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Social - Quand l’application des lois frise l’absurdité Deux handicapés empêchés d’aller en pèlerinage à Lourdes, faute d’un papier d’exemption du service militaire(photo)

Comment expliquer à un jeune handicapé qu’il ne peut pas effectuer son pèlerinage à Lourdes parce que son laissez-passer, délivré par le commandement militaire du Liban-Nord, n’est pas jugé suffisant pour lui permettre de prendre l’avion ? Faut-il évoquer l’obstination insensée de l’agent de la Sûreté générale chargé de vérifier les documents de voyage des passagers à l’AIB ? L’absurdité des lois qui transforment de jeunes Libanais en hors laloi ? Les contraintes d’une bureaucratie stupide et paralysante ? Ou peut-être leur expliquer que le service militaire justifie ce genre d’aberrations ? En tout cas, depuis le jeudi 8 mai, Joseph Hkayem (30 ans) et sa sœur cadette Lina (25 ans) sont pratiquement inconsolables. Joseph et Lina sont ce qu’on appelle communément de grands handicapés. Souffrant tous les deux d’une double infirmité physique et mentale qui leur donne l’allure de deux frêles adolescents, ils avaient tellement misé sur ce pèlerinage à Lourdes, organisé comme chaque année par les chevaliers de l’Ordre souverain de Malte, tellement cru en la force des prières qu’ils voulaient adresser à la Vierge à partir de la grotte de Massabielle et tellement espéré d’être plongés dans l’eau miraculeuse de Lourdes, qu’aucune explication ne les console. « Je veux aller chez la Vierge. Pourquoi veut-on m’en empêcher ? » a lancé Lina à sa mère, Hanane, dans la salle d’attente de l’AIB, où les volontaires de l’Ordre souverain de Malte tentaient désespérément de convaincre l’agent de permanence de la Sûreté générale de laisser les jeunes gens voyager. Chaque année, les chevaliers de l’Ordre du monde entier se retrouvent durant la première semaine de mai à Lourdes, qui est consacrée à cette organisation caritative. Chaque année, ils sont accompagnés d’un groupe de handicapés qu’ils emmènent en pèlerinage. Le groupe du Liban était composé d’une dizaine de personnes, dont deux, Joseph et Charbel, qui est également handicapé, ont été empêchés de voyager. L’Orient-Le Jour a pu joindre la mère de Joseph, Hanane Hkayem, pour recueillir son témoignage. Les Hkayem sont installés à Batroun. Hanane est toujours sous le choc de ce qui s’était passé jeudi soir. « Je ne comprends toujours pas pourquoi ils nous ont fait ça », s’empresse-t-elle de déclarer. « Les organisateurs du voyage m’avaient bien précisé que Joseph devait avoir un permis de l’armée pour pouvoir voyager. J’ai demandé à un cousin de s’occuper des formalités. Il s’est rendu à Tripoli au siège du commandement du Liban-Nord pour présenter une demande de laissez-passer pour cause de voyage et où on lui a expliqué qu’il devait présenter de nouveaux documents : extraits d’état-civil, carte de handicapé, rapport médical... Nous avons tout préparé et nous avons de nouveau soumis les documents à l’armée qui nous a délivré un laissez-passer », daté du 22 avril 2003 et portant le numéro 283. C’est le document qui sera montré à l’agent de la Sûreté générale. Il est immédiatement rejeté. Ce n’est pas le bon. Pourtant c’était bien celui que l’armée a délivré aux Hkayem. Le papier a pour titre « permis de circulation » et selon l’agent de permanence, il est seulement valide pour la circulation dans le pays. Mais le document porte aussi une autre note, manuscrite : « fils unique ». On sait que les fils uniques sont exemptés du service militaire. Mais l’agent ne s’est pas non plus arrêté sur ce détail, tout comme il n’a pas voulu tenir compte du handicap de Joseph ou de Charbel. Et s’il s’agissait de déserteurs ? « Nous lui avons également montré la carte officielle de handicapé, délivrée par le ministère des Affaires sociales et le rapport médical de Joseph, raconte Mme Hkayem, mais il n’a rien voulu entendre ». Les chevaliers de l’Ordre tentent de parlementer, d’expliquer poliment à l’agent à quel point son attitude est absurde, illogique, de lui assurer que Joseph et Charbel seront à l’aéroport, mercredi (hier) et qu’ils assument personnellement la responsabilité de ce retour, puisqu’ils les accompagnent. Peine perdue. À son interlocuteur qui finit par lui lancer : « Mais regardez-les. Ils ne peuvent pas marcher, comment voulez-vous qu’ils puissent effectuer leur service militaire », l’agent a répondu, selon une source proche des organisateurs : « Qui me dit qu’une fois le dos tourné, il ne se lèvera pas de son fauteuil roulant ? » C’est le genre de réponse qui laisse pantois. Devant autant de rigidité et d’ineptie, les organisateurs du pèlerinage ne pouvaient que baisser les bras. Inutile de préciser que l’agent a également refusé de prendre contact avec l’armée ou avec ses supérieurs pour tenter de trouver une issue à ce problème. Les organisateurs du voyage ont essayé de leur côté de contacter des responsables de la Troupe, mais vu l’heure tardive – il était 1h30 – il n’ont pas pu les joindre, selon la même source. Le groupe embarque, laissant dans le hall désert de l’aéroport trois jeunes, en larmes, cloués dans leurs fauteuils roulants et leurs parents désemparés. Parce que son frère a été empêché de voyager, Lina a dû rester au Liban. Sa mère ne pouvait pas l’envoyer seule. Qui s’occuperait d’elle, surtout qu’elle a des problèmes de communication ? Devant le désarroi des deux familles, le personnel de la MEA fait preuve d’une gentillesse extrême, offrant aux trois handicapés, sucreries, biscuits et boissons. Mme Hkayem tente de justifier le comportement de l’agent mais n’y arrive pas : « Il était en train d’accomplir son devoir, mais il n’a aucun sentiment d’humanité. Mes enfants pleurent jusqu’aujourd’hui ce pèlerinage manqué qui les a fait rêver pendant des mois. » Toutes nos tentatives, lundi, d’obtenir une explication ou une réaction de la Sûreté générale ont été vouées à l’échec. C’est la valse des numéros de téléphone. Il faut appeler plusieurs départements avant qu’une voix anonyme au bout du fil ne vous explique qu’elle n’est pas autorisée à donner des renseignements. Dans un pays où la transparence et l’accès à l’information sont encore des notions inconnues, c’était somme toute assez naturel. Pas de réaction officielle de l’armée non plus. Mais de source militaire officieuse, on admet que l’incident est choquant, tout en précisant que l’agent n’a fait que suivre les instructions qui lui ont été données. Apparemment ces instructions n’englobent pas la nécessité de faire preuve d’un minimum de bon sens : A-t-on jamais vu un handicapé effectuer son service militaire ? Elles ne prévoient pas non plus une flexibilité qui n’est pas nécessairement synonyme de violation des lois, même si au Liban, l’application des lois est parfois sélective. Tilda ABOU RIZK
Comment expliquer à un jeune handicapé qu’il ne peut pas effectuer son pèlerinage à Lourdes parce que son laissez-passer, délivré par le commandement militaire du Liban-Nord, n’est pas jugé suffisant pour lui permettre de prendre l’avion ? Faut-il évoquer l’obstination insensée de l’agent de la Sûreté générale chargé de vérifier les documents de voyage des...