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Débat de confiance - Pour Mikhaël Daher, la formation du cabinet est anticonstitutionnelle L’équipe Hariri désavouée place de l’Étoile

Ce qui est bien dans les changements de gouvernement au Liban, c’est qu’ils font espérer, pendant un certain temps toujours trop court, une modification de la ligne politique en vigueur depuis des années, et qui repose sur un principe toujours immuable : le changement dans la continuité. Une continuité que reflète le texte de la déclaration ministérielle « dont le seul point positif est de ne pas être ambitieux ». C’est M. Nazem Khoury qui a formulé cette remarque au cours du débat de confiance, dont la première séance, hier, a reflété l’immense déception provoquée par la configuration de la nouvelle équipe ministérielle. MM. Nassib Lahoud, Nehmetallah Abi Nasr, Nazem Khoury, Mohammed Raad, Mohammed Kabbara, Mikhaël Daher – qui relève le caractère anticonstitutionnel de la formation du cabinet –, Gebrane Tok, Mohsen Dalloul et, dans une moindre mesure, Nicolas Fattouche et Ghattas Khoury s’en sont fait l’écho. « C’est le gouvernement des occasions ratées », a observé M. Lahoud, dont le discours a constitué une sorte de plaidoirie en faveur d’une amélioration des rapports libano-syriens, par le biais d’un assainissement politique local. Mais plus que les critiques adressées au gouvernement – qui ne vont pas empêcher la majorité parlementaire d’accorder une confiance confortable à l’équipe Hariri – c’est l’intervention du Hezbollah, au nom de qui M. Raad s’est exprimé, et la proposition de M. Nehmetallah Abi Nasr d’écourter le mandat de la Chambre, qui ont peut-être le plus marqué la séance matinale. Même si elle s’inscrit dans le cadre d’un projet de réforme politique, la proposition du parlementaire ne peut pas être dissociée des manœuvres et des tractations qui vont marquer les préparatifs de la présidentielle et auxquelles le changement de cabinet serait lié. Le Hezbollah s’est pour sa part distingué par le ton de son intervention, dans laquelle il a souligné la nécessité de faire montre de sagesse et de courage, étant donné les circonstances régionales, tout en estimant qu’« il est dans notre intérêt d’éviter toute agression (israélienne ou américaine ?) contre le Liban ». Placide, souriant parfois, applaudissant par moments, le chef du gouvernement, Rafic Hariri, suit le débat de confiance comme s’il ne s’agissait pas de sa propre équipe. Il faut dire que le climat qui a dominé la réunion est le même qui a prévalu dans le pays consécutivement à la formation du nouveau cabinet : beaucoup de déception et d’agacement, mêlés à un sentiment de frustration, voire de résignation. Même le bloc parlementaire du chef du gouvernement a apporté un maigre appui à la nouvelle équipe ministérielle, pendant que l’opposition se demandait par quel miracle le nouveau cabinet, qui s’inscrit dans le prolongement du précédent, pourra réaliser ce que l’autre a été incapable d’accomplir. Le nouveau gouvernement obtiendra quand même la confiance de la Chambre. Nul ne se fait d’illusions en effet sur le sort du débat qui se poursuivra aujourd’hui. Mais ce sera une confiance de pure forme, accordée parce qu’il n’est pas possible d’en faire autrement. Du coup, le débat lui-même perd de l’importance. L’ambiance, place de l’Étoile, est loin de la fièvre qui animait les précédents débats de confiance. Comme si l’indifférence était son trait caractéristique. Les rangs réservés aux ministres sont dégarnis et ne se rempliront que vers la fin de la matinée, avec l’arrivée des ministres Jean-Louis Cardahi, Jean Obeid, Assaad Diab, Abdallah Farhat et Michel Moussa. Les ministres Talal Arslan, Sleiman Frangié – celui par qui le scandale était arrivé, lorsqu’il avait nommémment accusé les trois pôles du pouvoir de clientélisme et reproché aux chefs de l’État et du gouvernement de paralyser le Conseil des ministres par leurs querelles –, Mahmoud Hammoud, Marwan Hamadé et Sébouh Hovnanian manquent au rendez-vous. Côté parlementaire, la plupart des ténors sont absents : MM. Hussein Husseini, Omar Karamé, Walid Joumblatt, Farès Souhaid et Mme Nayla Moawad ne sont pas là. Il n’y avait que MM. Nassib Lahoud, qui annonce d’emblée qu’il refuse, avec M. Misbah Ahdab, d’accorder sa confiance au gouvernement, et Boutros Harb. Les anciens ministres parmi les députés ne sont pas là non plus, à l’exception de M. Béchara Merhej. Des neuf députés qui prendront la parole au cours de la séance matinale, après la lecture du texte de la déclaration ministérielle, quatre annoncent qu’ils refusent, à titre individuel ou avec leurs collègues au sein des blocs parlementaires au nom desquels ils s’expriment, d’accorder leur confiance au gouvernement. Au total cela fera sept députés. Le Hezbollah s’abstiendra de voter, précise son chef, ce qui représentera 12 abstentions. Khoury : « Les députés, des éléments de décoration » D’emblée, M. Nazem Khoury annonce la couleur. « Ce cabinet formé aux dépens des principes constitutionnels n’exploitera pas notre confiance pour montrer que les députés ne sont que (des instruments devant servir) à atteindre certaines fins ou des éléments de décoration dans la structure politique du pays », soutient-il, avant de critiquer les querelles permanentes entre les pôles du pouvoir. « Nous ne permettrons pas de voir nos ministres divisés en deux camps adverses et procéder à des échanges verbaux honteux alors que le pays se trouve au bord du gouffre », poursuit-il. M. Khoury se demande ensuite comment le gouvernement, « qui reste similaire en grande partie au précédent, pourra réaliser ce que l’ancienne équipe n’avait pas pu accomplir ». Et de conclure, après avoir glissé quelques revendications d’ordre régional et local dans le texte de son intervention : « Comme nous nous trouvons en présence d’une copie à peine modifiée de l’ancien cabinet auquel nous avions accordé notre confiance, il nous est impossible de lui concéder ne serait-ce qu’un minimum de confiance. Quant au seul élément positif que nous relevons dans la déclaration ministérielle, c’est l’absence de toute ambition dans le texte. » Si MM. Wajih Baarini et Mohammed Yehya, tous deux députés du Liban-Nord, applaudissent au nouveau gouvernement et au texte de la déclaration ministérielle, même s’ils reprochent à l’État de ne pas accorder à la région qu’ils représentent l’attention qu’elle mérite, M. Nicolas Fattouche en a trop sur le cœur pour se contenter de quelques remarques. Solidarité oblige – il forme avec un des ministres, M. Élie Skaff, un même bloc parlementaire –, il annonce qu’il accordera sa confiance au gouvernement, qu’il ne ménage pourtant pas de ses critiques. Le député crée cependant la surprise en exprimant un plein appui au chef du gouvernement, alors qu’il avait refusé d’accorder sa confiance à ses autres cabinets. « Parce que nous sommes représentés au sein du gouvernement et que nous sommes persuadés que M. Hariri est visé, nous accorderons notre confiance à son équipe », dit-il. Fattouche : « Une déclaration ministérielle romantique » Ce n’est pas l’action du cabinet que M. Fattouche conteste, mais l’ensemble de la gestion des affaires publiques. Le parlementaire trouve que la déclaration ministérielle comporte une phraséologie « romantique », avant de constater que les promesses formulées dans ces textes, depuis Taëf, n’ont rien à voir avec la réalité. Critiquant le dysfonctionnement du Conseil des ministres, il encourage les ministres à exercer leur droit de vote, mettant en garde M. Hariri contre un court-circuitage du rôle du Conseil des ministres. « Il ne t’a pas entendu », l’interrompt le président de la Chambre. « Nous voulons un gouvernement au sein duquel le responsable se soumet à la Constitution et pour qui la Loi fondamentale ne serait pas un instrument », poursuit M. Fattouche, qui reproche au cabinet son engagement, dans la déclaration ministérielle, à se conformer à la Constitution. « Une telle précision est inadmissible car c’est le contraire qui serait grave », note-t-il. Le député s’étend plus longuement sur le chapitre consacré par le gouvernement au maintien de la sécurité et de la stabilité. « Nous sommes avec l’armée. Mais je me demande pourquoi il faut préciser que les forces de sécurité doivent se contenter d’assumer leurs responsabilités intérieures. Ont-elles d’autres responsabilités ? Elles s’occupent des adorateurs du diable, d’espionnage économique, elles inventent des accusations qu’elles collent aux jeunes et aux hommes politiques. Elles vont même jusqu’à menacer les parlementaires en leur disant “vous allez voir ce qui va vous arriver aux législatives de 2005”, elles surveillent les lignes téléphoniques, mentent et vendent des illusions à la population », s’insurge-t-il. S’adressant au chef du gouvernement, il déclare en empruntant la célèbre terminologie de l’ancien ministre irakien de l’Information, Mohammed el-Sahhaf : « Il existe au sein de ces forces des sangsues (oulouje) que vous devez arrêter, parce que certains parmi eux vous empêchent de gouverner, lorsqu’ils prétendent que vous n’êtes supposé vous occuper que d’économie. Vous et votre gouvernement devez vous occuper d’économie, de politique et de sécurité puisque le pouvoir (exécutif) vous appartient. » L’intervention de M. Ghattas Khoury, qui s’exprime au nom du bloc Hariri, est particulièrement concise et plate. Face aux développements dans la région, il appelle à davantage d’unité nationale et de solidarité avec la Syrie. Rappelant que les députés de Beyrouth avaient été peinés parce que la capitale n’est pas représentée au sein du nouveau gouvernement, il déclare : « Nous réalisons dans le même temps que ce sont les priorités nationales qui priment, étant donné les circonstances actuelles dans la région, et qu’il est par conséquent nécessaire de surmonter le problème de la représentativité et d’être solidaire de la nouvelle équipe. » Soulignant la nécessité de davantage de « cohésion politique dans la gestion des affaires publiques », il rappelle brièvement les efforts de redressement économique menés par l’ancien cabinet. Son intervention aura duré moins de 10 minutes. Dernier à prendre la parole, M. Mohammed Kabbara, qui s’exprime au nom du Rassemblement tripolitain (avec MM. Mohammed Safadi et Maurice Fadel), prononce un véritable réquisitoire contre le cabinet, « qui consacre la poursuite des problèmes et des tiraillements qui caractérisaient l’équipe précédente ». « On a eu l’impression que le nouveau gouvernement continuera de porter un coup à la démocratie et de ne pas respecter le principe de séparation des pouvoirs. Nous craignons aujourd’hui qu’il n’étouffe les libertés tantôt pour des prétextes sécuritaires, tantôt en arguant de la situation dans la région », déclare-t-il, en faisant part d’un certain scepticisme sur la capacité de la nouvelle équipe à assumer les responsabilités qui lui incombent. Le député du Liban-Nord se prononce en faveur d’une loi électorale qui permettra aux Libanais d’être réellement représentés à la Chambre, avant de s’interroger sur le point de savoir si le nouveau cabinet est représentatif de toutes les composantes du peuple. Estimant que l’Exécutif a raté de nombreuses occasions pour édifier l’État de droit, M. Kabbara prône des réformes politiques radicales. Le Rassemblement auquel il appartient n’accordera pas sa confiance au gouvernement, même si le député ne l’a pas expressément annoncé. La séance nocturne MM. Mikhaël Daher et Gebrane Tok, eux aussi, n’accorderont pas non plus leur confiance au gouvernement. Ils l’ont dit haut et clair durant la séance nocturne au cours de laquelle neuf députés ont pris la parole. C’est sur un ton ironique que M. Daher commente le changement du gouvernement : « Les ministres Ayoub Hmayed et Ali Khalil tiennent sans doute du Christ qui avait ressuscité Lazare puisqu’ils ont réussi à redonner la vie à un gouvernement mort et momifié, rien qu’en y faisant leur entrée. » L’élément le plus important de son intervention se rapporte cependant au caractère anticonstitutionnel de la formation du nouveau cabinet. « Le gouvernement a été constitué au mépris de l’article 64 de la Constitution qui impose au Premier ministre désigné d’entreprendre des consultations parlementaires avant de former son équipe. Or il s’est avéré que la structure gouvernementale était toute prête et que le Premier ministre ne l’a rendue publique que lorsqu’il a pris connaissance des changements qui y ont été introduits, après que le président Omar Karamé eut refusé d’en faire partie », explique-t-il. Selon M. Daher, cette violation de la Constitution fait perdre à la nouvelle équipe sa légitimité. M. Mohsen Dalloul lui fera écho un peu plus tard, en faisant remarquer qu’avant même la démission de l’ancienne équipe, des contacts ont été entrepris avec certains responsables pour leur annoncer qu’ils ont été nommés ministres. M. Daher se demande ensuite si les onze ministres démis de leurs fonctions étaient la cause de la paralysie de l’ancien cabinet et si leur destitution « s’insère dans le cadre d’un mouvement de réforme que nous n’aurons pas, je l’espère, à célébrer chaque année », ironise-t-il, avant de rendre hommage au travail accompli par certains ministres démis de leurs fonctions, de déplorer l’absence de toute cohésion ministérielle et de se dire sceptique quant à la capacité de la nouvelle équipe à mettre en application la déclaration ministérielle. MM. Michel Pharaon et Bassel Fleyhane, qui n’avaient pas assisté à la séance matinale, étaient présents dans l’hémicycle. M. Tok abonde, à son tour, dans le même sens, estimant que le débat de confiance « est le dernier épisode de la mascarade gouvernementale ». Selon lui, il existe une unanimité pour rejeter le gouvernement « qui nous ramène en arrière et pousse les gens à l’opposition ». S’exprimant au nom du bloc Berry, M. Ali Khalil juge que « la gravité de la situation régionale commande qu’on surmonte le problème de la formation et de la structure du cabinet », avant de commenter les nombreux points de la déclaration ministérielle et d’annoncer que le gouvernement aura la confiance de son bloc. MM. Akram Chehayeb et Fayçal Daoud sont tout aussi critiques, mais moins que M. Jihad Samad, dernier à prendre la parole. M. Chehayeb estime que la nouvelle équipe n’a pas tenu compte du principe de « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut » et affirme redouter que les difficultés politiques dans lesquelles le gouvernement est plongé ne se répercutent sur la situation économique. Si la nouvelle équipe ministérielle, désavouée à la base par de nombreux milieux politiques, a démarré sur fond de tiraillements et de divergences, la qualité du débat de confiance n’est pas près de la renflouer. Il contribuera à l’affaiblir davantage, estime-t-on dans certains milieux parlementaires, en soulignant que cette situation met le président de la Chambre dans une mauvaise position, puisqu’il a été pratiquement le seul à soutenir le nouveau cabinet. De mêmes sources, on s’attend à ce que M. Nabih Berry mette les bouchées doubles pour tenter de renflouer le cabinet en le soutenant à fond. Un premier pas sur cette voie constituerait à assurer au gouvernement une majorité confortable, aujourd’hui, au moment du vote. Des contacts auraient été entrepris dans la nuit à cette fin. Tilda ABOU RIZK
Ce qui est bien dans les changements de gouvernement au Liban, c’est qu’ils font espérer, pendant un certain temps toujours trop court, une modification de la ligne politique en vigueur depuis des années, et qui repose sur un principe toujours immuable : le changement dans la continuité. Une continuité que reflète le texte de la déclaration ministérielle « dont le seul...