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CARNET DE NUITS Princesses en bleu sur le muret (mai à Beyrouth)

Jeudi, 20h. Hourra, ce n’est pas moi le chauffeur ce soir, on passe me ramasser ! Je n’ai pas encore reçu le signal, mais quelque chose me pousse à descendre. En bas de l’immeuble, je repère un muret. Un bon poste d’observation les murets, en ville. Jeunots, on adorait s’asseoir là : glaces qui coulent sur la main, rigolades sur des sujets maintenant oubliés, bermudas, sandales pleines de poussière, c’était le ralliement, le muret. L’ancêtre du squat. C’était bon parce qu’on était dehors alors que la nuit allait tomber, parce que c’étaient les vacances et parce que les parents voulaient avoir la paix. Nous aussi d’ailleurs, et le muret en bas de l’immeuble, c’était vraiment le bonheur. Je me souviens que, sans en avoir jamais parlé avec les petits voisins, c’était l’heure, et ses couleurs qui tournaient dans une gigantesque mélasse de bleus, qui nous impressionnait. Les moteurs passent, le signal n’arrive pas et c’est bien comme ça. Mai à Beyrouth : une tarte à la crème bien montée, une friandise. Mai à Beyrouth à la fin de la journée. Lumière, un peu chaude ; et puis la tombée de la lumière, les hirondelles qui crient pas le temps, pas le temps, en filant droit dans ma mémoire. Mai début de nuit à Beyrouth, le début plein de princesses qui diluent leurs robes en bleus à travers l’air, tombent sur des têtes indifférentes ou intimidées. On avait toujours un ange qui passait quand les princesses du début de la nuit arrivaient, sur le muret, jeunots. C’était l’heure de rentrer se laver les mains et de bouffer des trucs bons pour la santé mais nous, on voulait la voir arriver, la nuit, reine déjà dans nos petites têtes. C’était un cinéma tout ça. Sur ce muret sans les copains du quartier, ça me revient. Je lève mon visage vers tous ces voiles qui tombent sur moi, bleu tendre, bleu piscine, bleu étiquette de Sohat, bleu vendu au noir, bleu vendu à la nuit, et ça tombe encore et encore, de la gentille magie comme si de rien n’était. Il est huit heures, je ne suis plus vraiment une jeannette, dans la main un téléphone au lieu de la glace qui fond, l’attente a changé de direction. Je ne suis plus assise sur mon muret, mais accroupie. Un moteur connu ralentit, je me lève, les yeux plantés haut. Ne me regarde pas comme ça, je sais que tu me regardes derrière ta vitre en te demandant ce qui me passe par la tête. Tu ferais mieux de me rejoindre, là, avant que la nuit ne nous emporte vers des choses très connues. Petit muret aux copains qui attendent les princesses en bleu, nuits de mai à Beyrouth. Diala GEMAYEL
Jeudi, 20h. Hourra, ce n’est pas moi le chauffeur ce soir, on passe me ramasser ! Je n’ai pas encore reçu le signal, mais quelque chose me pousse à descendre. En bas de l’immeuble, je repère un muret. Un bon poste d’observation les murets, en ville. Jeunots, on adorait s’asseoir là : glaces qui coulent sur la main, rigolades sur des sujets maintenant oubliés, bermudas,...