Rechercher
Rechercher

Actualités

Justice - De retour à son poste après cinq ans d’interruption, le ministre constate le manque de confiance des citoyens Tabbarah : Il ne faut plus que les dossiers à moitié ouverts soient utilisés comme une arme(photo)

Dans le bureau du ministre de la Justice qu’il réoccupe après près de cinq ans d’interruption, M. Bahige Tabbarah semble à sa place. Même si, depuis sa première désignation à ce portefeuille, en 1992, et son retour en 2003, beaucoup de choses ont changé. Pendant toutes ces années, le corps judiciaire a certes amélioré ses conditions de travail et les palais de justice sont désormais dignes du droit qu’ils sont censés abriter, mais les Libanais n’ont plus vraiment confiance dans leurs juges. Conscient de ce malaise, M. Tabbarah a quelques idées pour essayer de le combattre, mais il se défend, avec sa courtoisie habituelle, de la moindre velléité de revanche. Pour lui, la justice est l’un des fondements de l’État de droit et c’est pour cela qu’il faut préserver son indépendance. Ses propos ressemblent étrangement, à certains moments, à ceux de certains membres de l’opposition.
« Quels que soient les conflits politiques, il faut mettre de côté la justice. » Cette phrase-là, le ministre de la Justice ne dit pas s’il la croit réaliste, mais il affirme souhaiter fermement la mettre en application. Dans la situation politique troublée, il veut garder ses distances, tout en sachant qu’au moment crucial, il devra donner son opinion, surtout sur les dossiers à volet juridique. Mais sa priorité reste le travail de son ministère et il sait que dans ce domaine, il y a beaucoup à faire. À peine nommé, il a voulu combler les postes vacants en raison notamment du passage à la retraite des magistrats. Pour donner un exemple, l’Inspection judiciaire, un département de la plus haute importance pour le contrôle du travail des magistrats, ne comporte plus qu’un président. Les autres sont passés à la retraite et n’ont pas été remplacés, alors que selon les statuts, ils devraient être neuf. Même chose au Conseil d’État où il a proposé trois nouveaux commissaires du gouvernement. M. Tabbarah reconnaît qu’en ce qui concerne son ministère, cela va plutôt vite pour l’instant. Et il n’a pas attendu le consensus général sur un lot de nominations. Quant aux vastes permutations judiciaires, il n’en est pas question à la veille des vacances.

Des jugements équitables
et une justice rapide
M. Tabbarah reconnaît que les problèmes d’aujourd’hui sont totalement différents de ceux de 1992. « À l’époque, le pays sortait de la guerre, la justice était restée unie, mais elle était épuisée. Il n’y avait plus que 250 magistrats, les palais étaient délabrés. Il fallait stopper le processus de démission des magistrats et améliorer leurs conditions de travail. Aujourd’hui, c’est différent. L’infrastructure existe, même si elle a besoin d’une attention constante. Mais le plus grave, c’est le manque de confiance des citoyens dans la justice. Je pense que ma mission principale est de tenter de rétablir cette confiance. »
Pour le ministre, ce que les citoyens attendent de la justice, c’est tout d’abord des jugements équitables et surtout que tout le monde soit traité de la même façon. « Il faut donc arrêter l’arbitraire dans l’application de la loi, pour éviter tout sentiment d’injustice ou de frustration chez les citoyens. Les citoyens attendent aussi une justice rapide, car plus elle est lente et plus ils seront tentés de se faire justice eux-mêmes. Mais, surtout, il n’est plus permis que des dossiers restent en suspens. »
M. Tabbarah insiste sur cette idée : « Mon ambition est que la justice cesse d’être un moyen pour résoudre ou alimenter des conflits politiques. » Pour cela, il faut que tous les dossiers soient tranchés et que tout le monde bénéficie du même traitement.
M. Tabbarah s’en prend ici à une idée reçue qui veut que la lenteur de la justice soit due au manque de magistrats. « Nous avons aujourd’hui 400 juges, soit un pour 10 000 habitants, soit la même proportion qu’en France, mais nous avons, en plus, des tribunaux militaires et des tribunaux religieux qui soulagent la justice de nombreux cas. »

Des idées pour combler
les lacunes dans les Cours
de cassation
Selon lui, il faudrait donc procéder à une meilleure distribution du travail et pour les litiges sur les loyers, former des commissions pour accélérer le processus et éventuellement aboutir à un règlement à l’amiable.
Le gros problème reste celui de la Cour de cassation, chambre civile, qui a 3 900 dossiers sur les bras. Selon certaines statistiques, en 2005, elle aura 5 000 affaires en attente. Comme être nommé à la Cour de cassation est pratiquement un couronnement de carrière pour un magistrat, on ne peut pas promouvoir brutalement les jeunes juges. S’inspirant de l’expérience française, M. Tabbarah songe à instaurer un premier filtrage. En France, grâce à une loi en ce sens, un tiers des pourvois a pu être rejeté. Mais son idée est plutôt de faire appel, par le biais de contrats, à des juges à la retraite, des avocats en fin de carrière ou des professeurs d’université. Ce moyen a d’ailleurs été utilisé en France pour une durée de 5 ans. Ces juges contractuels seraient chargés des dossiers en suspens, afin de dégager la Cour de cassation.
En accélérant la justice et en traitant tous les dossiers en suspens, M. Tabbarah espère reconquérir la confiance des citoyens. Mais il sait que celle-ci est assez fluctuante. En Belgique par exemple, après le scandale de la pédophilie, un sondage avait montré que 80 % des Belges ne croyaient plus en leur justice. Mais la situation a changé aujourd’hui.

Responsable de la politique judiciaire, non des jugements
M. Tabbarah ne désespère pas de renverser donc la situation au Liban, même s’il est conscient des limites de son pouvoir. « Je suis responsable de la politique judiciaire, non des jugements émis par les tribunaux. Je ne peux pas demander à une cour ce qu’est devenue telle ou telle autre affaire. Mais je peux convoquer l’Inspection judiciaire et l’alerter sur un dossier qui traîne et qui provoque des plaintes. L’Inspection mènera son enquête et établira un rapport dont il sera ensuite tenu compte dans les permutations judiciaires. Certaines permutations peuvent ainsi avoir le caractère d’une sanction. »
M. Tabbarah s’étend ensuite sur l’État de droit qui repose, selon lui, sur deux fondements : une justice équitable, indépendante, honnête et rapide, chargée d’appliquer les lois, et un Parlement réellement représentatif, élu conformément à une loi équitable, dans le respect du principe de la séparation des pouvoirs.
Son ministère compte-t-il, dans ce cas, préparer un projet de loi électorale ? « En principe, déclare M. Tabbarah, mon ministère est concerné par toutes les lois. Mon rêve serait de faire en sorte que tous les projets de loi passent par nous, mais techniquement, la loi électorale reste du ressort du ministère de l’Intérieur. De plus, nous avons pris l’habitude malheureusement de ne préparer cette loi qu’à la dernière minute. »
Comment pense-t-il établir une justice indépendante dans un pays où l’État tout entier ne l’est pas ? « Ce n’est pas tant cet aspect qui m’inquiète que le fait que dans un petit pays, tout le monde se connaisse et se laisse donc influencer par des questions de parenté, de voisinage, etc. C’est cette sorte de familiarité ou de liens de proximité qui peut empêcher une application équitable de la loi. » M. Tabbarah ne désespère pas de parvenir à rétablir un certain respect des normes, mais il souhaite surtout commencer par régler le problème des dossiers à moitié ouverts, qui peuvent être utilisés comme une arme entre les mains des politiciens, qu’il s’agisse du cas du général Michel Aoun ou d’autres.
De même, M. Tabbarah souhaite que la loi soit respectée dans le cas du Conseil constitutionnel, dont une partie des membres devrait être remplacée. « Je suis contre une prorogation des mandats des membres. On peut souhaiter que ce mandat soit de neuf ans au lieu des six actuels. Mais il ne faut pas que ce soit l’occasion de bazars politiques et que le membre dont le mandat s’achève soit contraint de supplier les députés ou le gouvernement (qui nomment par moitié les dix membres du Conseil) pour qu’ils le maintiennent à son poste. » Aura-t-il gain de cause ? M. Tabbarah ne peut répondre à cette question, mais il sait qu’il exprimera son opinion dans le cadre du gouvernement. Sur ce dossier et sur d’autres, comme celui des téléphones cellulaires. « Il faut qu’on accepte les opinions des uns et des autres. Et moi, je n’ai jamais voulu gêner un ministre en particulier. Mon seul souci est, et a toujours été, de chercher à rectifier le tir... »
Scarlett HADDAD
Dans le bureau du ministre de la Justice qu’il réoccupe après près de cinq ans d’interruption, M. Bahige Tabbarah semble à sa place. Même si, depuis sa première désignation à ce portefeuille, en 1992, et son retour en 2003, beaucoup de choses ont changé. Pendant toutes ces années, le corps judiciaire a certes amélioré ses conditions de travail et les palais de justice...