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Conseil de guerre libano-syrien, en attendant le secrétaire d’État américain

Ce qui a toujours été une des revendications premières – off the record, bien entendu –, des officiels étrangers en visite au Liban, a enfin eu lieu avant-hier jeudi au palais présidentiel. À savoir : que ces visiteurs de marque n’aient plus à faire, parfois en moins de douze heures, la tournée des grands ducs – avec moult escales : Baabda, Aïn el-Tiné, le Sérail (ou, plus généralement, Koraytem) et le palais Bustros –, et n’aient plus, en gros, à ménager les susceptibilités de l’un ou de l’autre des dirigeants libanais. Sauf qu’avant-hier jeudi, c’est un véritable conseil de guerre qui s’est tenu, pendant plus de deux heures, au palais de Baabda, entre Émile Lahoud, Nabih Berry, Rafic Hariri, Jean Obeid, et Farouk el-Chareh. Même s’il manquait certes à l’appel Bachar el-Assad, Mohammed Miro, Mohammed Naji Otari, Ghazi Kanaan, Rustom Ghazalé et... Abdel-Halim Khaddam, que l’on voit et que l’on entend de moins en moins depuis quelque temps. Un conseil de guerre, deux jours avant la visite à Damas puis à Beyrouth de Colin Powell, qui sera sans doute accueilli avec une « hospitalité » toute levantine affichée, mais qui cachera mal les appréhensions, l’exaspération et les inquiétudes que généreront sans aucun doute les exigences non négociables que le fauconnesque secrétaire d’État US martèlera dès ce matin au président syrien. Après les dizaines de menaces plus ou moins claires, plus ou moins directes, adressées par Washington à Damas, une fois le régime de Saddam Hussein décapité, « quick and clean ». Un conseil de guerre au lendemain, également, de la bombette diplomatique, balancée sans avoir l’air d’y toucher, par le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin. Qui avait appelé mercredi la Syrie à évacuer ses troupes du Liban, parce qu’il est « nécessaire (que ce dernier) retrouve rapidement sa pleine indépendance et son entière souveraineté, conformément à la résolution 520 de l’Onu ». Laquelle résolution était oubliée de tous, la France y compris, excepté de la quasi-majorité des Libanais eux-mêmes. Et que Paris, quelques jours après une énième rencontre Chirac-Hariri (qui s’est entretenu en tête à tête avec le locataire de Baabda une demi-heure avant la réunion élargie avec le chef de la diplomatie syrienne), a opportunément (mais qui s’en plaindrait ?) déterrée des tiroirs de l’Onu. Des Nations unies auxquelles la France cherche désespérément, surtout depuis le 9 avril – et dans sa volonté effrénée de continuer à peser, face aux États-Unis, sur l’échiquier international en général et sur les scènes libanaise et syrienne en particulier –, à redonner un rôle aussi « central » que vital. Voilà ce qui a dû, entre autres, occuper les cent vingt minutes qu’ont partagées le chef de l’État, le président de la Chambre, le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères, avec le chef de la diplomatie syrienne. Qui avait déjà, ces quatre derniers jours, donné le ton en assurant que son pays « ne veut pas s’ingérer dans les affaires irakiennes (...) contrairement à ce que pensent les Américains », et que Damas « acceptera ce que les Palestiniens accepteront ». Quoi qu’il en soit, les cinq hommes se sont employés à coordonner la politique étrangère conjointe du Liban et de la Syrie à l’égard de Washington, de ses revendications, et à la lumière des conséquences de la guerre-éclair irakienne comme de la publication officielle, il y a quelques jours, de la « feuille de route » du quartette. Une constante s’est dégagée de tout cela, à en croire une source officielle : la volonté libano-syrienne de dialoguer, loin de toute passion, avec Washington, « pour trouver des solutions dans un esprit positif, loin des défis et des attitudes négatives, et pas via les médias ». D’où les mots de Farouk el-Chareh, jeudi en conférence de presse à Beyrouth : « (Colin Powell) peut nous soumettre ses idées dans le cadre d’un dialogue, nous expliquer sa vision des événements dans la région, sur la base des positions des deux parties, américaine et syrienne. Nous répondrons sur ces points sans esprit d’agressivité. Nous ne répondrons pas à des exigences. Nous avons foi dans le dialogue et non dans la présentation d’un catalogue de demandes ». À la décharge de Farouk el-Chareh, ce n’est qu’hier que la conseillère à la Sécurité nationale de George W. Bush, Condoleezza Rice, a officiellement demandé à Damas un « démantèlement » du Hezbollah (lire par ailleurs). Le Hezbollah, justement. Interrogé à Beyrouth sur les pressions exercées par Washington sur son pays afin que le parti intégriste soit désarmé, Farouk el-Chareh a affirmé qu’il « ne répondrait à aucune question sur des demandes (qui auraient été faites à la Syrie), car personne ne nous a rien demandé ». C’est désormais chose faite ; d’autant plus que Farouk el-Chareh a réaffirmé, avant-hier jeudi, que le Hezbollah « est un parti politique intégré au tissu social libanais. En l’absence de la paix et avec la présence permanente de l’occupation, il faudrait que les regards soient d’abord tournés vers l’occupation israélienne avant qu’ils ne le soient vers ceux qui luttent contre cette occupation ». Sachant que Damas comme Beyrouth réitéreront ad libidum leur refus du terrorisme et leur participation aux efforts planétaires visant à l’éradiquer sous toutes ses formes. Enfin, en ce qui concerne la France et l’appel au retrait syrien du Liban formulé par Dominique de Villepin, Farouk el-Chareh a esquivé en déclarant : « Nous sommes encore en train d’analyser cette position car les deux aspects d’une déclaration doivent être pris en considération : le texte intégral mais aussi les circonstances délicates dans lesquelles elle a été faite. » Quant à son homologue libanais, Jean Obeid, il a assuré que Beyrouth « est attaché à des relations solides et profondes avec la France, en raison d’abord de sa compréhension de la cause arabe et de sa manière de traiter les questions de la guerre en Irak et dans la région ». Répétant, comme il l’avait fait mercredi au sortir d’un entretien avec l’ambassadeur US Vincent Battle, que « ce qui est appelé présence militaire syrienne au Liban est légitime, nécessaire et provisoire, dicté par les besoins du Liban et ceux communs » aux deux pays. Sans doute que le chef de la diplomatie se souvient de l’intervention du député de Baabda Salah Honein, il y a près d’un an place de l’Étoile : « La présence (syrienne) est légitimée tant qu’elle est conforme au repositionnement prévu et à la détermination de son volume et de son timing. Existe-t-il une légitimité qui dépasse celle de la loi et de la légalité de Taëf ? S’il faut s’en tenir à un raisonnement logique, l’on est en droit de se demander s’il est normal que l’armée d’un État stationne sur le territoire d’un autre, sauf dans des cas exceptionnels et de force majeure. À ce moment-là, il faudra préciser les causes, les conditions et la durée (de ce stationnement armé) sinon la présence provisoire deviendra permanente », avait, à l’époque, martelé l’un des piliers du bloc Joumblatt et de Kornet Chehwane. Bref, les quelques petites heures que Colin Powell passera tant à Damas qu’à Beyrouth risquent fort d’être déterminantes, tant pour le Liban que pour son bien envahissant « pays-frère ». Restent le pragmatisme, que l’on dit inné, de la famille Assad, comme le suivisme, que l’on sait aveugle, des dirigeants libanais. En espérant, un peu pieusement certes, que, pour une fois, les exigences des États-Unis, autoproclamés gendarmes universels, à l’encontre de Damas et de Beyrouth, s’accompagnent enfin d’autres demandes, tout aussi non négociables, que Washington adresserait à Tel-Aviv. Ne serait-ce que par pur... pragmatisme. Ziyad MAKHOUL
Ce qui a toujours été une des revendications premières – off the record, bien entendu –, des officiels étrangers en visite au Liban, a enfin eu lieu avant-hier jeudi au palais présidentiel. À savoir : que ces visiteurs de marque n’aient plus à faire, parfois en moins de douze heures, la tournée des grands ducs – avec moult escales : Baabda, Aïn el-Tiné, le Sérail...