Rechercher
Rechercher

Actualités

Dossier régional - Processus de paix et libéralisation économique, priorité US Fadia Kiwan : « Ce qui est mis à l’épreuve, c’est la capacité d’adaptation des régimes arabes »

Dès la fin de la guerre en Irak, l’Administration US a commencé à mettre à exécution les promesses de changement prévues pour le Proche-Orient. Par signaux interposés, les Américains ont adressé à plusieurs reprises un message on ne peut plus clair à certains régimes en place, en signifiant que les règles du jeu ont changé et que, désormais, c’est la vision américaine qui sera promue dans la région. Un constat que confirme Fadia Kiwan, politologue et professeur d’université, qui indique que l’impulsion en provenance des États-Unis vise à « restructurer » le monde arabe, une politique entièrement dictée par les « intérêts » US. Cette politique consiste d’une part, à « inciter » les pays de la région à réussir leur passage à l’économie de marché dans le cadre d’un retour en force de la politique néolibérale. Et, d’autre part, à relancer le processus de paix dans de nouvelles conditions, « conformes aux intérêts israélo-américains ». Autant de transformations qui se répercuteront inéluctablement sur la géopolitique régionale, et plus particulièrement sur le tandem Liban-Syrie, directement impliqué dans les négociations de paix. Désormais, dit-elle, le vent souffle dans le sens d’une mutation progressive vers un « minimum de libéralisme politique ». Ce qui, au départ est apparu comme un processus de démocratisation des pays de la région n’est autre qu’une volonté US de libéraliser les économies des pays de la région qui doivent se convertir, bon gré mal gré, à l’économie de marché, indique Mme Kiwan, en précisant que ce processus implique « un minimum de libertés politiques, de stabilité et de transparence ». Un minimum pour que les forces sociales puissent se mouvoir « sans qu’il y ait de risques réels de remise en question des élites sociales émergentes sous l’effet de la libéralisation économique », dit-elle. En ce qui concerne l’Irak, la conversion économique est déjà prévue dans la mesure où « le pays sera reconstruit sur la base de l’économie de marché ». « Nous assisterons ainsi à un passage brutal d’une économie qui était en grande partie dirigiste – avec toutefois une part du secteur privé aux mains des dirigeants – à une économie libérale », relève Mme Kiwan. Cela suppose toutefois un contexte politique stable, qui ne sera pas assuré de sitôt, estime la politologue, d’autant que les Américains semblent se diriger vers le système fédératif, qui donnerait une certaine autonomie aux Kurdes d’une part et aux chiites d’autre part, une formule qui n’est pas sans danger. C’est du moins ce que laisse entrevoir la récente division de l’Irak en différentes sections. Mais si cette formule représente « un moindre mal » par rapport à la partition, « qui serait fatale pour l’Irak », elle n’est certainement pas la solution souhaitable pour ce pays, ajoute Mme Kiwan, en affirmant que seul un pouvoir central de type « consociatif » à la libanaise, auxquels participeraient l’ensemble des groupes ethniques et communautés irakiennes, est de nature à préserver l’unité de l’Irak. Risque de déstabilisation « Cependant, la formule d’un pouvoir unifié est pour l’instant impossible à mettre en place à cause de l’éparpillement politique du peuple qui est actuellement complètement déboussolé, dit-elle. Les formations en présence n’ont pas de discours convergents, ce qui rend encore plus difficile un partage du pouvoir dans le cadre d’un gouvernement central. » Mais qui dit fédération dit également risque de déstabilisation pour les pays environnants, notamment la Turquie, l’Iran et la Syrie, qui craignent toute velléité d’autonomie des groupes minoritaires vivant à l’intérieur de leurs frontières, estime Mme Kiwan. Avec la résurgence des chiites et l’émergence d’un courant intégriste en Irak, le danger de voir certaines minorités revendiquer leur autonomie est, selon le professeur, encore plus sérieux. Ainsi, dit Mme Kiwan, « ce qui est véritablement mis à l’épreuve actuellement, c’est la capacité d’adaptation des régimes arabes ». Un test que la Syrie semble avoir passé avec succès jusque-là. Du moins c’est ce que laisse croire sa réaction, surtout depuis la récente visite du secrétaire d’État Colin Powell dans la région. Selon Mme Kiwan, les dirigeants syriens sont aujourd’hui confrontés à trois échéances : tout d’abord, le processus de paix, un dossier absolument prioritaire à leurs yeux ; en second lieu, la conversion économique qui a déjà été amorcée par la classe dirigeante « convertie depuis un certain temps à l’entreprenariat » ; et enfin, le pluralisme politique, qui est la mutation « la plus douloureuse » aux yeux des responsables syriens. « L’ouverture économique développera de nouvelles forces sociales qui vont exercer des pressions sur le système politique dans le sens d’une demande de participation au pouvoir », indique Mme Kiwan, qui reste convaincue que, tôt ou tard, le régime syrien est appelé à faire preuve de tolérance. « La solution pourra passer par le parti Baas qui prendrait lui-même l’initiative en ouvrant un débat public sur les orientations du pouvoir, tout en contenant les deux orientations libérale et conservatrice en même temps que l’impulsion externe en provenance des États-Unis ». « À moyen terme, le pouvoir unique ne pourra plus être toléré », dit-elle, en assurant que la Syrie se dirigera probablement vers un pluralisme politique, à moins d’avoir à faire face à un changement brutal provoqué de l’extérieur. Neutraliser la Syrie C’est sans aucun doute le processus de paix qui figure, pour l’instant, en tête des priorités américaines. Cela explique d’ailleurs la nature des demandes qui ont été formulées dernièrement par M. Powell devant les responsables libanais et syriens, notamment la démilitarisation du Hezbollah, la cessation des menaces à la frontière et le changement de discours et d’attitude concernant la question palestinienne. Selon Mme Kiwan, le Hezbollah n’aura probablement pas de difficulté à se convertir en parti politique et à opérer une « autodémilitarisation », ayant souvent fait preuve d’« adaptabilité ». Des Syriens, l’Administration US cherche à obtenir deux choses, précise Mme Kiwan. Il s’agit d’une part de neutraliser ce pays vis-à-vis de la question irakienne – c’est-à-dire obtenir que la Syrie ne se transforme pas en une terre d’accueil pour les dirigeants irakiens du régime baassiste – et d’autre part de la neutraliser vis-à-vis de la question palestinienne, en l’obligeant à mettre une sourdine à son discours radical et en s’abstenant d’abriter les opposants à Arafat. Face aux revendications US, « Libanais et Syriens avaient également des demandes », affirme Mme Kiwan. Celles-ci étaient centrées essentiellement autour du retrait israélien des fermes de Chebaa et du règlement du problème des réfugiés palestiniens, ainsi que du retour aux frontières du 4 juin 1967, des requêtes que M. Powell auraient promis d’examiner sérieusement. L’acceptation jeudi dernier, c’est-à-dire après neuf ans par le Conseil d’État du recours présenté par la Ligue maronite pour invalider le décret de naturalisation qui englobait plusieurs milliers de Palestiniens, s’inscrit dans cette même logique d’un règlement de la question des réfugiés sur la base de l’article 194. Sur la question de la présence syrienne au Liban, Mme Kiwan prévoit dans un premier temps un redéploiement prochain des forces syriennes qui servirait à montrer aux Américains une volonté sérieuse de quitter le pays du Cèdre. « Militairement parlant, il n’y a plus aucune raison pour que l’armée syrienne reste au Liban. Cela ne veut pas dire que l’influence syrienne cessera pour autant ». Celle-ci se traduirait progressivement par un rapprochement libano-syrien au niveau politique, économique et culturel, dit-elle, qui viendrait petit à petit se substituer à une hégémonie « qui ne jouit plus des conditions objectives pour se pérenniser ». Qu’en est-il des autres États de la région, notamment de certains pays du Golfe tels que l’Arabie saoudite que les États-Unis ont à l’œil depuis quelque temps ? « Maintenant que les Américains ont lancé leur stratégie de guerre préventive, ils réclament de tous les régimes qu’ils adoptent une politique de lutte contre le terrorisme, en entamant un processus de libéralisation tout en exerçant une certaine pression sur les groupes extrémistes », rappelle Mme Kiwan. Toutefois, souligne-t-elle, il faut reconnaître que certains pays du Golfe évoluent discrètement sous l’impulsion de mouvements internes et pas seulement à cause des pressions américaines. Elle fait notamment allusion au processus d’institutionnalisation qui s’est progressivement mis en place, ainsi qu’au rôle croissant de la société civile dans plusieurs pays de la région, les ONG n’ayant pas cessé de croître depuis quelque temps. « De 70 000 en 94, elles sont passées à 120 000 en 98 », indique le professeur. La politologue cite les récentes transformations qui ont eu lieu à Bahreïn, l’émirat ayant a récemment ouvert la voie à la participation des femmes à la vie politique. Autre exemple notoire, celui de « l’Arabie saoudite, qui vient d’accorder une carte d’identité aux femmes, et a fini par signer la convention pour l’élimination de la discrimination contre les femmes, la Cedaw » dit-elle. « D’une manière générale, il existe un mouvement de vie associative venu prouver que les idées plus ou moins courantes en Occident sur la participation de la société civile et sur le rôle des ONG ont déjà gagné le monde arabe. Désormais, il faudra s’attendre à des changements sous l’effet à la fois des impulsions d’ordres interne » et externe, conclut la politologue. Jeanine JALKH
Dès la fin de la guerre en Irak, l’Administration US a commencé à mettre à exécution les promesses de changement prévues pour le Proche-Orient. Par signaux interposés, les Américains ont adressé à plusieurs reprises un message on ne peut plus clair à certains régimes en place, en signifiant que les règles du jeu ont changé et que, désormais, c’est la vision...