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NATURALISATIONS - Le ministère de l’Intérieur appelé à réviser les dossiers d’octroi de la citoyenneté libanaise Le Conseil d’État accepte le recours de la ligue maronite

Le Conseil d’État a accepté, à l’unanimité de ses membres, le recours présenté par la Ligue maronite contre le décret de naturalisation. Mais s’il n’a pas annulé le texte contexté -parce que cette annulation doit être le fruit d’une enquête que le Conseil d’État se trouve techniquement dans l’impossibilité de mener, étant donné le nombre excessivement élevé de documents à vérifier et de personnes à entendre, et parce que cet organisme tient compte des droits des personnes qui ont mérité d’obtenir la citoyenneté libanaise-, il a déféré le dossier au ministère de l’Intérieur, en précisant sans ambiguïté que ce département devra le réexaminer en vue de retirer la nationalité libanaise à ceux qui ne la méritent pas. Après neuf ans de refus et d’atermoiements -le décret avait été promulgué en 1994- l’État se trouve aujourd’hui acculé à revoir radicalement un décret qui compromet sérieusement l’équilibre démographique et communautaire du pays, sans compter son impact sur les plans social et économique. La question reste de savoir si les autorités iront dans le sens défini par le Conseil d’État ou si les considérations politiques, notamment électorales, qui ont pesé au moment de la promulgation du décret, entreront de nouveau en jeu lors de sa révision. Est-il possible d’oublier par exemple l’important apport des voix des naturalisés aux élections du Metn notamment? Pour M. Nehmetallah Abi Nasr, député du Kesrouan, le problème ne semble pas se poser, la Ligue maronite, dit-il, ayant un droit de regard sur le suivi que le ministère donnera au jugement. « Au moindre faux pas, nous saisirons de nouveau le Conseil d’État », a déclaré hier M. Abi Nasr à L’Orient-Le Jour. Pour le parlementaire, également membre de la Ligue maronite, des craintes de nouveaux atermoiements semblent tout aussi infondés. L’administration politique, fait-il remarquer, s’attendait au jugement du Conseil d’État. Tous les dossiers sont même prêts à la Sûreté générale, a-t-il renchéri, sans cependant donner de chiffres au sujet du nombre de Palestiniens, de repris de justice et d’autres personnes qui ont été illégalement naturalisés, même si, au fil des ans, la Ligue maronite a rassemblé 1760 documents à l’appui de son recours. Toutes ces pièces ont été jointes au dossier que le Conseil a eu à étudier et auquel il a fait référence dans son jugement, dans lequel il se penche sur une série de questions de forme avant d’attaquer le fond. Ces questions portent sur la compétence du chef de l’État à promulguer le décret, celle du Conseil d’État à examiner le recours, la qualité des auteurs du recours et leur intérêt pour agir, le niveau de représentation, les délais.... Le Conseil d’État a considéré comme étant recevables tous les arguments développés par la Ligue maronite, à l’exception d’un seul : la compétence du chef de l’État dans la promulgation du décret de naturalisation. Pour la Ligue, une telle initiative est du ressort du Conseil des ministres qui représente l’Exécutif, mais le Conseil d’État n’est pas de cet avis, et juge que dans ce cas précis, le chef de l’État était parfaitement habilité à promulguer le décret. En ce qui concerne en revanche la compétence du Conseil d’État, contestée par l’autorité politique, dans la mesure où le pouvoir considère que la promulgation du décret de naturalisation est un « acte de gouvernement qui ne peut pas faire l’objet d’un recours devant un tribunal administratif », le Conseil d’État l’a confirmée en expliquant que les questions liées à la naturalisation ne font pas partie des actes de gouvernement. Les tribunaux civils, précise le texte du jugement, se penchent sur les litiges relatifs à la nationalité, alors que la légitimité des décrets autorisant, rejetant ou retirant la citoyenneté est appréciée par le Conseil d’État. Cet organisme reconnaît, en outre, contrairement à l’avis du pouvoir politique, la qualité de requérant de la Ligue maronite, ainsi que son intérêt à agir dans cette affaire. Se basant sur de nombreuses jurisprudences, françaises notamment, le Conseil d’État évoque l’intérêt général qui transparaît d’une initiative qui peut être privée. Il rappelle ensuite que le ministère de l’Intérieur avait formé en 1996 une commission qu’il a chargée d’examiner les dossiers de naturalisation et que l’État n’a pas rejeté « de manière précise et claire les arguments avancés par le requérant au sujet du déséquilibre social et communautaire découlant de l’application du décret contesté », avant de souligner que, dans l’absolu, une association ne peut pas se prévaloir du droit de poursuivre l’État pour une décision qui touche l’intérêt du pays et qui est intimement liée à l’exercice de la souveraineté, sinon toutes les associations religieuses pourraient revendiquer ce droit, à partir du moment où leur statut stipule la préservation des droits et des intérêts de la communauté à laquelle elles appartiennent. Mais pour le Conseil d’État, ce principe ne s’applique pas, dans ce cas, à la Ligue maronite, « compte tenu des circonstances dans lesquelles le décret a été adopté, et étant donné son impact sur l’équilibre interne et l’entente nationale ». Seulement 335 dossiers examinés en un an Le Conseil d’État donne également raison à la Ligue maronite sur d’autres questions de forme avant de s’attaquer au fond et de reprendre presque à son compte les motifs invoqués par la Ligue pour réclamer une révision du décret de naturalisation. Ce que la Ligue maronite reproche à l’État, dans le cadre de sa contestation du décret de naturalisation, c’est d’avoir promulgué le texte sans avoir exposé ses motifs, enfreint le principe de l’égalité des Libanais, provoqué un déséquilibre communautaire et porté atteinte au principe de la coexistence. La Ligue estime aussi que la réalisation de l’intérêt public ne peut pas être discrétionnaire et que le prétexte de « la présence au Liban », avancé pour justifier la naturalisation, peut paver la voie à l’implantation des Palestiniens. Elle relève que la citoyenneté libanaise a été accordée à des dizaines de milliers de personnes sans tenir compte de la procédure légale en vigueur. Pour elle, les apatrides n’ont pas besoin d’être naturalisés, mais de récupérer leur citoyenneté et les habitants des « sept villages », qui étaient supposés bénéficier de la nationalité libanaise, n’ont pas été les seuls à l’obtenir, puisque le décret a englobé d’autres bourgades de la région. La Ligue constate également que la naturalisation de certains ressortissants arabes avait pour but de faire passer des transactions foncières de nature à influer radicalement sur le principe de la coexistence. Après avoir rappelé les observations de la Ligue maronite, le Conseil d’État précise que la commission chargée de vérifier les dossiers a pu, en un an, soit du 15 janvier 1998 jusqu’au 3 février 1999, examiner seulement 335 dossiers sur un total de 55 000, dont certains comportent plusieurs demandes de naturalisation. Il souligne que les dossiers ont pu être classés en quatre catégories : les apatrides, les détenteurs d’une nationalité sous étude, les habitants des localités connues sous le nom des « sept villages » et les étrangers. Le Conseil d’État note, après avoir relevé le nombre de documents qui lui avaient été soumis par la Ligue pour démontrer les failles du décret de naturalisation, que la commission a pu remarquer à son tour que la solidité des dossiers examinés laissait à désirer, que les résultats de certaines enquêtes n’étaient pas complets, que certains auteurs de formulaires remplis n’avaient pas de dossiers prouvant leur identité auprès de la Sûreté générale et que certaines demandes de naturalisation avait été présentées par des prisonniers ou des repris de justice. Pas de contestation de l’État Le Conseil d’État fait ensuite remarquer que l’État n’a pas rejeté les preuves avancées par la Ligue ou le rapport de la commission qui avait été chargée de vérifier les dossiers et qu’il a même abondé dans leur sens en publiant, le 6 décembre 1999, un document confirmant que la citoyenneté libanaise a été accordée à des personnes qui ne la méritent pas et réclamant l’ouverture d’une enquête au sujet d’une liste de personnes. De sources proches du Conseil d’État, on précise que cet organisme s’est trouvé devant un triple choix : annuler le décret (ce qui aurait été injuste pour de nombreuses personnes qui méritaient d’avoir la nationalité libanaise), étudier les 55 000 dossiers et interroger chaque personne devenue libanaise depuis 1994, (ce qui lui est pratiquement impossible) ou renvoyer le dossier devant l’autorité politique compétente, à savoir le ministère de l’Intérieur, mais en lui fixant la conduite qu’il doit suivre. Et c’est cette dernière option qui a été retenue, d’autant que tous les dossiers sont prêts à la Sûreté générale. Le Conseil d’État demande au ministère de l’Intérieur de réviser les dossiers en sa possession, afin de pouvoir revenir sur les décisions en vertu desquelles la nationalité libanaise a été accordée à des gens qui ne la méritent ou dont l’adoption est contraire à la Constitution et aux lois, et pour retirer la citoyenneté libanaise à ceux qui l’ont obtenue par la fraude. Il réclame que l’examen se déroule conformément aux pièces du recours et aux témoignages des parties en présence, avant de mettre l’accent sur la nécessité que les droits des personnes qui ont mérité d’être naturalisées soient préservées. Le Conseil ajoute cette phrase avant de résumer en quelques lignes son jugement : « Les bénéficiaires du décret ne peuvent en aucun cas se prévaloir de droits acquis, en raison du recours présenté contre ce texte, durant toute la durée de l’examen juridique jusqu’à ce que le verdict final soit rendu ». Cette phrase revêt une importance particulière, parce qu’il s’agit d’un garde-fou posé par le Conseil d’État en attendant que le décret contesté soit corrigé. Comme le décret a été promulgué en 1994, les naturalisés qui le souhaitent pourront en effet, à partir de l’année prochaine, se présenter aux législatives, faire partie des forces armées ou briguer des postes administratifs. Le Conseil d’État n’a pas fixé de délais au ministère de l’Intérieur pour achever l’examen des dossiers. Une telle mesure n’entre pas dans ses prérogatives. Mais il garde un droit de regard sur son action, au cas où il serait de nouveau saisi. De diverses sources concordantes, on précise que l’État a déjà exprimé le souci de corriger le décret, en réclamant l’ouverture d’une enquête au sujet d’un nombre déterminé de cas. Ce qui est sûr, c’est que la nationalité libanaise sera retirée aux Palestiniens qui l’auraient obtenue. Et les dizaines de milliers d’autres? Le ministère de l’Intérieur, appelé à jouer le rôle d’arbitre, mais qui reste partie dans cette affaire, pourra-t-il assumer son rôle en faisant abstraction de l’échéance électorale qui se profile à l’horizon ?
Le Conseil d’État a accepté, à l’unanimité de ses membres, le recours présenté par la Ligue maronite contre le décret de naturalisation. Mais s’il n’a pas annulé le texte contexté -parce que cette annulation doit être le fruit d’une enquête que le Conseil d’État se trouve techniquement dans l’impossibilité de mener, étant donné le nombre excessivement...