Sur un plan complémentaire, ajoutent les mêmes sources, Damas a réussi à épargner au président Rafic Hariri les effets, ou les réactions, à coloration confessionnelle, après son initiative avec les ulémas. On sait en effet que le chef du gouvernement avait convoqué ces hommes de religion pour leur recommander de propager à travers leurs prêches un sain esprit de modération et de concorde. En fait, Damas, précisent ces sources, a vu au départ d’un mauvais œil pareille démarche. À son avis, les mobilisations infracommunautaires, quel qu’en soit le thème ou le slogan, risquent d’élever des barrières, de susciter des méfiances de nature confessionnelle sur une scène déjà hypersensible aux phénomènes de ce genre. Dans le même (nouvel) esprit de promotion du laïcisme civique aconfessionnel, les décideurs n’ont pas levé le petit doigt pour tirer de sa léthargie, proche du coma létal, le Rassemblement parlementaire chrétien de concertation qu’ils avaient initialement accompagné de leurs vœux.
Pas de dossiers à la trappe
C’est que ce groupe, inventé pour contester l’opposition chrétienne au niveau de la rue, perd son utilité de fer de lance, après les positions du patriarche Sfeir concernant la guerre en Irak. Et après le bémol rajouté par Bkerké au chant revendicatif récurrent concernant la présence militaire syrienne. On sait en effet que le patriarcat n’a pas applaudi aux pressions américaines concernant cette présence, tant s’en faut. Et qu’il a tenu à souligner que, s’il faut se séparer sur un plan concret, cela doit être à l’amiable, dans la concorde. Ce sens des nuances comme des valeurs de bon voisinage, sinon de fraternité, a été autant apprécié à Damas que l’éloge rendu par les évêques maronites au discours prononcé par le président Assad à Charm el-Cheikh.
Pour en revenir à la détente à l’intérieur du camp loyaliste recommandé par Damas, elle ne s’est pas limitée à mettre la présidentielle en sourdine. On a vu en effet que le Conseil des ministres s’est remis au travail. Ce qui signifie que les dirigeants jouent le jeu de la coopération minimale réclamé par les tuteurs. Qui ont invité toutes les fractions à se rassembler derrière la présidence de la République, en s’engageant à ne pas tenter de l’affaiblir ou de lui donner du fil à retordre. Cependant, des politiciens rapportent que Hariri n’est pas désireux de clore aucun litige politique avec le régime. C’est-à-dire qu’il ne veut pas que les dossiers passent à la trappe d’un consentement silencieux aux volontés d’en haut. En termes pratiques, précisent ces professionnels, le chef du gouvernement entend s’en remettre, pour chaque cas, à la Constitution, au respect des institutions et au Conseil des ministres directement. Il refuse donc les tentatives de régler les différends en marge de cette instance. Quand le ministre des Affaires étrangères, Jean Obeid, l’a relancé au sujet du mouvement diplomatique (toujours en suspens), Hariri lui a répondu qu’il faut soumettre le problème au Conseil des ministres pour qu’il en débatte en toute transparence. Une manière indirecte, polie autant que politique, d’indiquer à son interlocuteur qu’il ne souhaite pas un arrangement préalable, après négociation sur les noms.
Toujours est-il que le vent soufflant des bords du Barada semble avoir tourné, en gros, en faveur du régime. Joumblatt l’a senti en premier. Il a indiqué que Hariri l’avait perdu et qu’il penchait désormais pour Baabda. Le leader de la montagne signale ainsi à Damas qu’il est à son écoute et à ses côtés, en ces moments difficiles de pressions, voire de menaces, israélo-américaines. Les proches de Koraytem ont réagi avec prudence, sinon habileté. Ils répètent que l’alliance avec Moukhtara tient plus que jamais et qu’ils sont eux aussi aux côtés de la Syrie. Quant au président Berry, qui a joué comme on sait un rôle majeur dans la formation du présent cabinet où sa part est substantielle, il critique ouvertement des ministres amis, dont Abdel-Rahim Mrad. Pour leur reprocher d’avoir voté en faveur du recrutement demandé par la Sûreté générale et non contre, comme l’ont fait ses fidèles. Mrad indique que Berry ne lui avait pas demandé de voter dans tel ou tel sens ; et qu’il a opté objectivement, sans tenir compte de considérations politiques qui ne doivent pas entacher le travail du gouvernement. En tout cas, de cette affaire de vote on peut déduire que Berry non plus n’est pas sur la même longueur d’onde que Hariri. Mais le président de la Chambre n’en fait pas une affaire d’État. Comme d’autres, il est partisan de la détente recommandée par les décideurs.
Philippe ABI-AKL
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