions au plus haut niveau pour contrecarrer des initiatives malheureuses (à Sofar et à Salima où un plan directeur d’urbanisme a été établi par les architectes de l’Apsad) mais aussi pour invalider des opérations immobilières menaçant de destruction des sites historiques comme Enfeh, Deir el-Kalaa, le pont naturel de Fakra, la vallée de Anater Zbeideh, etc. Parallèlement, son comité «SOS environnement», dirigé par Nelly Abdallah, lançait une croisade contre deux fléaux: les carrières de pierres et le mazout. Collaborait aux journées de nettoyage de la côte libanaise. Militait pour la protection du littoral de Byblos et pour la création de jardins et d’espaces verts dans la capitale. La liste est longue. Disons toutefois qu’au cours de ces quatre décennies, des succès ont été enregistrés, des revers essuyés. Mais la route est bien tracée. Le nouveau comité directeur cingle aujourd’hui vers des objectifs précis: lutter contre le règne du laisser-faire, du laisser-aller, sauver ce qui peut, encore, être sauvé avant que ne saute le verrou.
Quelles sont donc les prochaines étapes?
«Mener une campagne massive pour dépoussiérer une législation remontant à 1933 et faire promulguer une nouvelle loi protégeant le patrimoine bâti et naturel», déclare le président Salam. Mâchouillant son cigare, il insiste également sur «l’importance d’une coopération tous azimuts pour rallier à notre cause le plus grand nombre d’adhérents et permettre ainsi de créer des antennes sur tout le territoire». L’ancien président de l’Ordre des ingénieurs signale, en connaissance de cause, qu’«il y a 3000 architectes au Liban et parmi eux, beaucoup ont des objectifs tout à fait compatibles avec ceux de l’Apsad; ils peuvent être mobilisés pour la bonne cause. À travers eux, nous pouvons mener des campagnes de sensibilisation, mais aussi être informés de toute initiative désastreuse qui sera entreprise dans leur région. De même, il faut encourager la collaboration avec les mouvements culturels du Sud, du Nord et de la Békaa qui pourront nous aider à secouer le carcan d’une société réduite à l’apathie face aux drames écologiques et aux pollutions visuelles. En bref, il ne faut pas dédaigner le rôle des collectivités locales, il ne faut pas avoir peur de populariser l’Apsad, la sortir de son élitisme, en responsabilisant le plus grand nombre de citoyens». M. Salam ajoute, par ailleurs, qu’il faut «trouver des financements pour étendre le concept du projet d’assistance à la réhabilitation de Salima sur d’autres zones et obtenir un droit de regard officiel sur toute construction entreprise dans ladite zone». Au programme également, « informatiser tous les documents de l’Apsad, améliorer et développer son site Web».

May MAKAREM

Salima, un concept à véhiculer

L’Apsad a contribué techniquement et financièrement à la mise en place, par la DGU, d’un plan directeur d’urbanisme de Salima. Rappelons que ce village, traditionnellement habité par deux communautés (druze et chrétienne), est un des premiers à avoir subi des destructions importantes et l’exode de ses habitants lors du déclenchement de la guerre dans la montagne.
Pour éviter une reconstruction massive et anarchique, l’Apsad et Patrimoine sans frontières collaborent étroitement avec les habitants de Salima, le ministère de la Culture, le ministère des Affaires des déplacés ainsi que la Direction générale de l’urbanisme, mettant en œuvre un projet d’assistance à la reconstruction et à la sauvegarde du patrimoine architectural du village.
Il est à noter que les architectes de l’Apsad ont répertorié 70 bâtisses anciennes dont sept magnaneries. De même, ils ont supervisé les plans de restauration d’une vingtaine de demeures. La mise en place de cette démarche a suscité un grand intérêt chez les habitants d’autres villages comme Abey et Mtein qui tentent de véhiculer le même projet dans leur commune.

Affiliations et partenariat internationaux

L’Apsad est membre:
– D’Europa Nostra, fédération des associations nationales privées qui s’occupent de la défense et de la mise en valeur des sites artistiques, historiques et naturels. Europa Nostra a acquis le «statut consultatif» du Conseil de l’Europe.
– De Patrimoine sans frontières, association qui repère et signale les menaces pesant sur le patrimoine, favorise l’émergence des solutions et la mise en place d’actions spécifiques.
– L’Apsad est également partenaire de l’ICOMOS (International Council on Monuments and Sites). L’organisation, qui compte des comités nationaux dans plus de 90 pays, est le principal conseiller de l’Unesco en matière de conservation et protection des monuments et sites.
– Une collaboration est établie, depuis 1999, avec l’association irlandaise «The GeorgianSociety».

Vous Libanais...

En 1960, l’Apsad lance son premier appel aux Libanais: «Vous qui voulez la sauvegarde de toutes nos valeurs... des villes et des villages ordonnés et harmonieux. Un Liban agréable, accueillant, fier de son passé, confiant en l’avenir.
«Prenez garde, ce patrimoine, ces sites, ces paysages, ces souvenirs sont déjà largement saccagés, livrés au mépris et à l’abandon, défigurés, enlaidis par des installations hideuses, des taudis, des banlieues incohérentes, des cités désordonnées, insalubres, sans dignité...
«Sauvez le patrimoine, adhérez à l’Apsad, appuyez son action. Elle fait appel à toutes les initiatives, recueille toutes les suggestions, coordonne tous les efforts, sauvegarde les vieilles demeures, appuie tous les mouvements en faveur de l’urbanisme et de la reconstruction, intervient auprès des pouvoirs publics pour la protection des monuments et des sites.»

Nouveau comité exécutif

Président : Assem Salam
Vice-présidente: Raya Daouk
Secrétaire général: Tarek Kettaneh
Trésorier: Costa Doumani
Comité exécutif: Fadlallah Dagher, Habib Debs, Maritta Frem, Nayla de Freige, Hana Alameddine Haïdar, Abdulhalim Jabr, Cuzine Kordahi et Nadim Souhaid
Secrétaire d’administration: Rita Najjar.
«Il y a un temps pour entreprendre, il y a un autre pour passer la main et céder sa place afin de donner un souffle nouveau à l’entreprise. Je quitte donc la direction de l’Apsad, sans pour autant quitter l’Apsad.» C’est en ces termes que Lady Yvonne Cochrane remet le flambeau à M. Assem Salam, ancien président de l’Ordre des ingénieurs et des architectes mais aussi un...