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PLANTES DU LIBAN - Les jardins botaniques sont encore inexistants au pays du cèdre V- Plus ou moins toxiques, les herbes doivent être manipulées avec précaution(photos)

Belles et pleines de vertus, les plantes peuvent aussi être des armes à double tranchant. Certaines, comme la ciguë, sont devenues synonymes de poison. D’autres ont une toxicité moins élevée, mais demeurent dangereuses à doses non thérapeutiques. Toutefois, si leur effet sur la santé reste moins drastique et immédiat que les médicaments chimiques (qu’elles ne remplacent pas dans notre civilisation moderne), elles présentent néanmoins l’avantage de produire moins de contre-effets, si le remède à base de plantes est préparé par des mains expertes. Il est en effet dangereux pour les non-initiés de s’aventurer sur cette voie.
Il n’en demeure pas moins intéressant de connaître la richesse végétale du Liban, qui a fait l’objet de très peu de publications complètes. Dans la cinquième et dernière partie de cette série (voir L’Orient-Le Jour du 30 mai et des 6, 13 et 20 juin), nous aborderons certaines plantes fascinantes comme le laurier noble, le caroubier, les menthes sauvages, la ciguë (si proche par l’aspect de plusieurs autres plantes moins toxiques), le millepertuis, le tussilage, la fumeterre...
Dans le cadre de cette série, les informations ont été fournies par une éminente spécialiste du monde végétal, Nelly Apostolidès Arnold, qui se penche sur les plantes du Liban depuis 1966. Elle est professeur et docteur en pharmacie, spécialiste en pharmacognosie (branche de la pharmacie qui étudie les plantes médicinales), en phytochimie des plantes médicinales et en taxonomie (classement des plantes). Elle est chargée d’enseignement à l’Université Saint-Joseph (USJ), à l’Université libanaise (UL) et à l’Université Saint-Esprit de Kaslik (Usek), où elle est également directrice de l’herbier. Elle a à son actif plus de 65 publications dans des revues scientifiques internationales et elle est membre de plusieurs sociétés scientifiques.
Le Dr Arnold plaide aujourd’hui pour la conservation des plantes, dont beaucoup d’espèces sont en danger. Elle souligne l’importance des jardins botaniques, encore inexistants au Liban. Rappelons que ce pays est riche de 7253 espèces végétales recensées (dont beaucoup endémiques), de 1449 genres différents, appartenant à 143 familles.

Suzanne BAAKLINI

Les quatre menthes sauvages du Liban

Au Liban, quatre espèces sauvages de menthe, de la famille des lamiacées (ou labiées) poussent naturellement en diverses régions : la menthe aquatique, dite « Naanaa ma’i », la menthe à petites feuilles, ou « Naanaa Saghir al-Waraq », la menthe pouliot, appelée « Dabbab » ou « Foulia », et la menthe à longues feuilles, ou « Naanaa Tawil al-Waraq ».
Des quatre espèces, c’est la menthe aquatique, Mentha aquatica L., qui concentre le plus de vertus. L’infusion de ses feuilles donne un excellent thé carminatif (réduit les gaz). On la trouve surtout à Beyrouth, Dekouaneh, Beit-Méry, Nahr el-Safa, Broummana, Ammiq, etc. Elle est connue pour ses propriétés stomachique (facilite la digestion), antidiarrhéique, stimulante, antispasmodique et analgésique. On la recommande en cas d’indigestions, de ballonnements, de vertiges, d’asthme, de bronchite, etc. Elle agit également sur le foie.
Pour l’infusion, il faut verser une cuillerée à thé de feuilles desséchées et émiettées dans une tasse d’eau chaude, et la consommer de préférence après les repas. On peut laisser macérer 30 grammes de feuilles sèches durant dix jours dans un litre de vin blanc sec : prise avant de se coucher, cette préparation facilite le sommeil. Enfin, en usage externe, quelques gouttes d’essence sur les tempes calment les migraines.
La menthe pouliot (appelée aussi herbe aux puces), Mentha pulegium L., pousse naturellement dans les lieux inondés ou au bord des étangs, notamment à Beyrouth, à Sannine, à Ammiq, à Saghbine, à Taanayel, etc. Parfois cultivée comme plante ornementale, elle dégage une odeur agréable et a une saveur aromatique. Ses parties aériennes en pleine floraison, préparées en infusion, ont un effet antispasmodique, digestif et antiseptique en usage externe. La menthe pouliot est aussi réputée en tant qu’insecticide.
La menthe à longues feuilles fleurit de juin à octobre dans les lieux humides ou plus secs. Au Liban, la Mentha longifolia (L.) Hudson a été signalée à Aïto, mais cela reste à vérifier. La menthe à petites feuilles, ou Mentha microphylla C.Koch., est beaucoup plus répartie sur l’ensemble du territoire, également dans les lieux humides. L’infusion des feuilles et des fleurs de la menthe à longues feuilles est carminative (élimine les gaz), alors qu’en usage externe, la plante, additionnée à l’eau chaude du bain, est efficace pour soigner les maladies de peau.
L’huile essentielle des menthes contient du menthol, un antiseptique et un désodorisant buccal bien connu.

Le laurier noble, aimé d’Apollon

Si le laurier noble ou commun est prisé pour son rôle alimentaire (avec l’ail, le persil, l’origan et le thym, il compose les bouquets garnis), il est doté de bien d’autres vertus que celle d’exciter les papilles gustatives des fins gourmets. Dans tous les cas, peu de plantes sont chargées d’une telle symbolique historique et mythologique.
Dans la mythologie grecque, la nymphe Daphné, fille de Ladon, dieu des fleuves, était chérie d’Apollon. Lorsque le désir du dieu s’est fait trop pressant, la jeune fille s’est réfugiée auprès de sa mère, Gaïa, qui l’a métamorphosée en laurier. Voilà pourquoi cette plante est dédiée à Apollon qui, selon la légende, s’est lavé dans la vallée de Tempé, aujourd’hui encore couverte de lauriers, après sa victoire contre le serpent Python. Depuis, le laurier est devenu symbole de victoire, de célébrité et de respect. Dans l’Antiquité, les couronnes de laurier ceignent les fronts des vainqueurs des Jeux olympiques, des poètes, des généraux, des savants et des empereurs. Au Moyen Âge, l’abbesse sainte Hildegarde le prescrit en cas de palpitations, d’asthme, de fièvre, de rhumatismes, etc. On le répand autour des maisons pour éloigner la peste. À partir du XVIe siècle, il devient prisé en tant que plante ornementale.
Originaire d’Asie mineure, le Laurus nobilis L, de la famille des lauracées, pousse sous les climats méditerranéens et dans les régions côtières, et se trouve sous sa forme cultivée dans le reste de l’Europe. Au Liban où il est appelé « Ghar Nabil » ou « Ghar Cha’i’ », il pousse naturellement sur la côte, à Nahr el-Kalb, Saïda, Zahrani, Nahr Ibrahim, Naqoura (jusqu’à la frontière palestinienne), et en montagne à Moukhtara, Qannoubine et dans la réserve de Horch Ehden.
Ce bel arbre de 3 à 6 mètres de haut, à la baie inconsommable, possède des vertus médicinales importantes dans ses fruits et ses feuilles. Le fruit est un stimulant aromatique antirhumatismal et parasiticide en usage externe. La feuille, un condiment, possède des propriétés toniques et stimulantes par voie interne, mais peut occasionnellement provoquer des réactions de sensibilisation. Elle est traditionnellement utilisée dans les cas de troubles digestifs (elle stimule l’appétit et la sécrétion des sucs gastriques).
Par ailleurs, l’huile essentielle du laurier est employée, en application externe, pour le traitement des chutes de cheveux. Elle sert à la fabrication d’un savon spécial, « Saboun el-Ghar », très apprécié, notamment au Liban-Nord, pour les cheveux gras.
Enfin, il est conseillé de planter le laurier (qui a aussi un usage ornemental) en guise de clôture naturelle : celle-ci est esthétique, écologique et présente l’avantage d’être impénétrable et répulsive pour les insectes, en particulier les moustiques. D’ailleurs, on a signalé le pouvoir répulsif de la feuille de laurier sur les cafards, ce qui devrait intéresser plus d’un...

La ciguë, à ne pas confondre avec d’autres ombellifères

Connue pour avoir provoqué l’empoisonnement de Socrate, condamné par la loi d’Athènes pour son attitude méprisante envers les dieux, la ciguë, à la forte toxicité, existe au Liban sous le nom de « Chawkarân Mubaqqa’ », ou ciguë tachetée, elle pousse à Tripoli, Aïn Anoub, Ehden et à la forêt de cèdres de Bécharré. Cette plante appelée Conium maculatum L. est très commune à Taanayel, Zahlé et dans l’Anti-Liban. On la trouve dans les décombres, les haies, au bord des chemins, dans les terrains vagues, les cultures, les lieux ombragés plus ou moins fréquentés par les troupeaux. Le fruit est l’élément le plus toxique de cette grande plante bisannuelle, couverte de taches brunes pourpres, qui dégage une odeur fétide.
La ciguë doit sa redoutable réputation au fait qu’il suffit de 6 à 8 grammes de ses feuilles pour causer des accidents mortels chez l’homme. L’empoisonnement se traduit par des éblouissements, des vertiges, une sensation de soif intense, une paralysie des muscles volontaires et du diaphragme, d’où le fait que la mort survient par arrêt respiratoire. Le danger, c’est que cette plante soit confondue avec d’autres espèces d’ombellifères comestibles et morphologiquement voisines comme la carotte, le persil, le céleri…
Malgré sa forte toxicité (elle ne doit avoir aucun usage en médecine familiale), la ciguë a des propriétés médicinales antispasmodiques, analgésiques et antinévralgiques (l’extrait des fruits a été employé comme emplâtre contre les névralgies et les douleurs cancéreuses). Elle est toutefois rarement utilisée de nos jours.

L’histoire du caroubier et... des pierres précieuses

Quel est le lien entre le caroubier et le marché des pierres précieuses ? Il n’est pas évident mais il existe : les graines séchées de caroubier servaient en effet à peser les épices en Afrique, et l’or et les diamants en Inde, d’où le fait que c’est cet arbre qui est à l’origine du mot « carat ». Le poids d’une graine varie en effet de 189 à 205 mg, alors que le carat est défini actuellement à 200 mg.
Cette anecdote historique ne constitue toutefois pas la seule particularité du Ceratonia siliqua L., un arbre de 6 à 10 mètres de haut de la famille des légumineuses. Son fruit agit contre les diarrhées et s’avère très utile pour lutter contre les gastro-entérites du nourrisson. La gomme de caroube est un épaississant employé contre les vomissements du bébé. Non digestible, elle constitue un coupe-faim efficace, d’où son utilisation dans les régimes amaigrissants. On la prescrit parfois dans le traitement de l’insuffisance rénale chronique. Dans l’industrie, la gomme de caroube est courante en cosmétologie, ainsi que dans les usines de papier et de textile. Les caroubes sont des fruits très nourrissants, appréciés éventuellement par les hommes mais surtout par les animaux, notamment les chevaux.
Le caroubier est apparemment un arbre indigène du Liban, où il est également planté. Il porte le nom bien connu de « Kharroub ». Il est commun sur la côte et dans les pentes inférieures des montagnes côtières, mais il se trouve en danger de diminution parce qu’il est fréquemment abattu pour son bois (création de charbon), ou coupé pour les constructions à Tripoli, Antélias, Ras-Chekka et Kahalé notamment.
Capable de pousser dans un climat sec et chaud, autant sinon plus que l’olivier, le caroubier se couvre d’un long feuillage vert vif. Il croît dans les terrains les plus ingrats et les plus exposés au soleil, et s’enracine dans les rochers nus et brûlants.

La fumeterre, une silhouette floue dans la nature

La fumeterre, ou Fumaria officinalis L., doit son nom soit à la teinte grise et confuse de ses feuilles, qui lui donne un effet de silhouette floue presque irréelle, soit à son goût de fumée et de suie. Au Liban où on la trouve surtout en montagne, à Harissa, Afqa, Taanayel, mais aussi à Saïda, Baalbeck, Qaa, etc., on lui donne le nom de «Chahtaraj Makhzani», «Guessis» ou «Qusfarat al-Himar».
Cette plante herbacée de la famille des fumariacées est connue depuis l’Antiquité comme dépurative, laxative, tonique et stimulante biliaire (d’où son autre nom d’herbe à la jaunisse). Elle est utilisée pour ses propriétés antiasthmatiques et antispasmodiques en Afghanistan. La fumeterre, qui est peu toxique, produit aussi un effet sur les animaux, notamment une action hypotensive sur les chiens. Chez l’homme, elle agit notamment contre les eczémas, l’artériosclérose, la grande fatigue et les problèmes liés à la vésicule biliaire, et est consommée généralement sous forme d’infusions. Ce sont ses parties aériennes qui sont utilisées.

La petite centaurée, un bon stimulant gastrique

Il suffit d’énumérer les multiples noms de la petite centaurée pour se rendre compte de ses vertus médicinales, de sa symbolique historique et mythologique et de sa popularité qui ne date pas d’hier : herbe à la fièvre, gentiane centaurée, herbe au centaure, herbe à Chiron… La Centaurium erythraea Rafn. ou Erythraea centaurium Pers. se rencontre au Liban à Souk el-Gharb, Jabal Terbol, Qrayyé et Ehden, dans les lieux boisés et les buissons, sous le nom de « Qantarioun Saghir Cha’i’ » ou « Murraret el-Hanach ». Cette jolie plante de la famille des gentianacées fleurit d’avril à octobre.
La petite centaurée est connue comme stimulant gastrique, avec une action tonifiante sur les vaisseaux. Elle était considérée par le médecin grec Dioscoride comme dépurative. Elle sert aussi à préparer des frictions capillaires contre les poux. Ses fleurs sont utilisées comme tonique amer, fébrifuge, remède contre l’anémie, les calculs biliaires et les troubles gastriques. Sa décoction s’avère utile pour soigner le diabète et son infusion soulage les maux de tête et les accès de fièvre. Il faut cependant éviter d’en abuser : à forte dose, elle est irritante pour le tube digestif.
Utilisée dans la composition des vermouths et de certaines tisanes, la petite centaurée, au goût très amer, est mélangée à des plantes à la saveur plus douce.

Le millepertuis perforé... pour les personnes nerveuses

Ses feuilles densément parsemées de ponctuations translucides ont valu au millepertuis son adjectif de perforé. L’Hypericum perforatum L., appelé « Hachichat al-Qalb » (l’herbe du cœur) en arabe, se trouve à l’état sauvage dans plusieurs régions du Liban : Choueifat, Bsous, Tripoli, Bickfaya, Ghazir, Douma, Achqout, Ehden, Bécharré, Baskinta, grottes de la Qadicha, Hadeth (les Cèdres), Qammouha… Il faut signaler qu’il existe 22 espèces d’hypericum au Liban et en Syrie.
Cette plante de la famille des hypéricacées est surtout utilisée en complément du traitement de l’instabilité nerveuse et des troubles du sommeil, bien que les propriétés antidépressives de son principal constituant, l’hypericine, n’aient pas encore été démontrées scientifiquement. Un autre constituant du millepertuis agit sur le métabolisme des tumeurs cérébrales, et les extraits de la plante peuvent être utilisés au cours du traitement ou pour la prévention contre le cancer. Par ailleurs, la plante possède des propriétés photosensibilisatrices, d’où le fait qu’elle peut présenter des contre-indications pour les personnes à peau claire.
Le millepertuis est consommé en tisane et commercialisé par divers fabricants. Il est recommandé de boire une à deux tasses de tisane fraîchement préparées matin et soir. Normalement, une utilisation durant plusieurs semaines ou mois est nécessaire pour obtenir un effet. La drogue doit être conservée à l’abri de la lumière et de l’humidité.

Le tussilage, remède contre la toux

Le tussilage, ou Tussilago farfara L., est une petite plante dont les propriétés antitussives (contre la toux) sont si connues qu’elles ont inspiré ses noms arabes : « Su’ala », « Su’aliya » ou encore « Hachichat al-Su’al » (herbe de la toux). Il s’agit d’une herbe des endroits frais, poussant volontiers près des cours d’eau. Au Liban, on la trouve surtout en montagne : Ebey, Bickfaya, Nahr Ibrahim, Qrayyé, Mdeirej, Ehden, Bécharré (les Cèdres), Dimane, Hasroun, Tannourine…
Ce sont les capitules et les feuilles du tussilage qui sont employés en médecine, notamment dans les médicaments contre la toux. Cette plante est utile en cas d’inflammations des bronches, de toux sèche irritative, d’enrouement, d’irritations de la gorge. Les mucilages contenus dans la drogue recouvrent les muqueuses d’une couche protectrice qui atténue l’irritation de la toux. Les feuilles fraîches ont des propriétés antispasmodiques et antibactériennes. Elles étaient préconisées en fumigation dans les maladies respiratoires. Toutefois, cette plante a des contre-indications, notamment pour les femmes enceintes ou qui allaitent. D’ailleurs, la durée du traitement (par infusion) ne doit jamais dépasser les quatre à six semaines par an.
Belles et pleines de vertus, les plantes peuvent aussi être des armes à double tranchant. Certaines, comme la ciguë, sont devenues synonymes de poison. D’autres ont une toxicité moins élevée, mais demeurent dangereuses à doses non thérapeutiques. Toutefois, si leur effet sur la santé reste moins drastique et immédiat que les médicaments chimiques (qu’elles ne remplacent...