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Conférence internationale sur la démocratie et la paix Boutros-Ghali dénonce l’exportation par la force de la démocratie(photos)

La démocratie peut-elle prévenir les conflits et permet-elle de sortir de la guerre ? C’est autour de cette réflexion que s’est organisée hier la conférence internationale sur la paix et la démocratie, la première d’une série de conférences prévues dans le cadre du travail du Panel international sur la démocratie et le développement, présidé par l’ancien secrétaire général de l’Onu, Boutros Boutros-Ghali. Créé en 1998, le panel a pour mission d’émettre des avis sur la construction de la démocratie et l’instauration d’une culture de paix dans un monde multiculturel. Organisée conjointement avec le Centre international des sciences de l’homme de Byblos et le secteur des sciences sociales de l’Unesco, cette conférence, à laquelle ont pris part d’éminents intellectuels, avait pour objectif de promouvoir un dialogue entre les différents acteurs, tant au niveau gouvernemental qu’au niveau de la société civile en général.

Au centre des discussions, la relation qui existe entre démocratie, développement et paix ainsi que l’équation entre les démocraties nationales et la démocratie à l’échelle mondiale, notamment au regard d’une mondialisation galopante qui a contribué à modifier, voire même à défigurer le sens de la démocratie universelle.
C’est Boutros Boutros-Ghali qui répondra en premier à quelques-unes des ces interrogations en dressant un tableau exhaustif des différentes démocraties dans le monde au regard de leur interaction avec la paix. L’intervenant relève deux facteurs observés sur la scène internationale : à savoir la multiplication des conflits intra-étatiques, et l’action internationale croissante déployée en faveur de la démocratisation à l’intérieur des États.
« À la netteté de la menace constituée par un État adversaire s’est substituée, depuis la fin de la guerre froide, une notion de risque, plus floue, plus incertaine, plus imprévisible, émanant d’acteurs non étatiques : bandes armées, rebelles, terroristes. Dans le même temps, s’est instauré un mouvement de démocratisation sans précédent », a affirmé M. Boutros-Ghali, qui a souligné l’existence, en 2003, de plus de 120 démocraties dans le monde.

États et armées démocratiques
Une première série d’arguments en faveur de ce mouvement de démocratisation, est celle qui soutient que la bonne gouvernance, le développement économique, culturel et social ainsi que la justice sont corollaires de la démocratie. Un autre argument consiste à dire que l’instauration de régimes démocratiques « conduirait à l’avènement d’un monde plus pacifique, dans la mesure où les démocraties ne se font pas la guerre entre elles », dit l’intervenant, en citant au passage l’ouvrage d’Emanuelle Kant, Le projet de paix perpétuelle. Toutefois, a indiqué M. Boutros-Ghali dans une allusion claire aussi aux empires coloniaux et aux États-Unis, « si les démocraties ne font pas la guerre entre elles, en revanche, elles ne se montrent pas toujours pacifistes dans leurs relations avec les États réputés ou supputés “non démocratiques” voyous ou barbares ». Et d’ajouter en citant Alexis de Tockeville : « Si les États démocratiques désirent naturellement la paix, les armées démocratiques désirent naturellement la guerre ».
Évoquant les démocraties dites de façade, le conférencier a souligné que ce qui fait défaut à ces systèmes, c’est le « fait que l’Exécutif n’est responsable ni devant le Législatif, ni devant aucune cour, ni devant les médias ». D’où la nécessité de faire participer le plus grand nombre possible d’acteurs et d’institutions qui sont essentiels au processus démocratique. Il faut également que « les démocraties occidentales cessent de vouloir “exporter”, surtout par la force, les institutions démocratiques », a-t-il insisté.
Enfin, du fait de la mondialisation, les démocraties les mieux ancrées sont entrées dans une phase d’affaiblissement, estime-t-il, en qualifiant la société mondiale d’« anarchique, voire d’antidémocratique ». Et l’ancien secrétaire général des Nations unies de préconiser un rétablissement du rôle de l’Onu, en tant que seul forum international où les États faibles et pauvres peuvent se faire entendre. Il a également insisté sur la nécessité pour les acteurs non étatiques de participer à la prise de décision, en invitant la communauté internationale à combattre la fracture Nord-Sud et à promouvoir le dialogue des cultures.
Le directeur du Centre international des sciences de l’homme (Byblos), M. Théodore Hanf, a présenté le programme de recherche du centre, axé sur les rapports entre la culture et la démocratie.
« Jusque-là, a-t-il dit, nous n’avons pas trouvé de preuves (justifiant) la thèse répandue que certaines cultures seraient moins perméables que d’autres à la démocratisation », la démocratie n’étant pas le privilège de quelques-uns. Commentant l’un des aspects paradoxaux de la guerre d’Irak, il a précisé que « ceux qui en ont décidé ne se réfèrent pas à Huntington, bien au contraire ». « L’universalisme démocratique et militaire des néoconservateurs aura-t-il comme résultat paradoxal une vérification des thèses de Huntington ? Une culture peut-elle, sous le choc de la guerre imposée, changer au point qu’elle devienne résistante à la démocratie, elle aussi imposée ? » s’est-il interrogé.

Le maillon entre paix
et démocratie
Pour le ministre de la Culture, Ghazi Aridi, « nous sommes d’accord sur le fait qu’une démocratie ne saurait être imposée par quiconque, surtout à la lumière de la guerre destructrice dont nous venons de voir dans la région, une guerre menée sous le label de la démocratie ».
On ne peut non plus parler de démocratie lorsque les peuples sont envahis et déracinés, et lorsque le pays auteur de ces crimes est considéré comme étant « la seule démocratie de la région », a-t-il ajouté en allusion à l’État d’Israël. Évoquant le dialogue des cultures « brandi ici et là », il a en outre affirmé qu’il exprime une volonté d’accaparer les ressources naturelles des pays tiers et de contrôler les centres de décision.
Comment peut-on parler de démocratie et de paix si la logique de la force continue de prévaloir sur la scène internationale et si le fossé entre le Nord et le Sud continue de s’élargir ? s’interroge le ministre.
Entre la paix et la démocratie, il existe un troisième maillon perdu qui est celui du développement, dit-il. « Mais comment parler de développement à l’ombre de l’expansion des armes de destruction massive qui coûtent des milliards, alors que le développement est complètement ignoré ? » se demande encore M. Aridi.
Le sociologue, Ahmed Beydoun, intervient à son tour sur le thème de la relation entre la démocratie et la prévention des conflits pour mettre en relief l’expérience libanaise à la lumière de la guerre, en soulignant l’imbrication des enjeux internes et externes. Fondant son analyse sur ce qu’il considère être les trois piliers de la gouvernance au Liban, à savoir la Constitution libanaise, le Pacte national et ce qu’il est désormais convenu d’appeler « la formule libanaise », il passe en revue le réseau de relations complexes qui s’établissent entre ces trois piliers.
Le Pacte national, dit M. Beydoun, suppose que les protagonistes en présence renoncent, chacun, à leur allégeance extérieure en faveur d’un État indépendant, formé par les différentes communautés qui le composent. Or, dit M. Beydoun, c’est le contraire qui a eu lieu. Ainsi, « la protection sollicitée de l’extérieur est devenue une protection plurielle puisque les deux parties (chrétienne et musulmane) incarnent en réalité plusieurs acteurs ».
En bref, dit-il, la formule libanaise qui a été consolidée par le Pacte a ébranlé l’indépendance de l’État vis-à-vis des forces étrangères ainsi que la souveraineté nationale.
Quel est, se demande-t-il par ailleurs, l’impact de la « formule libanaise » sur la Constitution ?
« La Constitution, dit-il, garantit les droits de l’individu-citoyen, alors que la formule libanaise confisque l’individualité en la confinant, bon gré mal gré, à la communauté dont elle est issue. »
De même dit-il, que la Constitution parle de séparation des pouvoirs, alors que la « formule » commande aux trois présidents de tenir compte des intérêts de leurs communautés.
Les séances de l’après-midi devaient porter sur les thèmes de « La démocratie à travers un conflit », et « La démocratie après un conflit », des sessions qui ont été animées respectivement par M. Pierre Sané, sous-directeur général pour les sciences sociales et humaines de l’Unesco, et par Ghassan Tuéni, journaliste et ancien ministre.
Je.J.
La démocratie peut-elle prévenir les conflits et permet-elle de sortir de la guerre ? C’est autour de cette réflexion que s’est organisée hier la conférence internationale sur la paix et la démocratie, la première d’une série de conférences prévues dans le cadre du travail du Panel international sur la démocratie et le développement, présidé par l’ancien...