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Vie politique - Après la version des proches de Tabbarah, les sources du ministère des Télécommunications parlent Entre les « demi-vérités » et la « calomnie », le Conseil des ministres a frôlé la catastrophe

La dernière séance du Conseil des ministres n’a pas fini de faire couler de l’encre. Il est vrai qu’en sept heures et demie de débats, beaucoup de choses ont été dites. Et il apparaît de plus en plus que les échanges n’étaient pas aussi détendus que l’on a d’abord voulu le faire croire. C’est donc un véritable bras de fer qui se serait déroulé entre le ministre de la Justice, M. Bahige Tabbarah, et celui des Télécommunications, M. Jean-Louis Cardahi. Bras de fer qui aurait poussé ce dernier à présenter une véritable plaidoirie sur le dossier des cellulaires, réussissant à retourner en sa faveur l’opinion de la grande majorité des ministres. Preuve en est, la décision finale du Conseil qui a avalisé le contrat pour le contrôle des recettes des sociétés de téléphonie mobile, qui dormait dans les tiroirs du secrétariat du Conseil depuis près de 5 mois.

Il était près de 22 h, ce fameux mardi soir, lorsque le Conseil des ministres a commencé à aborder le dossier des cellulaires, vingtième point de l’ordre du jour. Réunis depuis 17h, les ministres étaient déjà un peu fatigués. C’est pourquoi le ministre Cardahi s’est d’abord contenté d’un rapide exposé de dix minutes, calme et clair.
Selon des sources qui lui sont proches, M. Cardahi a commencé par préciser que le contrat pour le contrôle des recettes (monitoring) soumis au Conseil est le résultat d’un appel d’offres, conformément à une décision du Conseil des ministres, datant de plusieurs mois. Et il attend depuis d’être approuvé. M. Cardahi a aussi expliqué que l’achat des équipements nécessaires au contrôle, d’un montant de 4 millions de dollars, a été effectué par les sociétés qui ont été autorisées à le faire, à travers le contrat de gestion du réseau, qui est passé trois fois en Conseil des ministres, le 8 août 2002, le 14 août 2002 et le 21 janvier 2003. Même chose pour le matériel de maintenance, l’achat ayant été payé en conformité avec le contrat de gestion. Le ministre a rappelé que la Cour des comptes a refusé le contrat, affirmant que même s’il y a eu une décision du Conseil des ministres, la Cour aurait due être consultée au préalable. Le ministre a demandé de passer outre l’avis de la Cour des comptes, qui ne porte que sur une question juridique de forme. Et le matériel a déjà été acheté.

« Tir nourri » de Tabbarah
M. Cardahi a ensuite évoqué l’ouverture de la souscription au public dans les sociétés de téléphonie mobile, rappelant que le Conseil d’État a donné un avis opposé à cette formule, estimant qu’il faudrait une loi spéciale pour autoriser une telle procédure. Le ministre a ajouté qu’il était, lui aussi, hostile à cette formule, car elle interviendrait alors qu’une autre orientation a été choisie. Elle serait donc incompatible avec le processus en cours.
Le ministre de la Justice aurait alors pris la parole et s’en serait directement pris à son collègue des Télécommunications. La loi autorisant le contrôle des recettes a été votée il y a un an et ce n’est que maintenant que le ministre des Télécommunications se décide à agir, aurait-il fait valoir. « Il y a eu entre nous, aurait dit M. Tabbarah, un échange d’accusations dans la presse et je refuse ce qui a été dit contre moi car s’il y a quelqu’un qui souhaite la surveillance, c’est bien moi ». Le ministre de la Justice aurait poursuivi sur sa lancée, accusant M. Cardahi d’avoir contrevenu à une décision du Conseil des ministres en achetant les équipements, contrairement aux règles de la comptabilité générale et contrairement à l’avis du Conseil des ministres. De plus, selon lui, les équipements achetés disposent d’un système d’écoute puisqu’il est question de stocker des informations et qu’il y a huit points de connection avec le NCC (Network Control Center) de Ras el-Nabeh, au cinquième étage duquel un véritable dispositif d’écoute serait installé. M. Tabbarah aurait aussi déclaré que le ministre Cardahi se comporte avec l’argent public comme s’il était privé. Il a ainsi parlé de la société Amacon (qui appartient presque en totalité à M. Costa Doumani), qui aurait obtenu la sous-traitance du contrat de surveillance conclu avec Ericsson. Or, toujours selon M. Tabbarah, le Conseil des ministres a approuvé un contrat avec des compagnies internationales, non avec de petites sociétés locales. Enfin, il faut tenir compte de l’avis de la Cour des comptes, alors que celui du Conseil d’État est consultatif.
M. Tabbarah a parlé pendant près d’une demi-heure et, selon les sources proches du ministre Cardahi, le but de son intervention était de le décrédibiliser. M. Cardahi prend alors la parole et se lance dans une véritable plaidoirie. Il commence par répondre à M. Tabbarah qui affirme ne pas vouloir travailler sous pression, en se référant aux campagnes dans la presse. « Je voudrais savoir qui est soumis à des pressions, M. Tabbarah ou moi-même qui ai reçu de lui, une lettre datant du 24 mars 2003, dans laquelle il me menace de poursuites pénales, m’accusant de causer de grosses pertes aux fonds publics et de négligence dans mon travail. M. Tabbarah a visiblement oublié qu’il avait lui-même trouvé, pour défendre M. Siniora, l’argument selon lequel les ministres non députés ne peuvent être poursuivis devant la justice dans l’exercice de leurs fonctions. »

Volonté de décrédibiliser
Selon les mêmes sources, M. Cardahi serait ensuite entré dans le vif du sujet, précisant que de leur propre aveu, les sociétés de téléphonie mobile ont des rentrées de l’ordre de 62 à 63 millions de dollars par mois, alors qu’en achetant des équipements pour 4 millions de dollars, il est accusé de causer des pertes aux fonds publics. Les sociétés, dans leurs propres registres, font état de bénéfices se chiffrant à 5 et 6 millions de dollars par mois. Nul n’en tient compte, mais le contrat que M. Cardahi a soumis à ses collègues est passé à trois reprises devant le Conseil des ministres.
Dans sa plaidoirie, M. Cardahi rappelle que le 1er avril 2003, il avait adressé un courrier à M. Tabbarah, dans lequel il lui expliquait que la société Amacon n’avait rien à voir avec le contrat avec Ericsson. Elle a simplement aidé la compagnie suédoise à monter une équipe locale, mais il n’y a aucun contrat entre les deux. Ericsson a envoyé au Liban six cadres supérieurs qui lui coûtent 250 000 dollars, alors que Amacon, elle, a trouvé une vingtaine d’ingénieurs capables et osant travailler dans ce secteur, malgré les pressions exercées par les sociétés de téléphonie mobile. Amacon est un chasseur de têtes et elle a réussi à monter une équipe de vingt personnes, dont certaines travaillaient chez FTML et LibanCell et savent donc comment se font les infractions. Sans oublier le fait que les 20 ingénieurs locaux coûtent 90 000 dollars. De toute façon, la société Ericsson peut embaucher qui elle veut. Mais, selon le ministre des Télécommunications, il y avait de la part de M. Tabbarah une volonté systématique de le calomnier. D’autant qu’Amacon n’a absolument rien à voir avec le contrat conclu avec Ericsson.
Au sujet des fonds publics et privés, M. Cardahi aurait précisé qu’il avait toujours considéré les fonds en provenance des téléphones cellulaires comme de l’argent public. Il aurait d’ailleurs affirmé qu’aucune piastre n’a été dépensée dans ce domaine, en dehors du contrat de gestion approuvé par le Conseil des ministres.
M. Cardahi aurait aussi répondu à la question des écoutes, mettant au défi quiconque d’aller inspecter le Network Control Center de Ras el-Nabeh. Il s’agit d’un centre technique chargé de repérer et de réparer rapidement la moindre panne dans les autres centraux. À la demande du ministre Tabbarah, une équipe d’inspection est déjà venue sur place et elle n’a rien trouvé. « Je ne suis pas un ministre de la sécurité ou des SR, aurait déclaré M. Cardahi. Mon rôle est de contrôler les recettes de ce domaine. »
Selon le ministre des Télécommunications, tout ce qui a été dit par son collègue est éloigné de la vérité, dans le but de saboter l’opération de contrôle. D’ailleurs, le contrat pour le contrôle dort dans les tiroirs du secrétariat du Conseil des ministres depuis janvier. Il n’a été établi qu’après le quasi-échec de l’audit de la KPMG. Durant sept mois, cette firme a essayé de vérifier les comptes des sociétés de téléphonie mobile, sans y parvenir, trouvant des trous de plusieurs millions de dollars. Elle a finalement établi son rapport en le terminant par un « Disclaimer of Opinion ». Autrement dit, elle a refusé de donner son avis. M. Cardahi s’est alors tourné vers M. Siniora qui avait travaillé dans le domaine de l’audit : « Vous savez bien ce que cela signifie : les sociétés en question n’ont aucune transparence. Après cela, j’ai donc opté pour un contrôle mécanique des recettes qui fonctionnerait en permanence, au lieu de contrôles ponctuels. »

Nouvelle atmosphère
au Conseil des ministres
Concernant les équipements achetés pour la somme de 4 millions de dollars, M. Cardahi aurait déclaré qu’on ne peut pas fermer les yeux sur les gains des sociétés et chicaner pour l’achat d’un matériel de contrôle... M. Cardahi serait aussi revenu sur l’idée de l’ouverture de la souscription au public, précisant qu’il avait fait une telle proposition il y a un an et demi au Premier ministre, mais ce dernier l’aurait rejetée. Selon lui, depuis, le Liban se serait placé dans une tout autre orientation. Sans oublier le fait qu’aucun mécanisme n’est prévu pour protéger le petit actionnaire. « J’ai moi-même hérité de quelques actions au centre-ville. Aujourd’hui, elles valent 10 % de leur valeur... Il ne faut pas lancer des slogans pour induire les gens en erreur. »
En conclusion, M. Cardahi aurait affirmé que son collègue de la Justice a donné une image déformée de la situation, mais il n’aurait pas protesté, comme cela a été dit, de son innocence, n’attendant pas un certificat de bonne conduite de qui que ce soit. Il aurait ainsi parlé pendant trois quarts d’heure et lorsqu’il s’est tu, l’atmosphère avait totalement changé au Conseil des ministres. Sentant le vent tourner, le président du Conseil aurait proposé une transaction pour clore le débat et M. Cardahi aurait refusé net. Selon lui, soit le contrat est validé, soit il faut tout déférer devant la Cour des comptes et reprendre l’histoire dès le début. Finalement, le Conseil des ministres a choisi de valider le contrat. Et, selon les sources proches de M. Cardahi, MM. Tabbarah et Siniora lui auraient présenté des excuses pour les accusations lancées contre lui.
Le lendemain, le ministre des Télécommunications aurait reçu plus de sept coups de fil de félicitations de ses collègues ministres. Aujourd’hui, il serait choqué de voir comment une partie de la vérité est révélée et l’autre soigneusement tue. Selon ses proches, il est en tout cas prêt à assumer ses responsabilités jusqu’au bout et il s’attend, hélas, à d’autres campagnes de dénigrement. La bataille du cellulaire n’est pas encore finie, mais elle laisse beaucoup de blessés sur son chemin...
Scarlett HADDAD
La dernière séance du Conseil des ministres n’a pas fini de faire couler de l’encre. Il est vrai qu’en sept heures et demie de débats, beaucoup de choses ont été dites. Et il apparaît de plus en plus que les échanges n’étaient pas aussi détendus que l’on a d’abord voulu le faire croire. C’est donc un véritable bras de fer qui se serait déroulé entre le...