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Patrimoine - Terre inconnue... l’espace arborescent de la capitale Exubérants, indisciplinés et robustes, les arbres de Beyrouth ressemblent à ses habitants(PHOTOS)

On les appelle les arbres du ciel, en latin ailanthus altissima, et les Beyrouthins les désignent à tort par Zinzlakht. Ce sont des arbres qui grandissent vite, qui poussent dans tous les sens et qui peuvent atteindre plus de trente mètres de hauteur pour toucher le ciel bleu. Vous ne les reconnaissez pas ? Ce sont ces arbres vert clair, indisciplinés, anarchiques et robustes, qui portent de minuscules fleurs presque invisibles, qui se transforment plus tard en cosse pour semer leur grain, au gré des vents, à chaque coin de rue, sur chaque terrain vague de la capitale et d’ailleurs.

Vous ne les reconnaissez toujours pas ? Les Beyrouthins racontent que leur odeur chasse les moustiques et que leurs feuilles peuvent faire office d’insecticide. Ce sont ces arbres qui ont principalement recouvert le centre-ville durant la guerre, qui déploient toujours leurs branches entre les vieilles maisons d’Achrafieh et de Gemmayzé et qui poussent, poussent et poussent dans les terrains vagues.
Ils peuplent tellement Beyrouth, que l’on peut les prendre pour des arbres indigènes. Erreur, les premières pousses sont arrivées, il y a bien longtemps, du Japon, pour s’acclimater à la terre rocheuse ou sablonneuse de Beyrouth (dépendant des secteurs de la capitale), et qui par des « échappées de cultures » ont réussi à être « naturalisées » libanaises.
Il y a longtemps, la terre de Beyrouth était propice aux arbres et à l’agriculture. On cultivait les laitues à Hamra, et on vendait dans toute la ville des figues de Barbarie, cueillies et épluchées sur place. Aujourd’hui, il n’y a plus qu’un seul marchand ambulant à Achrafieh à vendre ces fruits pelés de leurs piquants et cueillis dans certains lopins de terres préservés de la capitale.
Il semble qu’au début du siècle dernier, beaucoup de personnes refusaient de vivre à Hamra ou à Sioufi, considérant que ces zones n’étaient que le domaine des chacals et des figuiers de Barbarie. Et, l’on est loin aujourd’hui de ces histoires de voyageurs français du XVIe siècle, qui venaient – avant Fakhreddine qui a planté des pins parasols à Beyrouth – chasser les lapins dans la forêt de la capitale, ou encore de l’époque qui a précédé la Première Guerre mondiale et où l’on extrayait, dans une usine de Aïn el-Remmaneh, l’essence des fleurs d’acacias (farnesiana), cueillies à Beyrouth pour fabriquer du parfum.
Certes, les changements climatiques, l’urbanisation, la pollution et certaines décisions politiques ont appauvri l’espace arborescent de Beyrouth. C’est une vague de froid intense assortie d’une décision d’Ibrahim Pacha, qui voulait développer les minerais de fer dans la région, qui a eu raison, un peu avant la fin du XIXe siècle, des ficus sycomores, connus en arabe sous le nom de « Gemmayz » et qui ont donné leur nom à la rue Gemmayzé. Appartenant à la famille des figuiers, ils portaient de petits fruits de couleur orange, comestibles après traitement.
Un conseil : n’allez pas à Gemmayzé pour essayer de prendre la photo de l’arbre. Il n’existe plus. Dans tout le Liban, moins de dix arbres perdurent. Trois se trouvent dans la réserve de Tyr, un autre dont le tronc est frappé d’un fer à cheval, qui avait appartenu à un émir chéhabiste (selon la légende), survit solitairement dans la cour de l’école de Mar Élias Btina à Beyrouth, et certains racontent que quelques arbres vivotent toujours à Khaldé. Quelques autres plantes endémiques de la capitale libanaise ont également disparu ou sont en voie d’extinction.
Même s’il s’est transformé au fil des ans, l’espace arborescent de Beyrouth n’a pas disparu. Il est toujours présent avec ses jacarandas dont chaque branche se recouvre, en juin et en septembre, de fleurs violettes gaies et belles mais fort néfastes pour la peinture des carrosseries des voitures, ses bougainvilliers aux fleurs rouges et blanches, ses albisias, qui ressemblent aux jacarandas mais dont les fleurs rouges sont soyeuses comme celles des mimosas, ses Melia azedarach ou lilas de Perse – les véritables Zinzlacht – importés d’Iran et qui poussent même sur les rochers côtiers de la capitale.
Ces arbres et d’autres encore, qui ont été importés au Liban, notamment au début du siècle dernier, ont réussi à s’acclimater et devenir comme les plantes indigènes. Ils poussent facilement, sans l’aide des hommes, dans le sol fertile de Beyrouth, rocheux à Achrafieh, sablonneux à Bir Hassan, rouge et argileux à Hamra, à Ras Beyrouth et au centre-ville.
Les flamboyants, importés sous le mandat français de Madagascar, n’ont pas eu cette chance. Quelques-uns, plantés non loin du macadam beyrouthin, restent chétifs et ressemblent à des enfants sous-alimentés, en comparaison avec leurs frères aînés d’Afrique, qui sont (dans leur terre d’origine) d’immenses arbres aux magnifiques fleurs rouges.
Mais qui sont les véritables arbres indigènes de Beyrouth ? Pas les néfliers qui recouvraient la ville à la première moitié du siècle dernier, ni les figuiers domestiques ou sauvages (qui peuplent les terrains vagues de Beyrouth actuellement), ni les dattiers importés d’Irak, ni les mûriers utilisés au XIXe et au XXe siècles dans la sériciculture, quand Beyrouth commerçait avec Lyon, ni les magnolias et les poivriers qui ornent jusqu’à présent certains jardins des anciennes maisons de la capitale, ni les grenadiers ou les agrumes qui poussaient le long de la côte ou d’autres arbres fruitiers encore...
Jusqu’à présent, dans la terre fertile de la capitale poussent des arbres indigènes, natifs purs de la capitale libanaise : le ricin, l’arbousier, le caroubier, le jujubier et le micocoulier. Et les rives du fleuve de Beyrouth demeurent le domaine de quelques aulnes et platanes.
Les Beyrouthins âgés se souviennent des terrains vagues où poussaient côte à côte des fleurs multicolores, des moutons d’or – jaunes évidemment –, des anémones rouges et des giroflées de Beyrouth, couleur bleue, plante endémique à la capitale libanaise, actuellement en voie de disparition.
Ils se rappellent des rosiers et des jasmins plantés devant l’entrée de chaque maison. Et il semble que c’est à partir de 1948, avec la fermeture du port de Haïfa, que l’urbanisation a commencé à porter véritablement préjudice à la végétation de Beyrouth. Mais qu’importe ? Certains îlots de verdure, notamment à Sioufi, dans le secteur des Arts et métiers et à la rue Sursock, ont été préservés.
La guerre du Liban, elle, a démontré que le sol de la ville ressemble à l’esprit de ses habitants, exubérant, indiscipliné, anarchique, presque fou... Il suffit de se promener dans certaines zones non encore aménagées de Wadi Abou Jmil, de regarder de près quelques terrains vagues de Gemmayzé, du port de Beyrouth, du secteur de l’Université Saint-Joseph, de Sodeco et de la rue de Damas.
Ici, le sumac pousse dans les lézardes des murs. Les grands et petits roseaux délimitent – comme s’ils marquaient les rives d’un fleuve – ce qui était des murs d’enceinte, avant les événements du Liban. Et les figuiers sauvages, les ficus élastica (connus communément sous le nom de l’arbre à caoutchouc) et d’autres arbres, arbrisseaux et plantes s’enchevêtrent.
Seuls, les arbres du ciel, les ailanthus altissima, encadrent et dépassent toute cette végétation. Ils étalent anarchiquement leurs branches dans tous les sens, poussent leurs – nombreux – faîtes pour cacher les toits des immeubles voisins. Robustes, exubérants, insolites, ils aspirent terriblement à toucher le ciel. Atteints probablement de la folie des grandeurs, ils s’exhibent impudemment, cachent la vue à tout le monde et exagèrent parfois ! Mais, peut-on leur en vouloir ? Ils ont vécu la guerre, ils ont été les seuls à faire face aux miliciens de tous bords, et puis... c’est vraiment difficile de porter un tel nom.
Patricia KHODER

Nous remercions le Dr Georges Tohmé, botaniste et président du CNRS, M. Houssam Hasbini, ingénieur agronome et directeur du projet de paysagisme à Solidere, et M. Wadih Haddad, agriculteur et journaliste à L’Orient-Le Jour, pour leurs précieuses informations.

À Solidere, 35 000 plants produits par mois, et plus
de 5 000 arbres dans les rues et les jardins publics

Trente-cinq mille plants produits par mois, cinq mille arbres plantés, quatre mille mètres carrés de pelouse, cent cinquante bacs à fleurs dans les rues piétonnes, une trentaine de squares et de jardins déjà achevés et cinquante pour cent du terrain consacré aux espaces verts et publics. Tels sont les chiffres dispensés par Solidere sur les espaces verts au centre-ville.
Dès 1996, la société foncière a créé une section spéciale chargée de l’aménagement de ces espaces de la capitale. Quatre-vingt-dix personnes y travaillent au quotidien pour fleurir les squares, reboiser les allées des rues et des avenues, arroser et élaguer les plantes et les arbres... Une pépinière, située non loin de Starco, a même été créée pour cette affaire. Bref, rien n’a été laissé au hasard pour embellir Beyrouth.
Avec un brin de fierté dans la voix, Diab Ayoub, directeur général adjoint des opérations, indique que « Solidere a misé sur le meilleur, le haut de gamme, pour l’aménagement des espaces verts ». « Pour les plantes fleuries, la société a signé un contrat avec une importante entreprise britannique spécialisée. Les arbres sont importés d’Italie, d’Espagne, et des États-Unis », indique-t-il.
Pour les plantes fleuries, chaque saison, la section du paysagisme choisit des fleurs hybrides et robustes qui seront plantées dans les squares et les jardins publics. Ce sont les nouveautés qui sont sélectionnées. Elles arrivent en graines à la pépinière de Solidere, où elles passent un mois et demi dans de petits pots de tourbe. Elles sont bien nourries et arrosées avant d’être replantées au centre-ville, où elles y passeront un minimum d’un mois et demi. Tous les mois, la pépinière produit 35 000 plants.
Pour l’été 2003, ce sont les zinnia, des plantes aux fleurs oranges, jaune orangé, rouges, et blanches qui égaieront les squares et les espaces verts de Beyrouth. Elles remplaceront les pensées jaunes et mauves – en tout 150 000 petites et robustes pensées – qui avaient passé l’hiver à embellir les parterres de la capitale.
Certes, d’autres plantes enjolivent les jardins publics et les squares de la ville. L’hiver dernier, ce sont des roses rouges, les sévillanes, qui ont été importées d’Europe pour élire domicile à Beyrouth, notamment sur la colline du Sérail et dans de grands bacs installés dans les rues piétonnes.
Dernièrement, plus de 150 grands bacs placés sur des socles en fer forgé ont fait leur apparition dans la capitale. Dans certains poussent des arbres fruitiers, notamment des citronniers et des mandariniers.
Solidere n’a pas négligé les terrains vagues. Une machine importée des États-Unis sème des graines de fleurs sauvages, surtout des coquelicots et des marguerites de toutes les couleurs, dans la terre rouge et argileuse de la capitale. Dans certaines zones irriguées, non loin de Wadi Abou Jmil, ces espaces prennent les allures de prés multicolores en pleine campagne.
Reste les arbres de la capitale, qui n’ont pas été choisis au hasard. Plus de 5 000 ont été plantés, dont environ 2 000 dans les jardins publics. Les autres sont des arbres de rue qui fleurissent selon les saisons. « À certains endroits, le cachet beyrouthin, avec ses arbres indigènes et traditionnels, a été préservé. Dans d’autres, des arbres inconnus au Liban, voire dans le bassin méditerranéen, ont été importés », relève Houssam Hasbini, directeur du projet de paysagisme à Solidere.
Certes, la plupart des arbres plantés au centre-ville nécessitent peu de soin et demandent un important ensoleillement. En tout, 180 espèces, dont les trois quarts à feuilles caduques, ont fait leur apparition à Beyrouth.
Parmi les arbres indigènes et traditionnels, citons les lauriers à proximité du Parlement, diverses espèces de ficus, les jacarandas qui donnent des fleurs mauves en juin et en septembre, les eucalyptus, les chênes, les oliviers, les dattiers, les palmiers, les pins parasols, les magnolias et leurs élégantes fleurs blanches, les acacias et leurs chétives boules jaunes, les mûriers, les figuiers à la rue Georges Haddad, les poivriers...
Un nombre non négligeable d’arbres non indigènes ont aussi été sélectionnés par les paysagistes de Solidere. La plupart fleurissent selon les mois de l’année. Certains n’existent nulle part ailleurs au Liban ou dans toute la région, notamment le chitalpa, une nouvelle espèce d’arbre aux fleurs blanc rosé, et le corezia d’Afrique, au tronc vide et épineux. Avant d’être planté au centre-ville, cet arbre subit une transformation dans la pépinière de Solidere, où il est libéré de ses épines. « Il n’en a pas besoin au Liban. En Afrique, ses épines le protègent des rhinocéros, des éléphants et d’autres animaux de la brousse », indique M. Hasbini. Le prix des arbres plantés dans la zone Solidere varie entre 250 et 6 000 dollars pièce.
Le directeur du projet de paysagisme à Solidere relève aussi que quelques arbres, qui existaient à Beyrouth, ont de plus en plus de mal à survivre dans la capitale, notamment certains genres de palmiers, importés d’Arabie saoudite, qui jaunissent dès qu’ils sont replantés le long des rues et dans les jardins publics et les cyprès.
D’ailleurs, un certain nombre de palmiers seront prochainement remplacés. Et pour pourvoir au manque de cyprès, deux oliviers ont été taillés pour prendre la forme du conifère et plantés dans un jardin public du centre-ville, non loin de la mosquée al-Omari.
Hasbini parle aussi des arbres préservés et sauvés après la guerre. Deux orangers amers qui ont poussé non loin de Bab Idriss, une quinzaine de palmiers et une trentaine de ficus. D’ailleurs, c’est avec beaucoup de joie qu’il montre un ficus, âgé de 120 ans, planté récemment dans un square non loin du Grand Théâtre. Cet arbre, qui avait poussé initialement à la place des Martyrs, était le seul à être épargné, dans cette zone, par la guerre. Il a séjourné durant trois ans à la pépinière de Solidere afin de reprendre force et d’être replanté dans un autre endroit de la capitale.
Hasbini évoque enfin les difficultés auxquelles il fait face presque tous les jours dans ce beau centre-ville aux fleurs multicolores et aux arbres fruitiers, notamment les actes de vandalisme. « Certains s’appliquent à cueillir les dattes, graver leur nom sur les troncs des arbres, piétiner les fleurs et les plantes dans les jardins publics et les allées des rues, arracher les plants de fleurs ou encore concevoir des bouquets multicolores », dit-il, ajoutant qu’il faut aussi mentionner les arbres victimes des chauffards. S’ils ne tombent pas sur-le-champ, ils jaunissent et meurent sur place et il faut systématiquement les remplacer.
Le chef de projet a pris quelques mesures qui sont restées plus ou moins inefficaces : planter des écriteaux où il a inscrit qu’il est interdit de cueillir les fleurs, importer des arbres normalement fruitiers, mais qui ont été transformés pour ne pas porter de fruits, c’est le cas des mûriers du centre-ville, et pourvoir certains espaces de plantes à épines pour protéger les parterres de fleurs...
Solidere pense réintroduire prochainement au centre-ville les oiseaux qui habitaient Beyrouth avant la guerre : les moineaux, les pigeons et les cailles. Il semble que ses dernières ont élu domicile, depuis un certain temps, dans le port de la ville. Parviendra-t-on à les protéger des chasseurs ?
Pat. K.
On les appelle les arbres du ciel, en latin ailanthus altissima, et les Beyrouthins les désignent à tort par Zinzlakht. Ce sont des arbres qui grandissent vite, qui poussent dans tous les sens et qui peuvent atteindre plus de trente mètres de hauteur pour toucher le ciel bleu. Vous ne les reconnaissez pas ? Ce sont ces arbres vert clair, indisciplinés, anarchiques et robustes, qui...