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INTERVIEW - Après onze ans d’exclusion, il est enfin ministre Élias Skaff : Il faut jeter derrière soi les conflits personnels

Même dans son domicile à Yarzé, le nouveau ministre de l’Industrie reste, avant tout, le zaïm de la Békaa, sans cesse sollicité par les habitants de cette région. Pourtant, Élias bey Skaff, en jeans et polo, ne correspond pas à l’image du leader traditionnel. Timide, affable, il parle avec franchise, sans utiliser les subtilités des politiciens, reconnaissant ainsi, avec simplicité, avoir été victime, de la part des Syriens notamment, d’une politique d’exclusion. Nommé enfin ministre, il considère que le portefeuille n’est pas un cadeau, mais un dû à sa région, la Békaa, et aux chrétiens, puisqu’il se considère comme proche du patriarche maronite. C’est avec beaucoup de difficulté qu’Élias Skaff parvient à échapper à ses nombreux visiteurs pour se consacrer à ses rendez-vous. À la veille de nouvelles nominations, on dirait presque que les Békaïotes se sont donné le mot. Et le bey reçoit tout le monde, écoute, promet, avec une grande gentillesse. Finalement, il parvient à se dérober pour s’installer dans un tout petit bureau. Chez les Skaff, les salons occupent la plus grande place. Une page tournée Élias Skaff fait partie des rares ministres satisfaits du portefeuille qui leur est dévolu. « L’industrie et l’agriculture sont des sœurs jumelles. Je pense que je pourrais faire quelque chose, notamment dans le domaine de l’agro-industrie. Et finalement, pour les agriculteurs, ce qui compte, c’est de trouver un moyen d’écouler leurs récoltes, que ce soit dans le cadre d’une industrie ou aux consommateurs. » Skaff s’attend aussi à une grande coopération de la part du nouveau ministre de l’Agriculture, M. Ali Hassan Khalil, qui s’est déclaré tout à fait disposé à coordonner son action avec « un expert », comme M. Élias Skaff, selon ses propres termes. C’est un grand soulagement pour le nouveau ministre de l’Industrie qui était à couteaux tirés avec le prédécesseur de M. Ali Khalil, qu’il avait accusé ouvertement de « voler ». « C’est une page tournée. Je ne sais pas si la justice compte engager des poursuites contre lui. Pour moi, c’est fini. » Que pense-t-il des critiques adressées au nouveau gouvernement ? Le ministre hoche la tête. « Nous vivons dans un pays malade dans tous les domaines. Si nous allons continuer à vivre dans la même ambiance de critiques, la fin sera terrible pour nous tous. La faillite de l’État, l’effondrement des institutions n’épargneront personne. Il nous faut donc essayer de travailler ensemble pour sortir de la crise. » Ne tient-il pas ce genre de propos parce qu’il est maintenant au gouvernement ? « Il y a peut-être de cela, reconnaît avec beaucoup de simplicité le nouveau ministre. Mais il faut quand même essayer de faire quelque chose. Je pense que nous devons travailler ensemble et si quelque chose ne va pas, je préfère m’exprimer au sein du Conseil des ministres. Si cela va vraiment très mal, je démissionnerai, mais je suis contre les critiques adressées en public. Les séances du gouvernement doivent rester secrètes. Pour le reste, on ne peut pas faire plaisir à tout le monde en formant un gouvernement et certains groupes ou personnes vont forcément se sentir exclus. Ce fut notre cas pendant de nombreuses années. » Proche du patriarche maronite Où se situe-t-il ? « Je suis proche du patriarche maronite, bien que je n’appartienne pas à cette communauté. » Que pourra faire ce gouvernement ? « À mon avis, il y a deux genres de problèmes : ceux qui découlent de la situation régionale et internationale et là je doute que nous ayons prise sur les événements. Je me demande d’ailleurs si les Américains savent eux-mêmes où ils vont, après leur victoire militaire. Il y a aussi les problèmes qui découlent de la situation économique. Là, je crois que nous pouvons agir. Rien ne nous empêche de développer notre tourisme, notre industrie agro-alimentaire, d’améliorer les prestations sociales et surtout d’obliger les gens à conduire de façon plus civilisée. Rien ne nous empêche de respecter les lois, d’arranger notre maison, de demander des comptes aux responsables, de punir les coupables, de mettre un terme à l’anarchie ambiante. Avant de penser aux grandes questions, commencer par les petites et par unifier nos rangs. » Pourtant, avant même le vote de confiance, le gouvernement se fissure… « À mon avis, c’est la preuve que ce n’est pas la Syrie qui l’a formé. Toutes les analyses faites à ce sujet sont donc fausses. Les Syriens ont, en fait, d’autres problèmes. Ils n’ont pas besoin de nouveaux. Les conflits sont donc internes. Qui en est responsable ? Je l’ignore. Mais je doute que l’échéance de l’élection présidentielle en soit à l’origine, car l’élément local dans cette élection est assez limité. Les facteurs régionaux et internationaux sont bien plus déterminants. Il faut donc faire preuve de sagesse, nous entendre entre nous pour essayer de ne pas faire fuir les investisseurs. » Est-il vrai que le président du Conseil ne voulait pas de lui au ministère ? « Chacun de nous doit surmonter ses conflits personnels avec les autres. Personnellement, je n’en ai pas, de même que je ne demande rien pour moi. Dès que j’ai appris ma nomination, j’ai appelé le président du Conseil pour lui dire que je suis prêt à coopérer avec lui. En ce qui me concerne, je suis prêt à tourner la page. Je compte assumer mes responsabilités jusqu’au bout. Et si on découvre que je travaille pour des intérêts personnels, qu’on me dénonce. » Comment a-t-il été nommé si Hariri ne voulait pas de lui ? « À Zahlé, nous sommes finalement le chauffeur du fameux bus électoral. C’est moi qui conduis la liste et elle n’a été percée que par un seul siège. On nous avait malgré cela enfermés dans un cercle, en nous interdisant d’en sortir. » Je n’ai pas modifié mon discours politique Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ? « La politique syrienne, d’abord. Il était normal que nous fassions partie du gouvernement ; après tout, Zahlé est la troisième ou quatrième ville du pays. Nous avons, de plus, un grand rôle au Parlement. Nous aurions dû faire partie depuis longtemps du gouvernement. Onze ans d’exclusion, cela suffit. Les Syriens s’en sont sans doute rendu compte et le président Lahoud ne s’est pas opposé à ma désignation. C’est sans doute ainsi que cela s’est passé. » Qu’a-t-il fait pour que les Syriens changent d’attitude à son égard ? « Je n’ai pas modifié mon discours. Je crois que c’est la situation globale qui a dicté les changements. En tout cas, les Syriens ne m’ont rien demandé et moi, j’ai toujours prôné des relations excellentes avec la Syrie, qui nous entoure et possède de grandes richesses. Ce serait idiot de fermer cette porte, sans laquelle nous ne pourrions pas survivre. Il serait dommage de placer les conflits personnels avant l’intérêt général. Ce qui compte, c’est que depuis quelques années, l’attitude de la Syrie a beaucoup changé et nous avons besoin d’elle. Le problème, c’est que nous n’avons pas encore trouvé la formule idéale pour vivre ensemble, nous Libanais, en tant que citoyens et non en tant que membres de tribus. » Comment faire pour que cela change ? « Il faut commencer par une nouvelle loi électorale, plus juste. La dernière en date a introduit trois blocs qui contrôlent le Parlement et le pays en général. Quant à l’argent, il passe via le CDR, la Caisse des déplacés et le Conseil du Sud, sans le moindre contrôle. C’est d’ailleurs dans ce but que ce système a été créé, sous le mandat du président Gemayel. Il faut essayer de corriger cette erreur, qui n’existe dans aucun autre pays au monde. Il faut donc modifier les lois. Mais cela ne peut se faire d’un seul coup. Il faut avancer progressivement. » Pour quelqu’un qui a passé son enfance en Nouvelle-Zélande, s’est-il adapté aux coutumes libanaises ? « Je suis revenu au Liban en 1964. J’ai largement eu le temps de m’adapter. Mon seul problème est encore la langue. Je fais des efforts dans ce sens. » Scarlett HADDADMême dans son domicile à Yarzé, le nouveau ministre de l’Industrie reste, avant tout, le zaïm de la Békaa, sans cesse sollicité par les habitants de cette région. Pourtant, Élias bey Skaff, en jeans et polo, ne correspond pas à l’image du leader traditionnel. Timide, affable, il parle avec franchise, sans utiliser les subtilités des politiciens, reconnaissant ainsi, avec simplicité, avoir été victime, de la part des Syriens notamment, d’une politique d’exclusion. Nommé enfin ministre, il considère que le portefeuille n’est pas un cadeau, mais un dû à sa région, la Békaa, et aux chrétiens, puisqu’il se considère comme proche du patriarche maronite. C’est avec beaucoup de difficulté qu’Élias Skaff parvient à échapper à ses nombreux visiteurs pour se consacrer à ses rendez-vous. À la veille de nouvelles nominations, on dirait presque que les Békaïotes se sont donné le mot. Et le bey reçoit tout le monde, écoute, promet, avec une grande gentillesse. Finalement, il parvient à se dérober pour s’installer dans un tout petit bureau. Chez les Skaff, les salons occupent la plus grande place. Une page tournée Élias Skaff fait partie des rares ministres satisfaits du portefeuille qui leur est dévolu. « L’industrie et l’agriculture sont des sœurs jumelles. Je pense que je pourrais faire quelque chose, notamment dans le domaine de l’agro-industrie. Et finalement, pour les agriculteurs, ce qui compte, c’est de trouver un moyen d’écouler leurs récoltes, que ce soit dans le cadre d’une industrie ou aux consommateurs. » Skaff s’attend aussi à une grande coopération de la part du nouveau ministre de l’Agriculture, M. Ali Hassan Khalil, qui s’est déclaré tout à fait disposé à coordonner son action avec « un expert », comme M. Élias Skaff, selon ses propres termes. C’est un grand soulagement pour le nouveau ministre de l’Industrie qui était à couteaux tirés avec le prédécesseur de M. Ali Khalil, qu’il avait accusé ouvertement de « voler ». « C’est une page tournée. Je ne sais pas si la justice compte engager des poursuites contre lui. Pour moi, c’est fini. » Que pense-t-il des critiques adressées au nouveau gouvernement ? Le ministre hoche la tête. « Nous vivons dans un pays malade dans tous les domaines. Si nous allons continuer à vivre dans la même ambiance de critiques, la fin sera terrible pour nous tous. La faillite de l’État, l’effondrement des institutions n’épargneront personne. Il nous faut donc essayer de travailler ensemble pour sortir de la crise. » Ne tient-il pas ce genre de propos parce qu’il est maintenant au gouvernement ? « Il y a peut-être de cela, reconnaît avec beaucoup de simplicité le nouveau ministre. Mais il faut quand même essayer de faire quelque chose. Je pense que nous devons travailler ensemble et si quelque chose ne va pas, je préfère m’exprimer au sein du Conseil des ministres. Si cela va vraiment très mal, je démissionnerai, mais je suis contre les critiques adressées en public. Les séances du gouvernement doivent rester secrètes. Pour le reste, on ne peut pas faire plaisir à tout le monde en formant un gouvernement et certains groupes ou personnes vont forcément se sentir exclus. Ce fut notre cas pendant de nombreuses années. » Proche du patriarche maronite Où se situe-t-il ? « Je suis proche du patriarche maronite, bien que je n’appartienne pas à cette communauté. » Que pourra faire ce gouvernement ? « À mon avis, il y a deux genres de problèmes : ceux qui découlent de la situation régionale et internationale et là je doute que nous ayons prise sur les événements. Je me demande d’ailleurs si les Américains savent eux-mêmes où ils vont, après leur victoire militaire. Il y a aussi les problèmes qui découlent de la situation économique. Là, je crois que nous pouvons agir. Rien ne nous empêche de développer notre tourisme, notre industrie agro-alimentaire, d’améliorer les prestations sociales et surtout d’obliger les gens à conduire de façon plus civilisée. Rien ne nous empêche de respecter les lois, d’arranger notre maison, de demander des comptes aux responsables, de punir les coupables, de mettre un terme à l’anarchie ambiante. Avant de penser aux grandes questions, commencer par les petites et par unifier nos rangs. » Pourtant, avant même le vote de confiance, le gouvernement se fissure… « À mon avis, c’est la preuve que ce n’est pas la Syrie qui l’a formé. Toutes les analyses faites à ce sujet sont donc fausses. Les Syriens ont, en fait, d’autres problèmes. Ils n’ont pas besoin de nouveaux. Les conflits sont donc internes. Qui en est responsable ? Je l’ignore. Mais je doute que l’échéance de l’élection présidentielle en soit à l’origine, car l’élément local dans cette élection est assez limité. Les facteurs régionaux et internationaux sont bien plus déterminants. Il faut donc faire preuve de sagesse, nous entendre entre nous pour essayer de ne pas faire fuir les investisseurs. » Est-il vrai que le président du Conseil ne voulait pas de lui au ministère ? « Chacun de nous doit surmonter ses conflits personnels avec les autres. Personnellement, je n’en ai pas, de même que je ne demande rien pour moi. Dès que j’ai appris ma nomination, j’ai appelé le président du Conseil pour lui dire que je suis prêt à coopérer avec lui. En ce qui me concerne, je suis prêt à tourner la page. Je compte assumer mes responsabilités jusqu’au bout. Et si on découvre que je travaille pour des intérêts personnels, qu’on me dénonce. » Comment a-t-il été nommé si Hariri ne voulait pas de lui ? « À Zahlé, nous sommes finalement le chauffeur du fameux bus électoral. C’est moi qui conduis la liste et elle n’a été percée que par un seul siège. On nous avait malgré cela enfermés dans un cercle, en nous interdisant d’en sortir. » Je n’ai pas modifié mon discours politique Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ? « La politique syrienne, d’abord. Il était normal que nous fassions partie du gouvernement ; après tout, Zahlé est la troisième ou quatrième ville du pays. Nous avons, de plus, un grand rôle au Parlement. Nous aurions dû faire partie depuis longtemps du gouvernement. Onze ans d’exclusion, cela suffit. Les Syriens s’en sont sans doute rendu compte et le président Lahoud ne s’est pas opposé à ma désignation. C’est sans doute ainsi que cela s’est passé. » Qu’a-t-il fait pour que les Syriens changent d’attitude à son égard ? « Je n’ai pas modifié mon discours. Je crois que c’est la situation globale qui a dicté les changements. En tout cas, les Syriens ne m’ont rien demandé et moi, j’ai toujours prôné des relations excellentes avec la Syrie, qui nous entoure et possède de grandes richesses. Ce serait idiot de fermer cette porte, sans laquelle nous ne pourrions pas survivre. Il serait dommage de placer les conflits personnels avant l’intérêt général. Ce qui compte, c’est que depuis quelques années, l’attitude de la Syrie a beaucoup changé et nous avons besoin d’elle. Le problème, c’est que nous n’avons pas encore trouvé la formule idéale pour vivre ensemble, nous Libanais, en tant que citoyens et non en tant que membres de tribus. » Comment faire pour que cela change ? « Il faut commencer par une nouvelle loi électorale, plus juste. La dernière en date a introduit trois blocs qui contrôlent le Parlement et le pays en général. Quant à l’argent, il passe via le CDR, la Caisse des déplacés et le Conseil du Sud, sans le moindre contrôle. C’est d’ailleurs dans ce but que ce système a été créé, sous le mandat du président Gemayel. Il faut essayer de corriger cette erreur, qui n’existe dans aucun autre pays au monde. Il faut donc modifier les lois. Mais cela ne peut se faire d’un seul coup. Il faut avancer progressivement. » Pour quelqu’un qui a passé son enfance en Nouvelle-Zélande, s’est-il adapté aux coutumes libanaises ? « Je suis revenu au Liban en 1964. J’ai largement eu le temps de m’adapter. Mon seul problème est encore la langue. Je fais des efforts dans ce sens. » Scarlett HADDAD
Même dans son domicile à Yarzé, le nouveau ministre de l’Industrie reste, avant tout, le zaïm de la Békaa, sans cesse sollicité par les habitants de cette région. Pourtant, Élias bey Skaff, en jeans et polo, ne correspond pas à l’image du leader traditionnel. Timide, affable, il parle avec franchise, sans utiliser les subtilités des politiciens, reconnaissant ainsi,...